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Les dieux de la courte échelle

L’ancien Premier ministre et président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire, de retour au-devant de la scène, semble en vouloir tout particulièrement à l’actuel chef de l’État, dont il se dit « le bienfaiteur », sans pour autant préciser en quoi ont effectivement consisté lesdits bienfaits. Nombre de ses concitoyens auraient plutôt tendance à considérer qu’il a, surtout, eu beaucoup de chance, en politique.

Guillaume Soro, à Niamey, c’était l’image de la semaine. Pourquoi le général Tiani, chef de la junte nigérienne, qui a déjà tant de mal à se faire accepter par les autres États, reçoit-il de la sorte un opposant en délicatesse avec le pouvoir ivoirien ?

En Afrique, nombre de chefs d’État affectionnent régler les inimitiés avec leurs pairs par un soutien perfide à leurs opposants respectifs. Accueil, facilités financières et, à l’occasion, de quoi déstabiliser franchement un régime. Certains opposants en jouent, qui savent identifier les dirigeants hostiles aux leurs, pour se voir offrir de quoi les mettre dans l’embarras. C’est à cela que jouaient le général Tiani et Guillaume Soro devant les caméras. D’ordinaire, c’est plus discret, et il faut, à certains chefs d’État, des années pour réaliser que leur principal opposant émarge chez tel de leurs homologues, qu’ils détestent.

Mais le général Tiani voulait, à l’évidence, que l’on sache, à Abidjan, qu’il recevait Guillaume Soro. Ce n’est pas sans risque. Certains se souviennent sans doute de Salif Diallo, homme d’État burkinabè, en rupture ouverte avec Blaise Compaoré, accueilli à Niamey, discrètement, mais à bras ouverts, par l’ancien président Mahamadou Issoufou. Sachant la capacité de nuisance du président du Faso, son homologue nigérien avait pris soin de le prévenir. Blaise Compaoré feignit de comprendre. Mais, se préparait aussitôt à déstabiliser le Niger, notamment en soutenant son principal opposant. Et Compaoré y serait parvenu, si l’insurrection d’octobre 2014 n’avait emporté son régime.

La pratique était-elle aussi répandue que cela ?

Répandue à un point que vous ne pouvez imaginer. Les opposants à Sékou Touré étaient accueillis à bras ouverts dans la Côte d’Ivoire d’Houphouët-Boigny, de juteuses opportunités d’affaires à la clé. De nombreux opposants d’Afrique francophone trouvaient, dans le Gabon d’Omar Bongo, les soutiens dont ils pouvaient avoir besoin… Les opposants de Sao Tomé recevaient, en Angola, des soutiens utiles. Mais, un opposant pouvait voir sa source, du jour au lendemain, parce que les deux chefs d’État avaient fumé le calumet de la paix. Ainsi, lorsque, vers la fin des années 1970, Sékou Touré et Houphouët-Boigny ont normalisé leurs relations, les opposants guinéens avaient été sommés d’aller à Conakry se réconcilier avec Sékou Touré. Ceux qui n’ont pas obtempéré ne tarderont pas à le sentir au portefeuille.

Il n’y a donc, finalement, rien d’anormal dans ce qui vient de se produire à Niamey. Rien à reprocher à Soro et Tiani…

Rien, en effet. Seulement, du temps de la rébellion ivoirienne, Soro était vraiment chez lui, à Ouaga, où convergeait le butin engrangé dans la moitié nord de la Côte d’Ivoire, contrôlée par ses troupes. Le Niger n’a pas de telles facilités à lui offrir. De Niamey, il devra donc se contenter d’user de la seule arme qu’il lui reste : le verbe. En espérant que les Nigériens ne se lasseront pas trop vite de ses vociférations, et de ce besoin de rappeler sans cesse qu’il est « le bienfaiteur » d’Alassane Ouattara, qui lui devrait d’être devenu le chef d’État qu’il est.

Ce procès en ingratitude est à la fois monotone et pathétique, au regard du destin de cet ancien leader syndical étudiant, qui a ressurgi, en 2002, comme porte-parole et leader d’une rébellion armée en panne de chef. Tout s’est accéléré, en février 2003, lorsque les rebelles, devenus Forces nouvelles, récoltèrent des postes ministériels, dont un pour l’ancien étudiant. 2005. Guillaume Soro est ministre d’État. Puis, il devient, en 2007, Premier ministre. De Laurent Gbagbo, puis d’Alassane Ouattara. Il est de plus en plus indispensable. Élu président de l’Assemblée nationale, en mars 2012, il restera au perchoir jusqu’à sa disgrâce, en 2019. En raison du rôle qu’il estimait avoir joué pour hisser Ouattara à la magistrature suprême, il pensait que ce dernier lui vouerait une gratitude à vie.

D’où son amertume, d’autant plus pathétique qu’il feint d’ignorer que, pour engranger aussi facilement pouvoir, gloire, et puissance dans ce jeu de la politique, il lui a souvent fallu forcer les dieux de la courte-échelle.

Chronique de Jean-Baptiste Placca du 18 novembre 2023

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Là-bas Lomé
November 19, 2023 11:01 am

Si Jean-Baptiste Placca pouvait aussi quitter RFI comme Alain Foka !!! Mais le togolais n’est pas courageux !!!!

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