Dans une nouvelle tribune, Roger Ekoué Folikoué, universitaire togolais et philosophe engagé, interroge en profondeur le sens et l’efficacité du système scolaire africain. Dénonçant les réformes superficielles et le mimétisme persistant, il appelle à une refondation radicale, enracinée dans les réalités africaines et portée par une vision émancipatrice de l’éducation. Une réflexion lucide et urgente sur les enjeux éducatifs d’une Afrique en quête de souveraineté, d’innovation et de reconnaissance.
UNE PHILOSOPHIE DE L’ÉDUCATION POUR UNE AFRIQUE NOUVELLE
S’il y a un phénomène cyclique prévisible et que nous subissons car il est devenu un rite existentiel, c’est le cycle scolaire qui a une place importante dans le processus de l’éducation. On peut retenir ces deux éléments : le processus éducatif et le cycle scolaire. Le premier englobe le second même si parfois on l’identifie au premier de façon réductrice et abusive.
Nous venons de boucler encore une fois de plus un cycle scolaire dans le processus éducatif qui doit permettre à chaque personne de s’épanouir et de transformer ses potentialités en des capacités (Cf. ARISTOTE, Amartya SEN).
Depuis des années, nous critiquons le système éducatif ; et dans les différents travaux universitaires, dans les médias et partout ailleurs, on entend parler de la nécessité de réforme du système scolaire dans les pays africains. Personne n’a de doute sur le sujet et pourtant, ce système se répète sans un véritable changement de paradigme.
Ici et là, on constate une faible amélioration du cadre, quelques changements de dispositifs, on assiste à quelques réformes de forme, d’intitulés, de dénominations et d’outils scolaires, sans une profonde remise en question de paradigme. Mais peut-on vraiment innover avec ces petites touches ? La répétition du cycle n’est pas le plus inquiétant, mais ce qui est le plus problématique, ce sont des réformes de forme et de surface sans aller au fond.
1-Pour l’avènement d’une Afrique souveraine et revendicatrice de reconnaissance, un changement de dispositifs sans remise en question de paradigme est-il suffisant ? A- t- on le droit d’attendre des résultats déterminants et significatifs sans ces changements de fond ?
2- Depuis un moment, on entend un discours de valorisation de la science pour la nouvelle Afrique. Mais peut-on continuer avec l’idée de création de lycée scientifique, renvoyant à certaines disciplines, comme si les autres branches du système scolaire en dehors des maths, de la physique et chimie ne sont pas de la science ?
Peut-on dire aujourd’hui que le droit, l’histoire, la géographie, la sociologie, la philosophie, bref les sciences humaines ne sont pas de la science ?
Depuis la théorie de la falsification de Popper et de ses successeurs, les sciences dites, abusivement, exactes sont-elles les seules qui existent ? Donnent-elles des vérités absolues ? N’est-il pas impérieux de changer de discours en modifiant notre conception épistémologique ?
3-Pourquoi les manuels scolaires sont-ils toujours dans les mains de quelques éditeurs ? Et pourquoi n’élargit-on pas le cadre des concepteurs ?
- Et la question des langues dans nos systèmes scolaires ? C’est bien d’introduire les langues étrangères, mais que faisons-nous de nos langues ? Quelle politique linguistique nationale et sous-régionale dans l’idée d’une Afrique qui veut innover ?
- Depuis l’ouvrage L’aventure ambigüe de Cheikh Hamidou Kane, on connaît, à travers la figure de Samba Diallo, le drame de l’Africain, écartelé entre deux cultures. Le système scolaire dans le processus éducatif donne-t-il des éléments pour sortir de ce drame où est-il toujours sur l’ancien modèle aménagé ?
Un système scolaire porté essentiellement par des projets des partenaires techniques et financiers étrangers peut-il être un outil pour une Afrique qui veut s’affirmer ? Nous permet-il d’apprendre à gagner avec les autres (cf. KÄ MANA) où est-il toujours dans la logique de vaincre sans avoir raison (cf. la Grande Royale de L’aventure ambiguë) ?
- A quand de vraies réformes dans le premier cycle et le second cycle du système scolaire ?
- A quand la réforme des séries, des examens et des diplômes dans ces différents cycles ?
- A la fin du second cycle, l’Université ne peut et ne doit-elle être que l’unique opportunité pour continuer ?
- A quand de nouveaux cadres diversifiés de formations qualifiantes ?
- A quand des centres et des pôles d’excellence pour différents domaines de formation ?
- A quand des passerelles entre les systèmes pour ne pas avoir des systèmes étanches ?
- A quand des systèmes de formation en alternance qui permettent de combiner la théorie, indispensable, à la pratique, incontournable ?
Pour ne plus nous asseoir sur la natte des autres (cf. Joseph KI- ZERBO), les systèmes scolaire et universitaire dans nos pays se présentent-ils vraiment comme des systèmes innovants et efficaces ? L’école est-elle NOTRE école comme se demande souvent Maryse QUASHIE ?
Le système scolaire dans le processus éducatif a besoin d’être repensé. Il doit avoir pour soubassement l’investissement dans le capital humain comme source de transformation et de développement. Car pour un développement réel, le système scolaire doit faire advenir, dans chaque citoyen, ce qu’il y a de mieux. Et pour un développement humain qui nous ressemble en Afrique, le système scolaire doit être notre affaire.
Roger Ekoué Folikoué
Source : Letaboid