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Togo – Lettre ouverte à Faure Gnassingbé sur le projet de la Loi de 1901 sur la liberté d’association

Dans une correspondance datée du 22 janvier 2024, des représentants d’organisations de la société civile togolaise exhortent le chef de l’Etat, Faure Gnassingbé à exercer judicieusement ses compétences constitutionnelles pour garantir la préservation totale de la liberté d’association au Togo.

LETTRE OUVERTE

À Son Excellence Monsieur Faure Essozimna GNASSINGBÉ, Président de la République du Togo,

PALAIS DE LA PRÉSIDENCE

Lomé-TOGO

Lomé-Paris le 22 janvier 2024

OBJET : LA LIBERTÉ D’ASSOCIATION EN DANGER EN RÉPUBLIQUE TOGOLAISE

Monsieur le Président de la République, Il n’existe pas de démocratie sans contrepoids. Les associations constituent dans un système démocratique un rempart contre les abus possibles du pouvoir et protègent les citoyens contre l’oppression dans un pays démocratique. Les associations sont des espaces de vitalité et d’expérimentation démocratique sans égal : au sein des associations, les individus s’engagent et regagnent du pouvoir d’agir, en participant à un projet qu’ils portent collectivement, en repensant la participation citoyenne. Les associations évitent un face-à-face entre l’individu et le pouvoir politique, elles médiatisent les rapports entre les citoyens et les gouvernants.

La liberté d’association, qui induit celles de réunion et de manifestation pacifiques publiques, est l’un des baromètres de l’expression démocratique, le critère essentiel auquel on reconnaît un régime démocratique. De nombreuses instances d’expression de la volonté des citoyens existent hors du cadre institutionnel, la démocratie se vit et s’expérimente à chaque instant dans la société civile.

Alexis Tocqueville a soutenu que : « Dans les pays démocratiques, la science de l’association est la science mère ; le progrès de toutes les autres dépend du progrès de celle-là. Parmi les lois qui régissent les sociétés humaines, il y en a une qui semble plus claire et plus précise que toutes les autres : pour que les hommes restent civilisés ou le deviennent, il faut que parmi eux l’art de s’associer se développe et se perfectionne ».

Malheureusement, il est une dure réalité de constater que depuis un certain temps, la liberté d’association, quoique constitutionnellement reconnue, connaît des restrictions majeures dans notre pays et dans cette lancée, son exercice et sa jouissance sont véritablement en voie de disparition.

Les faits relatifs à la menace sur la liberté d’association au Togo

Le cadre juridique qui régit la liberté d’association au Togo est la loi de 1901, une loi qui répond bien à la place de la Société civile dans ses prérogatives de veille sur la gouvernance en vue de protéger les droits inhérents à la personne humaine consacrés par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH), dont le 75ème anniversaire a été commémoré cette année avec des invités de marque parmi lesquelles les autorités togolaises. Curieusement, les actes que vous posez à travers vos collaborateurs au retour de cet événement mondial sur les valeurs des droits humains présagent une entrave dangereuse aux libertés fondamentales, et plus particulièrement à la liberté d’association .

En effet, le 12 janvier 2024, sous votre présidence, s’est réuni le « gouvernement de fait » dont le compte rendu laissait transparaître que : « Le Conseil des ministres a examiné et adopté le projet de loi relatif aux associations au Togo. La Constitution du 14 octobre 1992, consacre la liberté d’association dans notre pays. Le cadre législatif national en la matière demeure cependant défini par des textes d’emprunt, et notamment la loi française du 1er juillet 1901, relative au contrat d’association, qui a été déclarée applicable au Togo par le décret 46-432 du 13 mars 1946. Après plusieurs décennies d’application, cette loi révèle des difficultés, limites et insuffisances qui rendent nécessaire une refonte du cadre juridique relatif aux associations afin de l’adapter aux réalités actuelles. Concrètement, le projet de loi vise à régir, d’une part, les associations nationales et, d’autre part, les associations ayant leur siège à l’étranger ».

Les Organisations de la Société Civile togolaise, après avoir examiné cette décision relative à la loi de 1901, découvrent avec regret de véritables anomalies et manquements sur la forme et sur le fond.

