Depuis l’adoption de la réforme constitutionnelle de 2025 ouvrant la voie à un mandat illimité pour Faure Gnassingbé, la contestation enfle dans les rues togolaises. Mais au-delà des charges policières, un autre instrument de contrôle, beaucoup moins visible mais tout aussi efficace, est en train de s’imposer : l’étranglement volontaire de la connexion internet.
Ici, pas de coupures brutales comme autrefois. Le gouvernement préfère désormais la méthode du « throttling » : ralentir le débit jusqu’à rendre les applications sociales presque inutilisables. Poster une photo sur Facebook ou envoyer une vidéo sur TikTok devient une véritable épreuve. Ce procédé, déjà expérimenté au Soudan en 2019 et en Ouganda en 2021, permet de restreindre la circulation de l’information sans provoquer le tollé qu’entraîne une coupure totale.
Face à cette manœuvre, certains Togolais contournent la censure grâce aux VPN. Mais ces solutions restent réservées à une minorité : ceux qui disposent des connaissances techniques ou des moyens financiers pour s’offrir des versions payantes. La grande majorité, elle, se retrouve piégée dans une bulle numérique étouffante.
Le problème dépasse largement la sphère politique. Dans un pays où plus de 60 % des jeunes dépendent du numérique pour survivre — commerce en ligne, transactions de mobile money, prestations pour des clients internationaux — ralentir internet, c’est freiner le moteur déjà fragile de l’économie. Les pertes peuvent être énormes : au Nigeria, le blocage de Twitter en 2021 avait coûté près de 26 millions de dollars par jour. Pour un Togo en quête de croissance et déjà au bord du gouffre, le coup est rude.
À cela s’ajoutent des dégâts sociaux : communications familiales compliquées, accès réduit à une information fiable, et rumeurs qui circulent plus vite que les faits. Des ONG comme Amnesty International qualifient déjà ces pratiques de violation flagrante du droit à l’information.
En misant sur l’étranglement numérique pour contrôler la contestation, le pouvoir joue une carte dangereuse. Car au-delà du silence imposé dans la rue, c’est tout un pays qui se retrouve ralenti, fragilisé et isolé dans une Afrique qui, elle, avance à la vitesse du numérique.
Faire tourner la machine du ralentissement n’a rien de gratuit : recruter des experts et déployer la logistique pour brider internet coûte cher, et c’est le contribuable qui en paie la facture. Autrement dit, l’Etat investit dans l’art de bloquer sa propre économie. C’est un paradoxe ubuesque. Comment peut-on payer des spécialistes non pas pour développer le pays, mais pour l’empêcher de respirer, simplement parce que la rue dénonce la mauvaise gouvernance.