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Friday, May 17, 2024
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Togo- Interview/Nathaniel Olympio : « Nous avons le devoir de travailler ensemble et d’adapter notre lutte »

Dans cette interview accordée au confrère « Liberté », l’opposant Nathaniel Olympio du Parti des Togolais aborde la situation sociopolitique du Togo et de la sous-région. Il donne sa position sur les scrutins en vue. Bonne lecture.

1- Bonjour Monsieur Nathaniel Olympio. Quelle est votre réaction par rapport à la proposition de loi portant réforme constitutionnelle déposée par un groupe de députés le 28 décembre 2023 ?

Nathaniel Olympio : Ma première réaction a été de me poser des questions. Faure Gnassingbé ne serait-il pas à nouveau préoccupé par sa longévité au pouvoir ? Alors qu’il s’est déjà garanti le fauteuil présidentiel jusqu’en 2030, par la modification constitutionnelle d’il y a cinq ans, qu’est-ce qui pouvait encore justifier une autre révision ?

Sous ce régime, les quatre modifications (2002, 2005, 2007, 2019) opérées sur la Constitution de 1992 ont été déconsolidantes, c’est-à-dire qu’elles ont affaibli la démocratie et surtout elles avaient pour but d’assurer le maintien au pouvoir. En 2005, à la mort de son père, le Général Gnassingbé Eyadéma, le chef de l’Etat avait déjà fait modifier la Constitution, alors que c’était interdit en cas de vacance du pouvoir. Il l’a fait pour enrober son coup d’Etat militaire qui l’a amené au pouvoir. Rappelons tout de même qu’après ce viol de la Constitution, il a marché sur les cadavresd’un millier  de Togolais pour arriver à ses fins. Au moment où il arrive au bout de ses 20 ans au pouvoir, rebelote, il veut encore user de sa vieille recette, modifier la loi fondamentale pour rester à la tête de l’Etat au-delà de 2030. C’est la boulimie du pouvoir.

2- Justement, les Togolais n’ont pas connaissance du contenu de la proposition de loi, mais les grandes manœuvres politiciennes sont enclenchées du côté du parti au pouvoir. Des articles sont publiés dans certains médias, et on parle de la « création d’une nouvelle Constitution, symbole d’une renaissance, l’expression d’une volonté collective de redéfinir l’avenir de notre pays ».

Après 57 ans de règne sans partage par la famille Gnassingbé, une réforme constitutionnelle avec une remise de compteur à zéro pour garantir à Faure Gnassingbé la présidence à vie, ne serait-elle dramatique pour notre pays sur le plan démocratique ?

Nathaniel Olympio : Cette annonce est encore une des entourloupes que le régime a servies aux Togolais deux jours avant la fin de la législature. Le drame des  Togolais dure déjà depuis 57 ans, règnes du  père et du fils confondus. Et quand il prenait le pouvoir, ses amis au sein de la CEDEAO et de l’Union Européenne l’ont présenté comme un jeune, instruit, ayant de bonnes manières, et qu’en tant que fils du général dictateur défunt, il avait le bon profil pour être accepté par les militaires qui ont soutenu son père. Et que dans ces conditions, les Togolais pouvaient supporter qu’on lui accorde un mandat, afin qu’il organise une transition en douceur vers la démocratie. On l’a donc présenté comme la personne idéale qui vient sauver les Togolais de la dictature de son père. Sauf que vingt ans plus tard, Faure Gnassingbé s’accroche au pouvoir et ne semble pas avoir l’intention de le laisser. Devenu président-tout-puissant, le système qu’il a mis en place déploie une grande énergie et dépense beaucoup d’argent pour proscrire toute possibilité d’alternance. Le résultat est contraire à ce qui était promis, et la CEDEAO se mure dans le silence sur le sujet, tout en validant chaque élection togolaise frauduleuse depuis deux décennies.

Je raconte cette histoire pour que les jeunes nés dans les années 2000 comprennent la nature profonde du seul régime qu’ils connaissent au Togo. La nature de ce pouvoir, c’est de se battre contre la grande majorité des Togolais, c’est d’empêcher que les jeunes ouvrent les yeux et leur demandent des comptes. C’est pourquoi cela me peine quand je vois certains jeunes manipulés par le régime qui les brandit comme des militants et des sympathisants.

L’exemple de la fête des dix ans du FNFI, célébrée en grande pompe au stade de Kégué il y a quelques jours témoigne de cette manipulation. Un programme de financement des plus pauvres qui les maintient dans la pauvreté.

La conséquence directe de cette confiscation du pouvoir, c’est que le régime ne se sent pas lié pour rendre compte de ses actions au peuple. Il fonctionne en roue libre, comme si le Togo était sa propriété privée. Cela se traduit par une gouvernance de prédation sur les finances publiques, par un système de santé et éducatif en déliquescence, mais aussi par une hypothèque sur les libertés publiques et l’Etat de droit. C’est pourquoi la justice est instrumentalisée pour persécuter les journalistes, les défenseurs des droits humains et les leaders politiques, en les jetant en prison ou en les poussant à l’exil. C’est dans cette condition inhumaine que Monseigneur Philippe Kpodzro est mort en exil.