D’abord sur la forme :

1. Le vide institutionnel dans lequel se trouve le Togo conformément aux articles 52 et 78 de la Constitution, fait que cette démarche est nulle et de nul effet, car dépourvue de tout fondement constitutionnel. En effet, au nombre des acteurs ayant participé au Conseil des ministre ayant donné lieu à l’examen et à l’adoption du projet de loi en cause seul le chef de l’État est reconnu par la Constitution, mais ne détient pas à lui seul les prérogatives d’un Conseil de ministre et de l’initiative d’un avant-projet de loi, mieux de procéder à son examen et son adoption.

2. Aussi, l’article 52.6 énonce que les membres de l’ancienne législature ont le statut d’« anciens députés » et ne peuvent plus légiférer. Dans cette logique, il n’y a plus de représentants légitimes et légaux au sein de la Commission des lois et toutes les autres Commissions de l’Assemblée nationale. En conséquence, tout ce qui se fera hors du cadre constitutionnel et de façon musclée aura des conséquences à l’avenir et les responsabilités seront clairement situées le moment venu par l’histoire de notre pays.

3. Sur les principes relatifs à l’étude et à l’élaboration des lois d’importance nationale et dans un processus d’inclusion, comme l’amendement de la loi de 1901 s’il y avait véritablement besoin, un travail préliminaire s’avère incontournable dans un cadre associant les principaux acteurs nationaux de base concernés par la loi visée, notamment les responsables des organisations de la société civile.

Pour rappel, lors de la première tentative de la modification liberticide de la loi de 1901 par votre gouvernement en 2016, le Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, la Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l’homme et le Rapporteur spécial sur la liberté de religion ou de conviction, suivant leurs mandats respectifs, ont adressé, dans une correspondance référencée OL TGO 3/2021 datée du 13 août 2021, la recommandation suivante à l’endroit du gouvernement togolais : « Enfin, le processus d’adoption de l’avant-projet aurait manqué de transparence, puisque la majorité des associations togolaises n’a pas participé au processus d’élaboration de ce nouvel avant-projet de loi et ne sait ce que sa modification contient ».

Relativement à ce rappel d’ordre auquel les autorités togolaises étaient conviées à respecter, les organisations de la société civile constatent avec regret que le gouvernement togolais récidive dans le désordre et le forcing, et continuent de bafouer les recommandations des Procédures spéciales de l’ONU sur les principes relatifs à l’étude et à l’élaboration des lois dans un pays démocratique. Car, les organisations de la société civile non seulement n’ont pas été associées à l’étude et à l’élaboration de l’avant-projet de loi en cause, mais aussi ne disposent pas du document en question pour faire éventuellement leurs observations.

En réalisant que les autorités togolaises manifestent une tendance affichée pour une gouvernance autarcique quand au respect des principes élémentaires des règles démocratiques, d’État de droit et des droits de l’homme, les Rapporteurs spéciaux ont rappelé dans leur correspondance susmentionnée ce qui suit : « Dans le cadre de cet examen du texte législatif en cause, nous craignions que l’adoption et l’application de ce texte de loi puisse entraîner des atteintes importantes aux droits humains et aux libertés fondamentales, notamment le droit à la liberté d’association tel qu’établi dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme à l’article 20, et l’article 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), auquel le Togo a adhéré le 24 mai 1984. De plus, l’article 50 de la Constitution togolaise adoptée en 1992 indique que les droits et devoirs inscrits dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme et dans les autres instruments ratifiés par le Togo font partie intégrante de la Constitution. Ensuite, la Déclaration de Philadelphie sur les buts et objectifs de l’Organisation Internationale du Travail, adoptée par le Togo le 7 juin 1960, indique en son article premier que la liberté d’association est une condition indispensable d’un progrès soutenu ».

Ensuite sur le fond :

Il faut rappeler, sans risque de se tromper, que votre gouvernement est dans une dynamique d’affaiblir, à l’intérieur du Togo comme dans la diaspora togolaise, les organisations de la société civile qui refusent les compromissions et l’argent de la corruption pour se taire devant les violations des droits de l’homme. Les autorités ont élaboré des stratégies pour sanctionner les organisations de la société civile qui refusent l’achat de conscience, parmi ces manœuvres on note :

