Un collectif des organisations de la société civile réagit à la curieuse annonce de l’Assemblée nationale togolaise d’ouvrir une enquête sur le Rapport d’audit du Fonds de riposte et de solidarité Covid-19, gestion 2020. “Que doit-on penser de ce revirement de l’Assemblée nationale qui jadis s’est prononcée en faveur du gouvernement sur la polémique relative à la gestion des fonds Covid ?”, se demandent ces organisations. Lecture.
Déclaration des Organisations de la Société Civile relative à la curieuse annonce par l’Assemblée nationale togolaise d’ouvrir une enquête sur le Rapport d’audit du Fonds de riposte et de solidarité Covid-19, gestion 2020.
1. Le 06 octobre dernier, l’Assemblée nationale togolaise a avalisé la liste des membres de la commission spéciale et autorisé ladite commission composée de 27 membres, à désigner une mission d’information et de contrôle sur le rapport d’audit du fonds de riposte et de solidarité contre la Covid-19, (FRSC) 2020 de la Cour des comptes. Après 45 jours, un rapport sera déposé sur le bureau de la Présidente de l’Assemblée nationale et l’acte de dépôt sera publié au Journal Officiel de la République Togolaise. Madame Yawa Tsègan, présidente de l’Assemblée nationale, a indiqué qu’il s’agit d’une prise de responsabilités de son institution dans le cadre du contrôle de l’action du gouvernement. Que doit-on penser de ce revirement de l’Assemblée nationale qui jadis s’est prononcée en faveur du gouvernement sur la polémique relative à la gestion des fonds Covid ?
2. En effet, après la publication du rapport de la Cour des comptes sur la gestion des fonds Covid-19 avec toutes les irrégularités et le lot des personnalités nommément mises en cause dans le document, l’Assemblée nationale avait, lors d’une curieuse session extraordinaire tenue le mardi 21 février 2023, en présence d’une quinzaine de ministres, affiché son soutien au gouvernement, en dépit des irrégularités relevées dans ledit rapport. Pour rappel, lors de ladite séance, le parlement avait, par la voix de sa présidente, explicitement soutenu dans son discours que : « l’ingéniosité, l’engagement, le sens de responsabilité, le respect et la protection de la vie humaine et particulièrement la vie du citoyen togolais, le sens de l’anticipation dont a fait preuve le gouvernement pendant la période de crise sous la houlette d’un grand leader, Son Excellence M. Faure Essozimna Gnassingbé, président de la République, qui sait agir non seulement en temps de paix mais également en temps de crise », avant de conclure que « même si on peut relever quelques insuffisances dans le rapport d’audit, l’essentiel est d’avoir sauvé des vies humaines. Il est extrêmement important de le noter et de témoigner toute sa gratitude au Dieu créateur ». N’était-ce une manière de faire l’apologie des détournements constatés et de cristalliser l’impunité ?
3. On y voit un soutien maladroit de la présidente de l’Assemblée nationale aux personnalités gouvernementales mises en cause dans le rapport de la Cour des comptes. Et pour mémoire, seul le député du Mouvement des Républicains Centristes (MRC), l’Honorable Abass Kaboua avait manifesté sa vive désapprobation vis-à-vis de cette incongruité du parlement, puis s’est insurgé contre la gestion irrationnelle des comptes Covid et a demandé au président de la République du Togo de prendre ses responsabilités face à cette situation que tentent d’étouffer les membres du Gouvernement avec la complicité de l’Assemblée nationale.
4. Par ailleurs, cette affirmation de la présidente de l’Assemblée nationale face à de graves irrégularités soulevées et interprétée comme une allégeance affichée des parlementaires vis-à-vis de l’exécutif, contraste aujourd’hui avec la posture de cette même Représentation nationale qui se met subitement dans le rôle de contrôle des actions du gouvernement.
MAIS QU’EST-CE QUI PEUT BIEN AMENER L’ASSEMBLÉE NATIONALE ET SA CHEFFE À VOULOIR CHANGER DE POSTURE VIS-À-VIS DE CETTE AFFAIRE RELATIVE À LA GESTION DES FONDS DE COVID ?
