Togo- Coup d’État constitutionnel: Bola Ahmed Tinubu appelé à la rescousse

Un collectif d’organisations de la société civile togolaises ont saisi, il y a une dizaine de jours, le Président en exercice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) sur le changement de Constitution au Togo et lui exposent dix (10) bonnes raisons de ne pas l’accepter. Lire ci-dessous en intégralité la lettre.

Lomé le 20 mai 2024

A

Son Excellence Monsieur Bola Ahmed Adekunle TINUBU

Président en exercice de la CEDEAO

Président de la République Fédérale du Nigéria

LA CEDEAO NE DOIT PAS ACCEPTER LE NOUVEAU COUP D’ETAT CONSTITUTIONNEL AU TOGO !

Le 06 mai 2024, le Président de la République du Togo a pris la décision de promulguer une nouvelle Constitution faisant basculer le Togo dans une Ve République. Il a ainsi fait le choix illicite d’entériner le renversement du régime constitutionnel de la IVe République. Cette entreprise menée à pas de charge et contre laquelle se sont élevées plusieurs voix autorisées, dénote par son caractère illégitime, illégal, non inclusif et non transparent, la volonté de perpétuation délibérée d’un régime antidémocratique. Il s’agit, selon l’article 148 de la Constitution de la IVe République, ni plus ni moins d’un coup d’Etat constitutionnel, un crime imprescriptible contre la Nation togolaise, consacrant la perpétuation du pouvoir dynastique à la tête du Togo depuis près de six décennies.

Ce nouveau coup d’Etat au Togo, dans un contexte régional perturbé par une série de putschs, doit convaincre la CEDEAO qu’elle ne peut plus faire l’économie d’une prise de position claire et ferme. Ce nouveau coup de force désagrège les fondements démocratiques de l’institution régionale, altère le principe de constitutionnalité, foule au pied les dispositions du Protocole A/SP1/12/01 sur la Démocratie et la Bonne Gouvernance et sape les préceptes de la CEDEAO des Peuples. Le Togo, une fois encore, rame à contre-courant de la dynamique démocratique des nations d’Afrique. Il devrait pourtant s’inspirer de pays comme le Nigéria où l’alternance démocratique est inscrite avec succès au cœur des principes de gouvernance.

Excellence, en dépit des efforts louables de la CEDEAO pour renforcer la démocratie et l’Etat de droit, le peuple togolais subit depuis 57 ans les affres de l’autoritarisme et les violations perpétuelles de la Constitution pour satisfaire une volonté de confiscation du pouvoir. Faut-il rappeler les violations constitutionnelles et institutionnelles de 2005, notamment :

Le coup d’Etat militaire concrétisé par des officiers généraux des forces armées togolaises, apparus à la télévision nationale au soir du 5 février pour assurer au président actuel la dévolution dynastique du pouvoir, contre toutes les dispositions constitutionnelles.

Le coup d’Etat constitutionnel et institutionnel qui s’en est suivi : afin de « légitimer » le putsch, on procède à la modification, le 6 février 2005, des articles 65 et 144 de la Constitution et de l’article 203 du code électoral, permettant au ministre Faure Gnassingbe, de réintégrer automatiquement le parlement, de devenir président du parlement et donc président de la République par intérim.

Les Togolais n’oublieront jamais les plus de 500 morts comptabilisés par les Nations Unies (ou plus de 1000 morts selon d’autres sources) et engendrés par le coup d’Etat électoral d’avril 2005 qui vint clôturer cette saga perpétrée par un système prêt à tout pour se maintenir au pouvoir. Les Togolais n’oublieront jamais le silence coupable de la CEDEAO, après son entêtement déraisonné à organiser cette parodie d’élection qui s’est soldée par une vraie tragédie nationale.

