Le mardi 6 décembre 2022, des millions de spectateurs surtout africains, qui étaient devant leur écran de télévision, ont, après avoir retenu leur souffle, exulté de joie quand Achraf HAKIMI a envoyé les Lions de l’Atlas en quart de finale de la coupe du monde qui se joue au QATAR. Seule équipe africaine après l’échec de la Tunisie, du Ghana, du Sénégal et du Cameroun, l’équipe marocaine, sortie première de sa poule, restait l’unique espoir de tout un continent qui aime le football. Devant les exploits du gardien Yacine BOUNOU qui a même arrêté le penalty de Sergio BUSQUETS et qui a montré tous ses talents à l’équipe espagnole dirigée par le grand entraîneur ENRIQUE, ce ne sont pas seulement les Marocains qui ont poussé des cris de joie mais tout un continent. Après le Cameroun en 1990, le Sénégal en 2002 et le Ghana en 2010 voilà le Maroc, en 2022, qui, avec un entraineur marocain, Walid REGRAGUI, a accédé, comme quatrième pays africain, en quart de finale. Honneur aux coéquipiers de Sofiane BOUFAL qui ont montré sur le terrain leur détermination et surtout la confiance en eux-mêmes.
Croire en soi, se fixer des objectifs, dans un collectif qui valorise chaque talent, et se mettre ensemble au travail pour donner corps à un rêve collectif, c’est croire que le possible devient réel quand on se donne les moyens dont le premier est la volonté d’accomplir réellement ce qu’on se fixe comme objectif. Afin que tout possible se réalise pour celui qui y croit, il est impératif de se donner des objectifs clairs, précis et raisonnables. Il est indispensable de poser, par la pensée qui nous définit, un objectif, saisi comme un présent à-venir et à faire advenir. Le « faire advenir » signifie qu’on ne peut pas être passif, au contraire on doit s’impliquer par une pensée anticipative qui conduit à des actions. Et au moment où ce présent à faire advenir est posé, c’est un à-venir que l’on se donne et celui-ci oriente le présent dans lequel l’on est et qu’on veut changer et transformer. Cela implique l’exigence d’une pensée qui, comme une boussole, oriente, éclaire et fait le tri, indique des chemins à emprunter, propose des stratégies à mettre en œuvre, mobilise les capacités et les compétences nécessaires pour atteindre l’objectif fixé.
Le présent se vit alors en fonction d’un avenir, un pas encore visible mais existant. C’est le présent, saisi et posé, qui trace la ligne qui relie l’avenir au présent qui se vit et sur lequel on agit. L’avenir, anticipé par la pensée, transforme, par conséquent, le présent en un moment d’actions. Dès lors, l’avenir, qui devient un présent à réaliser, est tout sauf un hasard. Il n’est pas non plus le résultat d’une pure chance qui ne doit rien à la mise en œuvre rigoureuse des talents par le travail. Il nécessite clairement et de façon consciente une abnégation et un travail dans la prise en compte de toutes les capacités. La victoire du Maroc ne saurait donc être le fruit du hasard devant une équipe d’Espagne, sûre de battre le Maroc car elle représente le pays où l’on retrouve tous les grands joueurs venus de tous les continents.
Si nous avons décidé de parler de la victoire du Maroc, symbole pour tout un continent, c’est que nous avons vu dans cet évènement l’application de la logique qui met en mouvement et permet d’espérer un lendemain différent d’un présent peu reluisant. Si la victoire du Maroc n’est pas le fruit du hasard ni une simple exaltation d’un continent méprisé, trainé, humilié mais une valorisation des capacités et des talents, une occasion de se donner des raisons de croire à un lendemain meilleur, c’est que la victoire du 6 décembre 2022 obéit à la logique du Présent naît de l’Avenir : se fixer des objectifs et changer dans son présent ce qui doit l’être afin de faire de l’avenir un présent de demain. Le présent du 6 décembre (victoire marocaine) a été anticipé, il a été possible car un objectif a été fixé, on s’est donné des moyens de le réaliser. Ce ne sont donc pas, en Afrique, les capacités qui manquent mais des choix à faire de façon judicieuse. La pensée critique est, dans ce sens, une pensée prospective qui anticipe car « elle est l’interrogation renouvelée sur le sens, (une) remise en question permanente, (un) appel constant au dépassement, (une) tension vers l’avenir » (Maurice Kamto dans L’Urgence de la pensée).
