Le 27 décembre 2022, à l’unanimité des députés présents à l’Assemblée nationale, deux projets de loi ont été adoptés. Le premier portant modification de la loi n°2016-008 du 21 avril 2016 relative au code de justice militaire, et le second lié au statut des magistrats et auxiliaires des juridictions militaires. Par le vote de ces deux lois favorisant l’opérationnalisation de la justice militaire au Togo, les Togolais peuvent alors se demander si les infractions de toute nature, commises par des militaires ou assimilés, leurs coauteurs et leurs complices ne resteront plus impunies ? Analyse !
C ’est depuis 1981 que le Togo s’est doté de son premier code militaire qui n’a jamais été rendu opérationnel. Trente-cinq années plus tard, soit en 2016, ledit code a fait l’objet d’une totale refonte avec la révision de 34 articles pour promouvoir les juridictions spécialisées. En 2022, ce code a, une nouvelle fois, été révisé avec des dispositions qui favorisent l’opérationnalisation des juridictions militaires au Togo. Est-ce enfin la fin de l’impunité et le début de la justice aux victimes ? La question demeure.
Le Togo et la culture de l’impunité…
De l’espoir au désespoir, la Cvjr n’a été qu’une tribune de l’histoire. Loin des attentes des populations togolaises qui croyaient enfin connaitre et les principaux bourreaux et leurs commanditaires retranchés derrière le voile du sang depuis des lustres, ces populations ont vite déchanté. Car, après 34 mois de travaux de Mgr Barrigah de la Cvjr, travaux qui devraient permettre la manifestation de la vérité pour l’installation de la réconciliation au travers de la justice, rien de tout ce qui vient d’être annoncé, souhaité ou espéré ne sera connu. Pis, ici, on tue de sang-froid et, on continue de tuer sans ménagement.
« Aucun Togolais… n’est en sécurité »,
C’est une plainte de la Conférence des Evêques du Togo (CET) au terme de leur 1244ème session ordinaire tenue en 2020. Préoccupés et inquiets du climat d’insécurité qui règne au Togo avec son cortège de morts, de veuves, d’orphelins et de misère, les Evêques ont tiré la sonnette d’alarme sur la gravité de la situation en ces termes : « … depuis ce père de famille froidement abattu dans la nuit du 22 au 23 avril 2020 à Adakpamé, à deux pas de sa maison, jusqu’au Lieutenant-Colonel, Commandant de la Brigade d’Intervention Rapide (BIR), lâchement assassiné dans son bureau dans la nuit du 3 au 4 mai 2020, en passant par ce jeune laveur de voitures tué en plein jour, le 21 mai 2020, dans une rue de notre capitale à Avédji par des forces de sécurité et de défense, pour ne citer que ces derniers cas en date. Tous ces meurtres et autres formes de violences montrent qu’aucun Togolais, quels que soient son rang et le lieu où il se trouve, n’est vraiment en sécurité », écrit, dépitée, la Conférence des Evêques du Togo avant d’ajouter : « la situation est aggravée par le sentiment d’impunité dont bénéficient les auteurs de ces forfaits qui agissent parfois à visage découvert, et par des pressions psychologiques et morales parfois infligées aux parents et aux proches des victimes, ainsi que par des tentatives de corruption pour leur faire accepter l’inacceptable ».
En appelant à la cessation immédiate et sans délai de ces crimes, les Evêques demandent que les enquêtes diligentées aboutissent et que les auteurs et commanditaires soient arrêtés, jugés et punis conformément aux lois en vigueur. « De tels crimes offensent gravement le Créateur et Maître de toute vie », concluent-ils. L’Etat, les a-t-il écoutés ?
Avènement de la justice militaire… la panacée ?
Présumés coupables de diverses exactions commises sur leurs concitoyens sans défense, du zèle à la méchanceté, en passant par l’exécution de funestes ordres, nombreux sont ces soldats togolais qui deviennent de véritables bourreaux pour les populations. De l’assassinat de Anselme et Douti, deux élèves adolescents tombés sous les balles à Dapaong, à celui du Colonel Madjoulba, sans oublier Moufidou, le petit mécanicien tué à Agoè-Zongo, ou encore Mohamed, jeune larité (FDS) qui feignent ignorer au moment de leurs macabres actes, la question du droit international humanitaire. Le hic est que tous ces crimes sont restés impunis et leurs auteurs et/ou commanditaires sont, pour la plupart, inconnus.
Aujourd’hui, avec l’installation prochaine des juridictions militaires au Togo, beaucoup se demandent si cela pourrait véritablement aider les assassins à calmer leurs énergies cruelles, fougueuses et mortifères.
Qu’à cela ne tienne, aux termes de l’article 47 du nouveau code militaire, il est prévu que les juridictions militaires connaissent « les infractions de toute nature commises par des militaires et assimilés, en service ou à l’occasion du service ; dans les casernes, quartiers et établissements militaires ou chez l’hôte, c’est-à-dire le lieu où est hébergé le militaire ou le paramilitaire ». Dans l’alinéa 4, il est plus question des « infractions de toute nature commises par cide volontaire ou non, à l’instar de celui qui, de sangfroid, a tiré et atteint mortellement Mohamed, Moufidou, Anselme, Douti, Madjoulba, Alabi, etc. devront bientôt comparaitre devant une juridiction militaire pour répondre de leurs actes. Un procès qui, dans l’esprit de l’article 92 du code, devra être public à moins que le tribunal militaire n’ordonne un huis clos si la publicité des débats est de nature à porter gravement atteinte à la sécurité nationale, à l’ordre public ou aux bonnes mœurs.
Au demeurant, avec l’adoption du nouveau code militaire, peut-on déjà croire que des soldats à la « gâchette facile » réfléchiront plus longuement avant de dégainer sur de pauvres civils ? Seuls l’orientation des débats et les premiers résultats des juridictions militaires édifieront. Cependant, si le rêve est gratuit, alors il est permis. Rêvons !
Sylvestre BeniLa Manchette