2024 est une réédition de 2005. Le renversement du régime constitutionnel porte sur la Constitution de la IVe République, votée par référendum populaire le 27 septembre 1992, avec un taux de participation de 74,24 % et une majorité de 98,11 %. Cette Constitution a été en partie restaurée en 2019 suite à la médiation conduite par la CEDEAO pour apaiser l’insurrection populaire de 2017-2018 par laquelle les Togolais exigeaient le retour à la Constitution originelle et consensuelle de 1992. Face au renversement de cette Constitution, la CEDEAO ne peut plus se murer dans un mutisme coupable voire suicidaire, dans un contexte où elle est fragilisée par la scission née du départ annoncé des pays de l’AES. Son incapacité à répondre aux coups d’Etats constitutionnels et sa propension à ne pas vouloir sanctionner les régimes au pouvoir, expliquent en grande partie son échec et la désillusion quant aux espoirs nés des processus démocratiques des années 90.

Excellence, aujourd’hui il y a au moins 10 bonnes raisons pour que la CEDEAO n’accepte pas le nouveau coup d’Etat constitutionnel au Togo :

Le régime au pouvoir au Togo depuis 1967 est viscéralement inscrit dans une opposition systématique à toute avancée démocratique dans l’espace CEDEAO. C’est historiquement le seul pays à s’être opposé à deux reprises, en 2015 et en 2022, à la réforme du Protocole A/SP1/12/01 sur la Démocratie et la Bonne Gouvernance et à l’adoption de la disposition limitant les mandats présidentiels.

Ce nouveau coup d’Etat intervient dans un contexte où le regain de vitalité de la démocratie au Sénégal, avec l’élection du Président Bassirou Diomaye Faye suscite beaucoup d’espoir. Les manœuvres antidémocratiques du régime de Macky Sall ont échoué face à la volonté du peuple sénégalais de consolider ses acquis démocratiques. Dans cette perspective, le Togo va-t-il toujours incarner le mouton noir, celui qui rame à contre-courant de l’histoire démocratique de l’Afrique ?

Le vote d’une nouvelle Loi Fondamentale au Parlement, par une procédure excluant définitivement le Peuple est anticonstitutionnel. Le Parlement n’a pas la compétence, ni durant son mandat, ni durant le prolongement de celui-ci, de procéder à un changement de Constitution et de faire basculer le pays dans une nouvelle République. Conscients de cette réalité, les auteurs de cette supercherie parlent constamment de révision mais reconnaissent subrepticement qu’il s’agit bien d’un changement de Constitution faisant basculer le Togo dans une nouvelle République. Se servir donc des mécanismes de révision pour procéder à un changement de Constitution est un acte illégal.

Le changement de Constitution au Parlement viole clairement les dispositions de l’article 59 disposant que « Le Président de la République est élu au suffrage universel libre, direct, égal et secret pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois. Cette disposition ne peut être modifiée que par voie référendaire ».

« Toute tentative de renversement du régime constitutionnel par le personnel des forces armées ou de sécurité publique, par tout individu ou groupe d’individus, est considéré comme un crime imprescriptible contre la Nation et sanctionnée conformément aux lois de la République ». Les termes de l’article 148 de la Constitution sont clairs. Ce crime imprescriptible contre la Nation togolaise doit être sanctionné rigoureusement.

A ce jour, comment comprendre que le texte de la nouvelle Loi ne soit connu que de quelques initiés ? Le pouvoir souverain et les droits fondamentaux doivent être garantis par une Constitution écrite ; mais comment garantir au Peuple le respect de ses droits et libertés quand on n’a aucune connaissance du contenu du document ? Pourtant, la Loi a été débattue et adoptée en 1ère puis en 2e lecture et promulguée par le Président de la République. Continue-t-elle (comme certains le pensent) de subir des modifications pour répondre aux attentes du bénéficiaire de cette machination ?

