L’année scolaire 2023-2024 commence ce lundi 25 septembre 2023 sur tout le territoire national togolais. Des millions d’élèves, du préscolaire en Terminale, reprennent ainsi les chemins des classes, pour environ 9 mois. A la faveur de son entrée au Commonwealth le 25 juin 2022, le Togo, pays francophone, instaure l’anglais au niveau préscolaire et primaire, une langue enseignée officiellement depuis des décennies aux élèves à partir de la classe de 6ème.
Dans une interview accordée ce dimanche, veille de la rentrée à la télévision nationale (TVT), le ministre des enseignements primaire, secondaire et technique a donné des précisions à ce propos.
« Le Togo, dit Prof. Dodzi Komla Kokoroko, a adhéré au Commonwealth. Nous n’inventons pas la roue puisque déjà dans des établissements privés, il y a cette expérimentation de l’anglais. Ce que nous essayons de faire cette année 2023-2024, c’est de procéder par pilote à travers toutes les régions éducatives et puis certains établissements du cours primaire puissent se saisir donc pour l’introduction de l’anglais. Et, les conséquences sur les conclusions qui seront tirées, nous permettront de généraliser l’enseignement de l’anglais sur le territoire national. Considérant que ce n’est pas quelque chose d’extraordinaire, cela a été retardé mais c’est venu, conformément aux engagements politiques du président de la République ».
Le ministre dit souhaiter qu’on puisse quitter le terrain de l’anglais écrit en allant sur le terrain de l’oral. « Que nos élèves puissent parler assez facilement. Je ne dis pas que l’introduction suffirait mais il faut aussi des laboratoires de langues qui feront partie d’un package que nous déroulons tout au long des années à venir », a-t-il appuyé.
Cette introduction de l’anglais dans les curricula fait partie d’un certain nombre de réformes engagées par ce ministre. Ce que tout le monde peut remarquer, c’est que les réformes en question n’accordent aucun intérêt aux langues dites locales. Il est vrai que l’anglais est une langue de renommée internationale, qui plus est une langue qui s’impose aujourd’hui comme première langue de discussion partout où besoin est. Il n’est pas non moins vrai que le Togo, avant d’être un pays francophone et anglophone, est culturellement attaché à des langues. Certaines de ces dernières (Ewe et Kabye), sont enseignées comme des langues facultatives dans les établissements scolaires. Tout est une question de points. Les élèves qui s’adonnent à ces langues, ont besoin de glaner quelques points pour faciliter la réussite aux examens.
L’autre remarque, c’est que cette situation où on fait des langues étrangères, des langues officielles et des langues dites locales, des langues ‘non vivantes’, n’est pas seulement une affaire du Togo. Partout en Afrique, c’est ce qui se fait depuis des lustres. Nos Etats, même indépendants, sous réserve de quelques-uns notamment le Rwanda qui attache de l’importance à son Kinyarwanda, ne sont pas encore parvenus à inscrire des langues locales au rang de langues officielles dans lesquelles on étudie toutes les disciplines.
Une bonne vingtaine d’Etats africains sont membres du Commonwealth. On peut citer l’Afrique du sud, le Botswana, le Cameroun, l’Eswatini, la Gambie, le Ghana, le Kenya, le Lesotho, le Malawi, Maurice, la Mozambique, la Namibie, le Nigéria, l’Ouganda, le Rwanda, la Sierra Leone, la Tanzanie, la Zambie etc. A ces anciens, il faut ajouter des nouveaux pays comme le Togo et le Gabon.
Qu’ont fait nos langues pour mériter cette relégation au dernier plan ?
Cette situation appelle une question : quelle faute les langues dites locales ont commise en Afrique noire pour qu’elles soient confinées au dernier rang ? Le phénomène est très inquiétant quand on sait que ces langues dites locales sont en voie de disparition. La preuve, c’est qu’actuellement, même à la maison, les enfants conversent avec leurs parents en français ou en anglais. Beaucoup de jeunes africains n’ont jamais franchi une frontière mais, ils parlent les langues étrangères comme ces étrangers eux-mêmes.
Cette situation a certainement conduit le Camerounais Mbog Bassong à dresser ce constat qui fait mal au cœur : ‘le chinois est chinois, l’Indien est indien, l’Arabe est arabe, le Russe est russe, le Français est français, l’Anglais est anglais. L’Africain est tout ce qui précède, sauf lui-même ».