La victoire du Maroc, après analyse, nous rappelle la phrase phare d’une organisation de la société civile qui depuis le 8 décembre 1991 a fait sienne ce slogan « Le Présent naît de l’Avenir ». Il est devenu pour elle son bâton de route. C’est donc à la fois sa philosophie et sa spiritualité. Il s’agit d’une association togolaise qui s’appelle Le Rameau de Jessé et la tribune hebdomadaire, qui se diffuse depuis novembre 2018, est une œuvre des membres de cette association qui a fait de la culture son terrain d’engagement.
Quel est le contexte de la naissance de cette organisation ? Personne ne peut nier l’immensité des problèmes auxquels est confronté le continent africain depuis des décennies. Sur tous les plans, politique, économique, social, culturel, scientifique, éducatif, sanitaire etc. les défis sont immenses et tout apparaît prioritaire. Dans une telle situation où les changements tardent à venir, la désespérance gagne les cœurs surtout ceux des jeunes qui ne pensent qu’à un ailleurs mais comment leur faire admettre que l’ailleurs c’est chez soi à transformer en tant qu’acteur ? Comment leur faire croire qu’un autre vivreensemble est possible dans la mise en commun des différences au service d’un avenir à faire advenir comme un présent souhaité, désiré, construit collectivement ? Comment transformer la situation désespérante comparable à une vieille souche, dont on n’attend plus rien apparemment, en une souche porteuse d’espérance ? C’est en ce moment que surgit une parole qui fait tomber les écailles des yeux pour rendre capable de constater qu’en chacun de nous « un monde nouveau est en germe » si nous changeons de regard et de représentation. La souche, en effet, porte quelque chose qui est en gestation et il faut savoir le voir et l’observer.
Prendre le nom du Rameau de Jessé, c’est faire référence à un texte, celui d’Isaïe 11, 1-11 mais fondamentalement, c’est être porteur d’espérance à partir de ce qui est en gestation en chacun de nous. C’est se découvrir porteur d’une espérance qui fait de chacun un acteur du changement. Et être acteur du changement pour un mieux-être ensemble dans le respect de l’harmonie des différences, c’est découvrir la diversité comme source de richesse, c’est comprendre que nos différences (ethniques, culturelles, politiques, religieuses etc.) ne doivent pas être des sources de conflits et de division si nous saisissons la pluralité comme l’expression des singularités qui composent l’existence. Dans le texte d’Isaïe 11, 1- 11 on lit en effet : « Le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau, le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit les conduire. La vache et l’ourse auront même pâture, leurs petits auront même gîte. Le lion comme le bœuf mangera du fourrage. Le nourrisson s’amusera sur le nid du cobra, sur le trou de la vipère l’enfant étendra la main. » N’est-ce pas un beau et pur rêve ? Où avez-vous vu tout cela une fois ? Peut-être dans des films nous dira-t-on ? Mais où a-t-on vu avant le 19ème siècle un gros et lourd engin, l’avion, rester stable en l’air et arriver à parcourir des centaines de kilomètres d’un continent à un autre ? L’imagination n’est-elle pas source de créativité ?
L’invention d’un mieux-être ensemble est aussi possible, il est de l’ordre du possible à réaliser. C’est de l’ordre de l’utopie mais au vrai sens du terme c’est-à-dire quelque chose qui n’a pas encore existé et qu’il faut faire exister. Il ne s’agit pas alors d’un rêve au sens de quelque chose d’illusoire mais il est question de se mettre en route pour la réalisation d’une société saisie, par la pensée créatrice, comme cadre d’épanouissement de chacun et de tous avec comme principe fondamental la justice. Le fruit de cette justice, qui maintient les individus reliés chacun à l’autre dans un rapport de solidarité, est la paix. Tenir ensemble par la justice et la justice sociale dans le respect des différences n’est-ce pas ce que nous recherchons tous pour un mieux-être politique, car exister c’est co-exister ? Donner un avenir à nos pays et à notre continent n’est-ce pas faire usage de la pensée comme faculté qui nous permet de transformer nos conditions d’existence en anticipant un avenir qui nous mobilise dès à présent et nous empêche d’être passifs ? Le Présent naît de l’Avenir nous permet de savoir que notre avenir nous appartient malgré tous les déterminants historiques. [email protected] Lomé, le 9 décembre 2022