5. La gouvernance au sommet de l’État togolais est caractérisée par un pouvoir absolu entre les mains d’un groupuscule qui se permet toutes formes de vices imperméables à l’éthique, et dont la corruption est dans sa forme la plus banale que la nature humaine ne peut tolérer.
6. Face à cette prévarication avancée des hautes institutions de la République qui contraste avec l’inaction, voire l’incapacité du système judiciaire inféodé au pouvoir, les Organisations de la Société Civile ont, dans un premier temps, suivant communiqué N°4 du 25 février 2023, condamné cette complicité de la Représentation nationale, particulièrement de son bureau, dénoncé une pratique d’une légèreté blâmable qui met en péril la démocratie, le peuple, ses droits et ses libertés, et appelé inévitablement à une sanction populaire le moment venu. À cette occasion, elles ont demandé aux partenaires en développement, notamment au Groupe des Cinq Représentations diplomatiques accréditées au Togo, la Banque Mondiale, la Banque Africaine de Développement, aux institutions de Bretton Woods, à la Banque d’investissement et de développement de la CEDEAO, à maintenir leurs pressions sur le pouvoir togolais, afin que toute la lumière soit faite sur ces malversations restées toujours impunies, et devenues récurrentes sur le dos des pauvres contribuables.
7. Dans un second temps, nos Organisations ont déposé, avec deux journalistes, un recours devant la Cour de justice de la CEDEAO en vue de situer l’opinion publique sur l’état des lieux de la gouvernance et de la corruption. Une procédure est donc pendante devant la haute juridiction communautaire, et oppose dans un débat juridique, les avocats de l’État togolais d’une part, et les avocats des Organisations de la Société Civile et du peuple togolais, d’autre part. C’est donc dans cette situation que les autorités tentent une stratégie de fuite en avant en voulant ravaler leurs vomissures, histoire de se trouver une parade pour protéger les réseaux de corruption.
8. Par principe, le pouvoir législatif incarné par l’Assemblée nationale est l’un des piliers qui devrait soutenir les fondements de la démocratie, d’État de droit et des droits de l’homme pour garantir la bonne gouvernance politique et économique indispensable aux valeurs de la liberté inhérentes à tout être humain. La finalité de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire consiste en la protection de l’intégrité de tous les citoyens, à l’équité de la justice et au bien-être du plus faible.
9. Contrairement à ces principes cardinaux de gouvernance, les acteurs des institutions qui détiennent les leviers des pouvoirs d’État au Togo se sont dissous dans un culte de personnalité qui frise une allégeance aveugle au détriment de l’éthique, de la raison et du bon sens. En considérant les faits suivants qui ont marqué les actions de la présidence de l’Assemblée nationale togolaise cette année, on se rend compte des incohérences empreintes d’amateurisme professionnel notoire intolérable : d’une part, l’institution parlementaire avec à sa tête la présidente de l’Assemblée nationale s’est curieusement invitée dans le débat politique de la République gabonaise en apportant son soutien avec les moyens du contribuable togolais au candidat Ali Bongo, en violation de l’indépendance du pouvoir législatif ; d’autre part, elle a orchestré des manœuvres destinées à noyauter le rapport de la Cour des comptes et à lui priver des suites judiciaires qui devraient normalement lui être réservées.
10. Au vu de ce qui précède, il est à relever sur la forme que la présente législature est à la fin de sa mandature et ne dispose d’aucune représentativité pour s’exprimer sur un dossier aussi sérieux qui renvoie à l’éthique de la gouvernance. Sur le fond, l’Assemblée nationale a perdu toute légitimité et toute crédibilité, et ses responsables dépourvus de toute éthique pour pouvoir assumer la responsabilité d’une enquête relative à la gestion des fonds Covid-19. Du reste, il est tout de même aberrant, voire dispendieux de mettre sur pied une commission d’enquête parlementaire pour apprécier le travail fait par des experts d’une institution investie de compétences juridictionnelles.