Ce coup d’Etat constitutionnel est perpétré dans le but de maintenir de façon illégale et illégitime un pouvoir séculaire et de porter atteinte au principe d’alternance démocratique au Togo, le Togo étant le seul pays de l’espace CEDEAO à n’avoir pas fait l’expérience d’une alternance démocratique. Il viole ainsi les dispositions de l’article 1er du Protocole A/SP1/12/01 sur la Démocratie et la Bonne Gouvernance. Les termes de cet article rappellent les principes de convergence constitutionnelle, notamment celui que « tout changement anticonstitutionnel est interdit de même que tout mode non démocratique d’accession ou de maintien au pouvoir ». En l’espèce, ce changement de Constitution s’opère avec en toile de fond la volonté pour le pouvoir togolais de contourner la limitation de mandat et de se maintenir indéfiniment.

Le changement de Constitution est intervenu en pleine campagne pour les élections législatives alors que l’article 2 du Protocole A/SP1/12/01 dispose qu’« aucune réforme substantielle de la loi électorale ne doit intervenir dans les six mois précédant les élections, sans le consentement d’une large majorité des acteurs politiques ». Ce changement de Constitution en pleine campagne pour les législatives modifie pourtant de façon substantielle les règles électorales en ce qui concerne le mandat des députés et sénateurs, le mode de désignation du Président de la République et introduit un mécanisme nouveau de désignation du chef de l’exécutif dénommé Président du conseil des ministres. Il viole donc les termes de l’article 2 sus cité.

Comment comprendre que la CEDEAO sanctionne les coups d’Etat militaires et qu’elle tolère les coups d’Etat constitutionnel, institutionnel et électoral qui sont tout autant délétères ? Cette nouvelle ingénierie des coups d’Etat empêche la consolidation de la démocratie, sape les principes de constitutionnalité en assimilant la Constitution à un simple parchemin manipulable au gré d’intérêts particuliers, nuit aux libertés fondamentales et entrave le progrès. La CEDEAO doit éviter la perpétuation de ces contradictions. Elle doit éviter de donner le sentiment qu’elle est incapable de sanctionner les présidents en exercice, fussent-ils coupables d’acte de haute trahison à l’endroit de leur Peuple et de l’ensemble de la communauté régionale.

La CEDEAO des Peuples mérite enfin que des décisions courageuses soient prises afin de marquer une rupture avec des pratiques surannées qui font honte à l’Afrique. Ce qui se passe au Togo n’honore ni les togolais, ni les Africains et tout silence approbateur de la CEDEAO sera assimilable à une volonté délibérée de faire de l’institution un instrument au service des dirigeants.

Excellence, perpétré en pleine nuit et en l’absence de la Nation, le vote de la nouvelle Constitution au Togo est une tragique forfaiture politique. Cette emprise du politique sur la Constitution a conduit à un renversement du régime constitutionnel de la IVe République, exécuté pour assurer le maintien au pouvoir du régime africain le plus ancien et réfractaire à toute idée d’alternance à la tête du pays. Ce tour de passe-passe politique dont le régime au pouvoir au Togo est coutumier, sape les fondements de la démocratie ainsi que les principes de constitutionnalité en Afrique. C’est un comportement médiéval, autocratique et destructeur contre lequel des sanctions rigoureuses doivent s’appliquer. Les auteurs sont connus et doivent être spécifiquement sanctionnés. Le Togo ne peut pas être considéré comme un Etat normal qui continue sereinement de participer aux activités de l’institution communautaire. Car le pouvoir du Togo s’est délégitimé. Et la CEDEAO ne peut plus accepter ce nouveau coup d’Etat constitutionnel au Togo.

Pour les organisations de la société civile

Professeur Ekoué David DOSSEH

AJAAH – Solidarité Planétaire/BT – AJECED – ABEJ – AIAPED – ATDH – MMLK – REJADD – DRPDPS – Nouveau Citoyen – Veille Citoyenne – FONDESC – Femmes Pyramide – Front Démocratique pour le Changement et l’Intégrité – CTDS/BT – Novation Internationale – MO5 – Synergie Togo – Tournons La Page-Togo – Front Citoyen Togo Debout

Ampliation :

Président de la commission de la CEDEAO

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