Sur le quotidien des Togolais, l’impact de cette gouvernance est direct ; les familles tirent le diable par la queue pour la pitance quotidienne, pendant que les jeunes manquent de travail et n’ont pas d’opportunités pour leur avenir. Et tout ceci dure depuis des décennies. C’est cela le vrai drame des Togolais.

3- Outre le retrait annoncé des pays de l’Alliance des Etats du Sahel (AES), le Burkina-Faso, le Mali et le Niger de la CEDEAO, des coups de canifs sont portés contre la démocratie dans certains pays. D’abord, au Sénégal où le président Macky Sall a brutalement mis fin au processus électoral à la veille de l’ouverture de la campagne électorale pour la présidentielle. L’opposition parle de coup d’Etat constitutionnel.

Alors qu’au Togo le pouvoir s’active avec une proposition de réforme constitutionnelle, au Bénin voisin, le président Patrice Talon affirme qu’il ne touchera une virgule de la Constitution. Comment réagissez-vous à toute cette situation dans une sous-région déjà meurtrie par le terrorisme ?

Nathaniel Olympio : Oui, incontestablement, la CEDEAO est à la croisée des chemins, car elle vit une crise existentielle. La sortie simultanée du Burkina Faso, du Mali et du Niger est une première qui porte un coup dur à l’organisation. C’est le résultat de la politique à géométrie variable de la communauté qui est vent debout contre les coups d’Etat militaires tout en restant silencieuse, voire en accompagnant, les coups d’Etat constitutionnels et électoraux des chefs d’Etat qui veulent se maintenir au pouvoir au-delà des limites admises et admissibles. Elle a failli à sa mission de devenir la CEDEAO des peuples promise en ne promouvant ni la démocratie ni la bonne gouvernance, au-delà de la rhétorique.

Déjà très fragilisée par ses errements et par ses décisions draconiennes qui ont conduit à la sortie des trois pays du Sahel, notamment la fermeture des frontières, empêchant même l’entrée des médicaments, le report de l’élection présidentielle au Sénégal est une autre crise qui vient s’ajouter. Avec la mobilisation englobant les religieux, les syndicats, les enseignants, les transporteurs, les organisations de la société civile et les partis politiques, la grève générale et les manifestations qui ont débuté le vendredi dernier et se poursuivent cette semaine constituent une menace grave sur la stabilité de l’Etat. Il y a urgence à sortir de ce péril.

Soit la CEDEAO prend les bonnes décisions en faveur du peuple sénégalais  et elle se redonne un peu de crédibilité, soit elle sombre plus profondément si elle reste impuissante face aux dérives autocratiques du président Macky Sall.

Le Togo est le mauvais élève de la classe CEDEAO. Il a initié la succession dynastique par coup d’Etat, la modification de la Constitution pour le 3e mandat, puis le 4e et se prépare pour un éventuel 5e, il s’oppose farouchement à la limitation des mandats présidentiels à deux par la CEDEAO. Alors qu’au Bénin voisin, le Président Talon vient encore une fois confirmer ce 8 janvier, qu’il ne fera pas un troisième mandat et ne touchera « pas à une virgule » de la Constitution. Quand on voit la situation des 8 pays francophones de la CEDEAO, le Bénin fait figure d’exception sur cette question.

4- Dans une récente réflexion, vous exhortiez d’ailleurs la CEDEAO à se réformer ou à disparaître…

Nathaniel Olympio : Oui, et c’est une question de bon sens et c’est impérieux. Si la CEDEAO ne donne pas dès maintenant des signaux de haute intensité, par des actes montrant clairement qu’elle prend en compte la volonté des peuples, et si elle n’engage pas des mesures immédiates qui amorcent les réponses limpides aux griefs des 3 pays du Sahel, alors les carottes seront cuites et d’autres pays risquent d’en sortir. Dans l’état actuel, la CEDEAO est sur la voie de disparaitre.

En fait, toute cette situation déplorable est la résultante des politiques menées depuis les indépendances dans une étroite complicité des chefs d’Etat avec les grandes puissances au détriment des peuples. Il est temps d’y remédier, pour la paix civile, pour la stabilité de nos Etats et pour la relance de nos institutions nationales et organisations sous-régionales.

5- Pour revenir au Togo, on assiste à un durcissement du régime de Faure Gnassingbé, avec une restriction drastique des libertés publiques. Depuis quatre ans, les manifestations publiques sont interdites. Des entraves sont également posées au libre exercice des activités des partis politiques de l’opposition et de la société civile. Alors qu’on est en plein processus électoral. C’est assez inquiétant, n’est-ce pas ?

Nathaniel Olympio : L’inquiétude est légitime, car depuis qu’il est au pouvoir, Faure Gnassingbé s’est évertué à casser tous les acquis démocratiques obtenus. Privation des libertés publiques, singulièrement avec le maintien des restrictions mises en place pendant la pandémie du Covid, réduction des libertés d’association et de réunion, à l’exception du parti au pouvoir, même en période électorale, modification de la loi sur les manifestations les rendant quasiment impossibles à organiser et mise sous contrôle des partis politiques par une nouvelle charte. Actuellement une loi est en préparation pour restreindre la liberté d’action des organisations de la société civile. C’est clairement un démantèlement en règle du peu d’éléments constitutifs du socle démocratique obtenus depuis les luttes du début des années 1990.