1. Les pratiques discriminatoires des autorités togolaises vis-à-vis de la délivrance des récépissés. Des associations nouvellement créées se voient délivrer les récépissés, par contre, il existe des associations qui ont plus de dix ans d’existence et qui n’ont toujours pas obtenu le leur. À cet effet, dans leurs mandats respectifs, les Rapporteurs spéciaux de l’ONU ont notifié aux autorités togolaises ce qui suit : « Nous aimerions faire référence à la Résolution 22/6 du Conseil des droits de l’Homme qui requiert des États de garantir que la procédure régissant l’enregistrement des organisations de la société civile, et des associations des défenseurs des droits de l’Homme en particulier, soit transparente, accessible, nondiscriminatoire, rapide et peu onéreuse, qu’elle prévoit la possibilité de faire appel, évite d’exiger un renouvellement de l’enregistrement et soit conforme au droit international des droits humains (paragraphe 8). Également, en référence au paragraphe 56 du Rapport A/20/27 du Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association, les États ne doivent pas créer d’obstacles indus à la formation d’associations. Le droit à la liberté d’association couvre tous les types d’association, qu’elles soient formellement reconnues ou enregistrées, ou qu’elles aient un caractère informel (associations de facto) – tant qu’elles ont une structure institutionnelle. De plus, ce même rapport indique aux paragraphes 58 et 95 qu’une procédure de notification, plutôt qu’une procédure d’autorisation préalable demandant l’approbation des autorités pour établir une association, est plus conforme au droit international des droits humains et devrait être adoptée par les États. Il est également précisé que la procédure de notification peut toutefois constituer une violation lorsque ces exigences sont indûment contraignantes, coûteuses ou chronophages, ou lorsqu’elles sont utilisées pour refuser ou retarder le fonctionnement d’une association » ; «Toutefois, la loi de 1901 prévoit un délai de cinq jours entre la déclaration d’une association et la remise du récépissé de déclaration d’existence ».

Force est de constater que, malgré ces dispositions légales, les autorités togolaises n’ont pas la culture du respect de la loi de 1901 qui ne pose aucun problème ni aucune difficulté dans sa mise en application, et il est surprenant que ceux qui ne l’ont jamais mise en pratique y trouvent des difficultés.

Monsieur le Président de la République,

Un de vos proches collaborateurs a laissé entendre dans un ton zélé que la loi de 1901 « fait 123 ans cette année, mais elle a été rendue applicable dans notre pays à partir de 1946, soit à peu près 78 ans aujourd’hui. Cela veut dire qu’au fond, une loi que nous n’avons pas écrite, qui n’a pas tenu compte de notre contexte, s’applique à nous depuis plus de 78 ans. Alors qu’elle-même date de plus de 123 ans ». En réponse à cette autorité qui se reconnaîtra, la loi de 1901 lui répond : « j’étais vieillissante lorsque toi et ton avocate avaient eu recours à la Ligue Togolaise des Droits de l’Homme (LTDH), dont je suis le fondement juridique… ».

2. Toujours dans leurs pratiques discriminatoires, les autorités togolaises ont pris un arrêté ministériel référencé N°0011/SEDH portant création d’une plateforme multi acteurs de concertation et de collaboration, entre l’État, la commission nationale des droits de l’homme (CNDH), et les organisations de la société civile (OSC). Dans cet arrêté ministériel signé en catimini le 25 octobre 2018, les autorités ont coopté sept (7) associations de la société civile sur des bases non encore connues, en vue d’une collaboration avec les institutions. En regrettant profondément cette intention manifeste de bipolariser la société civile, les OSC non alignées ont condamné cette méthode d’une autre époque qui vient affaiblir l’efficacité des droits humains par la corruption d’État.

3. En découvrant avec regret que les multiples tentatives d’extinction de la liberté d’association, l’on se rend compte que les organisations de la société civile (OSC) qui sont dans le collimateur des autorités sont essentiellement celles qui dénoncent les violations des droits civils et politiques, les droits économiques et les droits collectifs.

Plus récemment encore et dans cette lancée de bâillonnement, il n’est pas superflus d’indexer la Note N°0270/MATDDT-SG-DATF-DRTE du 13 novembre 2023 du Ministère de l’Administration Territoriale, de la Décentralisation et du Développement du Territoire rappelant « à l’attention de tous les préfets que seules les Organisations Non Gouvernementales (ONG) et associations ayant des récépissés valides sont autorisées à mener des activités sur toute l’étendue du territoire national », ce qui est fondamentalement contraire à la liberté d’association et au principe de déclaration préalable qui la régit.