A bien y voir, le phénomène a des racines de baobab. Ces atrocités que sont l’esclavage et la colonisation, sont encore passées par là. Lorsqu’il écrivait en 1960 son ouvrage intitulé ‘Les fondements économiques et culturels d’un Etat d’Afrique Noire’, Cheikh Anta Diop invitait les pays africains naissant à l’extrême circonspection à l’égard de ce qu’il qualifiait de ‘tentatives discrètes de saxonisation’ de l’Afrique Noire, compte tenu, ajoutait-il, de l’étendue des territoires de colonisation britannique. « L’effort conjugué de l’Angleterre, et des Etats-Unis surtout, tend à bouleverser les habitudes ‘intellectuelles’ et à amener les anciennes colonies françaises, portugaises etc, à opter pour l’anglais de manière que l’unification linguistique se fasse à partir de cette langue. Mais l’unité linguistique sur la base d’une langue étrangère, sous quelque angle qu’on l’envisage, est un avortement culturel. Elle consacrerait irrémédiablement la mort de la culture nationale authentique, la fin de notre vie spirituelle et intellectuelle profonde, pour nous réduire au rôle d’éternels pasticheurs ayant manqué leur mission historique en ce monde », écrit-il.
Pour ce savant, un Africain éduqué dans une autre langue africaine de culture quelconque, est moins aliéné culturellement parlant que s’il l’était dans une langue européenne. Avec perte définitive de sa langue maternelle, bien sûr !
La culture, le mot est lâché !
Une petite analyse de l’idée du Camerounais Mbog Bassong citée plus haut permet de voir sans grands efforts que ce qui est en jeu, c’est la culture. Voici ce qu’on retient de la définition de l’UNESCO de ce mot : « la culture est considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances ».
Ce qu’on remarque, c’est que les autres, notamment les Chinois, les Indiens, les Arabes, les Russes et même les Français et les Anglais, accordent une place de choix à leur culture. On sait les reconnaître. Alors, la question est de savoir pourquoi les Africains, même indépendants, aiment tant à se voir à travers les autres ?
C’est un fait incontestable, la langue est l’instrument de la culture. Toute culture se transmet à travers elle. Autrement, qui parle anglais, français, ewe, kabyè ou wolof, est intrinsèquement lié à la culture que dégagent ces langues.
« L’influence de la langue est si importante que les différentes métropoles européennes pensent qu’elles peuvent sans grand dommage se retirer politiquement de l’Afrique d’une façon apparente, en y restant d’une façon réelle dans le domaine économique, spirituel et culturel. La capitulation culturelle est un fait acquis, compte tenu de notre ignorance des problèmes vitaux qui n’épargne même pas certains responsables politiques », lâche encore le Sénégalais Diop.
L’Union africaine doit choisir une langue africaine
Devant ce tableau, on se demande que faire pour sortir de l’ornière. L’histoire nous enseigne que les langues auxquelles nous accordons tant d’importance aujourd’hui, au point d’en faire des langues d’éducation, au détriment de nos propres langues, ne sont pas nées ‘langues internationales’. D’abord, elles ne concernaient qu’un petit peuple. C’est par la suite que des gens, suffisamment conscients de l’importance de la langue dans la vie d’une société, sont arrivés, par le travail, qu’il s’appelle colonisation ou autre chose, à donner plus de territoires à ces langues. Les Africains doivent pouvoir copier les bons exemples.
De plus, l’Union africaine, l’organisation africaine qui regroupe presque tous les Etats africains, doit pouvoir se décider à choisir une ou 2 langues africaines et en faire des langues d’éducation, de gouvernement et bien plus. Il en va du ‘vrai’ développement de l’Afrique. Ce n’est que comme cela que l’hégémonie britannique, française…peut s’estomper d’année en année.
Une fois que cette langue africaine est choisie, il n’y a pas de doute que les autres, qu’ils s’appellent Français, Anglais, Indiens, Chinois, Russes, Arabes etc, seront obligés d’apprendre cette langue dans leur cadre respectif, pour venir faire affaires en Afrique. Ils ont d’ailleurs intérêt parce que plus personne n’ignore l’intérêt que tout ce beau monde accorde à l’Afrique et ses richesses.
Ecrit par Kofi Telli
Source : Globalactu