Les députés togolais, en fin de mandat depuis 31 décembre 2023, ont récemment procédé à l’adoption d’une nouvelle Constitution passant d’un régime présidentiel à un pseudo régime « parlementaire ». Cette modification, la troisième du genre – si elle est promulguée – ne sera ni plus, ni moins qu’un coup d’Etat.
Par Boris Toble, citoyen togolais, avocat au Barreau de Paris.
En effet, le processus de modification a été vicié de bout en bout. Les dispositions prévoyant toute modification de la constitution togolaise sont contenues dans la loi fondamentale adoptée par référendum le 27 septembre 1992 promulguée le 14 octobre 1992, révisée par la loi n°2002-029 du 31 décembre 2002 modifiée par la loi n°2007-008 du 07 février 2007 et modifiée par la loi n° 2019 – 003 du 15 mai 2019 (la « Constitution »).
Les dispositions relatives à sa révision sont prévues au Titre XIII – De la Révision – notamment à l’article 144 et celles relatives à l’élection du Président de la République au Titre IV – Du Pouvoir Exécutif- notamment à l’article 59 de la même Constitution.
Une lecture combinée de ces deux dispositions permettra de comprendre l’impossibilité de modifier la nature du régime politique du Togo par voie parlementaire sous peine de vicier la procédure autant sur la forme que sur le fond.
Une procédure viciée sur la forme
Quelle est la procédure de révision constitutionnelle ? « Art.144 : L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République et à un cinquième (1/5) au moins des députés composant l’Assemblée nationale. Le projet ou la proposition de révision est considéré comme adopté s’il est voté à la majorité des quatre cinquièmes (4/5) des députés composant l’Assemblée nationale. A défaut de cette majorité, le projet ou la proposition de révision adoptée à la majorité des deux tiers (2/3) des députés composant l’Assemblée nationale est soumis au référendum. Le Président de la République peut soumettre au référendum tout projet de loi constitutionnel. Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie en période d’intérim ou de vacance ou lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire. La forme républicaine et la laïcité de l’Etat ne peuvent faire l’objet d’une révision».
L’article 144 prévoit les conditions de la révision et octroie cette initiative au 1/5 des députés ou au Président de la République. La réforme litigieuse a donc été à l’initiative des 1/5 des députés conformément au texte fondamental en vigueur. Toutefois, ces députés sont depuis le 31 décembre 2023 en fin de mandat. Puisqu’ils siègent toujours depuis trois mois après la fin de leur mandat, leur rôle serait d’expédier les affaires courantes et non de procéder à une modification substantielle susceptible de produire des effets d’importances fondamentales.
Ils sont en période d’intérim dans l’attente de l’élection des nouveaux députés. L’article 144 dispose en outre qu’aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie en période d’intérim ou de vacance.
Le constat du premier vice est donc établi !
Qu’à cela ne tienne ! Admettons que les députés, malgré la fin de leur mandat, puissent procéder à un changement de la Constitution.
Peuvent-ils réformer toutes les dispositions par voie législative ?
Une procédure viciée au fond
Il existe des domaines réservés par l’actuelle Constitution qui ne peuvent être modifiés que par la voie référendaire. C’est le sens de l’article 59 de la Constitution qui dispose :
« Art. 59 : Le Président de la République est élu au suffrage universel, libre, direct, égal et secret pour un mandat de cinq (05) ans renouvelable une seule fois. Cette disposition ne peut être modifiée que par voie référendaire »
Or, la nouvelle constitution votée dans l’illégalité modifie les dispositions de l’article 59 et prévoit désormais une élection du Président de la République au suffrage universel indirect par les députés pour une durée de six (06) ans. Si on se réfère toujours aux dispositions de la Constitution en vigueur, une telle modification ne peut intervenir que par la voie référendaire.
Cette disposition est claire et ne laisse place à aucune interprétation. Toute modification ou tout changement en bloc de la Constitution qui intègre le domaine réservé du choix du Président de la République doit impérativement se faire par un référendum.
Donc pour tout changement éventuel de régime intégrant le changement du mode de désignation du Président de la République, il faut consulter le peuple par référendum. Le contraire serait anticonstitutionnel. Ceux qui s’y adonnent sont coupables en connaissance de cause d’un coup d’Etat. Ils sont donc hors la loi.
Il appartient en conséquence aux autorités togolaises de revoir leur copie et de veiller scrupuleusement au respect des dispositions constitutionnelles. Il en va de leur crédibilité. Il faut revenir sur ce vote parlementaire qui remet en cause l’Etat de droit, bafoue la démocratie et prive le peuple – seul dépositaire de la souveraineté – de son droit de choisir son dirigeant. Au moment où des peuples voisins comme celui du Sénégal expriment la démocratie de fort belle manière, il est inadmissible de déposséder le peuple togolais de son droit le plus fondamental, le droit de vote.
Boris Toble
Source: afrique.latribune.fr
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