Ce régime est foncièrement hostile au modèle démocratique. En étouffant toutes les voix dissonantes et en refusant l’ouverture, les frustrations et les crispations s’enracinent. Ce qui prépare des réactions extrêmes qu’on a observé tant de fois dans la sous-région, comme la révolte populaire, voire le coup d’Etat militaire.

6- Aujourd’hui en tant que Président de Kekeli, le Cercle d’Etudes Stratégiques sur l’Afrique de l’Ouest, et même en tant que dirigeant du Parti des Togolais, votre ancienne formation politique, vous vous opposez aux élections au Togo. Pourquoi ? Estimez-vous que dans les conditions actuelles, aucune alternance par la voie des urnes n’est possible au Togo ? Dans ces conditions, que proposez-vous ?

Nathaniel Olympio : Nous ne nous opposons pas aux élections au Togo, nuance… En ayant pris le contrôle de toutes les institutions de la chaine électorale, les élections sont devenues une parodie au service de l’Exécutif. Elles ne sont pas transparentes, les dés sont pipés. Dans de telles conditions, participer à ces élections, c’est accepter d’être un faire-valoir, au mieux c’est bénéficier de la bonté du régime qui distribue les places à qui il veut. Aucune élection n’impacte les politiques publiques. Et en 30 ans, aucune proposition de loi de l’opposition n’a été votée.

Notre proposition est claire. C’est de mener une lutte citoyenne en rassemblant tous les Togolais épris de liberté et aspirant à l’Etat de droit dans un grand mouvement capable de peser sur l’Exécutif. Ce ne sera pas la première fois, mais nous devons cette fois-ci être plus efficaces, avec un leadership composé de femmes et d’hommes sincères, pétris de conviction et qui évitent les compromissions nocturnes. Et ce mouvement doit porter un projet de lutte clairement conçu et largement accepté par la population.

Nous devons faire comprendre aux dirigeants que la meilleure option pour eux et pour le pays est de s’aligner sur la volonté du peuple qui aspire à d’autres alternatives.

7-Parlons de la 34è édition de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) 2023 en Côte d’Ivoire. Des phases de groupe jusqu’à la finale, il y a eu un énormément de surprises, des retournements de situation improbables, des suspenses, etc. qui ont rendu cette compétition si spéciale. Comment avez-vous vécu cette grande fête du football continental ?

Nathaniel Olympio : C’est la CAN de la décennie, pleine de surprises et de rebondissements. J’ai été comblé par quelques matchs que j’ai suivis. La Côte d’Ivoire, pays hôte, est présente aux éliminations directes après un piètre premier tour. L’équipe ivoirienne n’a pas démérité et se retrouve face au Nigéria qui a fait un très beau parcours, ce qui laisse présager d’une finale aux fortes émotions.

8- Les Eperviers du Togo, malheureusement, n’étaient pas à la fête. Depuis que le format de la CAN a changé, en passant de 16 nations à 24, le Togo n’arrive plus à se qualifier. Comment peut-on expliquer cette performance à l’envers ? Que faire pour relancer le football togolais ?

Réponse : C’est la grande déception, mais il n’y a pas de fatalité. Nous devons investir dans la détection des talents et dans la formation des jeunes, en mettant à leur disposition des infrastructures et un cadre approprié pour leur éclosion. Le sport est malheureusement politisé et les talents sont sur la touche. De mon point de vue, Emmanuel Adebayor doit être mis à contribution. Je l’ai déjà souligné plusieurs fois. Les prières seules ne suffisent pas.

9- Un mot pour conclure cet entretien.

Nathaniel Olympio : Cette année est charnière pour les Togolais. En effet, quand on regarde la situation économique avec la cherté de vie insupportable, le chômage des jeunes qui s’amplifie et d’une manière générale la mauvaise gouvernance, auxquels viennent s’ajouter les velléités de modification de la Constitution et l’excitation autour d’un 5e mandat, nous avons le devoir de travailler ensemble et d’adapter notre lutte. Le but étant de contrer les ambitions égoïstes du pouvoir et pour réaliser les aspirations du peuple. Dans notre sous-région à la géopolitique trouble, le Togo change en 2024. C’est à la fois mon espérance et ma conviction.

Source : Liberté

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Tony
Tony
February 14, 2024 5:40 pm

Le Togo est diriger par une dictature sanguinaire caracterisee par la confiscation du pouvoir a vie par les bandits criminels de l’unir Rpt pret a tuer pour rester au pouvoir…les elections au Togo c’est une maniere de maintenir le regime criminel predateur au pouvoir car depuis 2005 Faure n’a gagner aucune elections au Togo… Comment participer une election prefabriquer par la CENI une societe prive de Faure et sa bande de l’unir Rpt.

Dealer !
Dealer !
February 14, 2024 6:55 pm
Reply to  Tony

Encore un farfelu dans ses œuvres !

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