11. En tout état de cause, les Organisations de la Société Civile rejettent en bloc cette attitude fantaisiste des députés du parti au pouvoir et de la présidence de l’Assemblée nationale qui, sous des prétextes mensongers d’assainissement des finances publiques, cherchent plutôt à allonger la mandature arrivée à échéance.
12. Il convient de rappeler qu’aux termes des dispositions des articles 51 et 52 de la Constitution togolaise [dans sa version en vigueur avant les élections législatives de décembre 2018 puisque c’est elle qui est applicable] : « Le pouvoir législatif, délégué par le peuple, est exercé par un Parlement… » « Les députés sont élus au suffrage universel […] pour cinq ans. Les élections ont lieu dans les trente jours précédant l’expiration du mandat des députés ». Il s’en infère que le mandat des députés est conféré uniquement par le peuple pour cinq ans et qu’aucun texte de loi ne peut se substituer au peuple pour prétendre allonger un mandat parlementaire. Seul donc le peuple confère la représentativité par les urnes pour cinq ans. Dans le cas d’espèce, le gouvernement n’ayant pas été capable d’organiser les élections législatives dans le délai constitutionnel, les principes démocratiques exigent une gestion consensuelle entre les différentes composantes essentielles du pays par un gouvernement de transition, dans l’optique d’opérer des réformes consistantes en vue de l’organisation d’élections équitables, transparentes et acceptables par tous.
13. C’est pourquoi, nos Organisations exhortent la mission du Programme des Nations Unies pour le Développement qui siégera au Togo dans les prochains jours, à constater la fin de la législature en cours pour créer les conditions d’une transition politique et aboutir à l’organisation des élections générales en 2025 (Législative, Régionale, Locale et Présidentielle) sous l’égide de la CEDEAO, de l’Union Africaine, de l’Union Européenne, des USA et de l’ONU.
14. Cette transition devra œuvrer pour les conditions de décrispation des tensions créées par les longues crises et favoriser l’apaisement via la mise en œuvre de trois points fondamentaux à savoir :
La libération de tous les prisonniers politiques,
Le retour de tous les exilés politiques,
L’organisation des assises nationales.
15. Par ailleurs, les Organisations de la Société Civile, par cette occasion viennent se désolidariser du discours que les autorités gouvernementales ont prononcé lors de la dernière session de l’Assemblée Générale de l’ONU tenue à New York. Le peuple togolais ne se reconnaît pas dans ce discours hypocrite qui cache mal le refus de l’alternance politique et le rejet des règles démocratiques, pour assouvir des ambitions d’une présidence à vie, à travers la manipulation des activistes sous le prétexte d’un panafricanisme frelaté et intéressé, empreint de populisme, sans vision ni repère. Non au panafricanisme déguisé et mu par l’instinct de conservation du pouvoir d’État.
16. Ce dont « nous sommes fatigués » au Togo, c’est la longévité du président de la République actuelle qui ose ambitionner un cinquième mandat. « Nous sommes fatigués » de la mal gouvernance, « nous sommes fatigués » du gouvernement qui a banalisé la corruption, « nous sommes fatigués » des dirigeants sans éthique, et qui ont affamé le peuple pour s’offrir des immeubles et des paradis fiscaux en occident avec les ressources du pays, « nous sommes fatigués » d’une diplomatie qui saigne le peuple pour de fallacieuses et prétendues médiations interminables avec l’argent du contribuable, « nous sommes fatigués » de l’inflation et de la vie chère pendant que les dirigeants et leur famille vivent dans une opulence sultanesque avec l’argent de la corruption, « nous sommes fatigués » des dirigeants qui ne respectent pas les décisions de justice et leurs engagements devant la communauté internationale, « nous sommes fatigués » des dirigeants qui nous mènent en bateau et qui n’ont aucune considération pour le peuple.
Pour les Organisations,
M. Monzolouwè B. E. ATCHOLI KAO
Président de l’ASVITTO