Les autorités togolaises prétendent avoir le monopole de la vie politique et, dans leur ignorance, pensent que cela reste une chasse gardée pour les acteurs politiques. Il convient de rappeler que le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques (PIDCP) est l’un des principaux traités défendus par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, ce qui donne non seulement le droit, mais l’obligation à toute organisation de la société civile de veiller à son respect conformément à l’article 50 de la Constitution togolaise du 14 octobre 1992. Aussi, la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH), en son article 21 donne le droit à tout individu de s’intéresser aux affaires publiques de son pays. En conséquence, les organisations de la société civile ont l’impérieux devoir de s’intéresser aux questions électorales et de veiller scrupuleusement au respect de la Constitution. Mais dans votre ardent désir d’avoir un pouvoir absolu et à vie, et de faire taire toute voix qui s’élève contre la mauvaise gouvernance, la corruption et toutes les anti valeurs qui caractérisent votre gouvernance actuelle et maintiennent les populations dans la précarité, vos collaborateurs belliqueux considèrent les OSC comme des ennemis à abattre. Pourtant, les organisations de la société civile ne cherchent pas à prendre le pouvoir pour l’exercer, mais sont restées dans leur rôle de veille et d’éveil.

En tout état de cause, les droits de l’homme, dont la liberté d’association, sont des droits universels, indivisibles, interdépendants et doivent être abordés de manière transversale.

Monsieur le Président de la République,

L’article 58 de la Constitution fait de vous garant du « respect de la Constitution et des traités et accords internationaux » et vous avez juré, devant Dieu et devant le peuple togolais, seul détenteur de la souveraineté populaire…, de ne vous laisser guider que par l’intérêt général et le respect des droits de la personne humaine…, de vous conduire en tout, en fidèle et loyal serviteur du peuple. Par conséquent, vous avez cette obligation constitutionnelle de respecter les lois nationales non pas selon vos intérêts partisans, mais dans l’esprit et la lettre du mandat que le peuple togolais vous a confié.

Au regard de ce qui précède, les organisations de la société civile vous demandent de faire usage, à bon escient, de vos prérogatives constitutionnelles, afin que soit préservée, dans son intégrité et dans son essence, la liberté d’association. Et ainsi que vous l’ont rappelé les Rapporteurs Spéciaux de l’ONU en août 2021 : « Le Togo est tenu de de se conformer aux lignes directrices susmentionnées dans l’élaboration de son projet de loi sur la liberté d’association afin qu’il ne contienne pas de dispositions liberticides. La prise en compte de nos observations permettra au Togo de se doter d’une loi qui protège la liberté d’association et contribue à garantir un espace civique aux Citoyens ».

Les organisations de la société civile en appellent à l’arbitrage de la Présidente du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, de la communauté internationale, en vue de leur permettre de mener leurs activités en toute quiétude. Dans l’attente que le contenu de notre lettre retienne votre bienveillante attention, nous vous prions de croire, en l’expression de notre très haute considération.

 Pour les Organisations,

M. Daguerre K. AGBEMADOKPONOU (ALCADES)

M. Monzolouwè B. E. ATCHOLI KAO (ASVITTO)

M. Chris Yayra AGOBIA (CODITOGO)

M. Christophe Komlan TETE (GAGL)

M. Bassirou TRAORE (GCD)

M. Koffi DANTSEY (GLOB)

M. Poro EGBOHOU (FDP)

Dr Emmanuel H. SOGADJI (LCT)

Me Célestin Kokouvi G. AGBOGAN (LTDH)

Me Raphaël N. KPANDE-ADZARE (MCM)

M. Issaou SATCHIBOU (MJS)

M. Bertin BANDIANGOU (SEET)

PJ : Mandats des Rapporteurs spéciaux n°OL TGO 3/2021 du 13 août 2021

Ampliations :

Organisation des Nations Unies Délégation de la Commission de l’UE au Togo

Ambassade d’Allemagne au Togo

Ambassade des USA au Togo

Ambassade de la France au Togo

Coordination du Système des Nations Unies au Togo

La Conférence des Évêques du Togo (CET)

HCDH-Bureau Régional de l’Afrique de l’Ouest Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH)

FIDH

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