Le Mauritanien Bakary Kamara et le Béninois Jérôme Carlos, disparus parmi quelques autres, ce début janvier, sont de ces Africains qui ont servi l’Afrique avec honneur et dignité. Il y en a d’autres, mais ils font moins consensus.
Vous rendez hommage, ce samedi, à deux Africains célèbres, disparus durant la première quinzaine de ce mois de janvier. Au lieu des quatre que vous aviez pourtant sélectionnés. Pourquoi pas les deux autres ?
Il se trouve que les deux autres étaient impliqués en politique dans leur pays, et traînent, jusque dans l’au-delà, leur lot de détracteurs. Autant se limiter à ceux qui font l’unanimité. Comme Bakary Kamara, de Mauritanie, assureur d’envergure, qui avait intégré, en 1984, la Compagnie Africaine de réassurance (Africa Re), à Lagos. Là, il travaillera pour l’Afrique une vingtaine d’années, dont dix comme « numéro un ». Il était secondé par d’autres professionnels africains de haut vol, qui admettent tous que son leadership visionnaire a été déterminant pour fait gravir à Africa Re les marches qui l’imposent, depuis, dans le gotha mondial de la profession. Il fallait oser se soumettre aux évaluations sans complaisance des agences de notation, et travailler dur pour mériter les meilleures notes et, surtout, les garder.
Sous sa direction, Africa Re s’est même mise à servir, au milieu des années 90, des dividendes à ses États-actionnaires, incrédules. Bakary Kamara était un modèle de compétence, de sérieux et de rigueur, que beaucoup imaginaient hissé sur un piédestal, au terme de ses mandats à Africa Re. Mais, dans cette Afrique imprévisible, seuls de grands patrons, comme l’Ivoirien Jean Kacou Diagou, du groupe NSIA, ont compris quel joyau il représentait, s’attachant les services, comme administrateur, de ce sujet à la fois simple, humble et brillant.
Qu’en est-il de l’autre célèbre disparu ?
Jérôme Carlos. Il était un excellent journaliste, qui en a formé des centaines d’autres, de toutes origines, sur le chemin de l’exil où l’avait jeté, dans les années 70, la révolution marxiste de Mathieu Kérékou, au Bénin. Au Sénégal et en Côte d’Ivoire, où il a été, notamment, rédacteur en chef d’Ivoire Dimanche, il se distinguait par son professionnalisme calme, sa pondération, sa bienveillance critique. Il continuait à former les plus jeunes, depuis son retour au Bénin, il y a un quart de siècle.
Moins d’un mois avant ce fatidique 15 janvier, il consacrait son billet hebdomadaire à la radio à ce métier qu’il a servi avec classe et humilité. Une réflexion dense sur le rôle du journaliste, qui prend, aujourd’hui, valeur de testament, dans un monde où tant de gens demeurent persuadés que le journalisme est un métier pour ceux qui n’en ont appris aucun.
Que dit donc cette livraison-testament ?
Elle est foisonnante. Jérôme Carlos met d’abord en garde contre la propension de certains journalistes à s’exhiber plus que de raison : « Notre métier nous assure assez de visibilité, pour que nous n’en rajoutions pas », dit-il, avant d’asséner cette citation, que d’aucuns prêtent à Confucius : « Il vaut mieux être simple et remarquable, qu’être faux pour se faire remarquer ». Et, selon lui, les meilleurs des journalistes sont ceux qui ont fait de cette citation un principe de vie. Il rappelle à la profession que ceux qu’elle sert ont besoin de savoir, y compris d’où parle le journaliste. Et d’insister sur la nécessité de bénéficier d’une formation appropriée. « Car, dit-il, le journaliste improvisé, sans formation au métier, est un danger ». Suit un parallèle édifiant entre les nuisances, pour l’organisme humain, d’un mets avarié et, pour l’esprit, d’une information tronquée, altérée par des omissions, ou truffée de contre-vérités. « L’extrême gravité d’une intoxication spirituelle ou mentale impose, selon lui, de peupler les rédactions de journalistes bien formés, de professionnels avertis (…). Car le journalisme est un métier, dont il faut connaître l’alphabet, maîtriser les règles. »
Il conclut par cette belle phrase : « Le journalisme est un métier noble, qui ennoblit le journaliste ».
Ce texte est sans doute le meilleur portrait que l’on pouvait dresser de Jérôme Carlos. Et il est de lui. Adieu l’ami ! Tu manques déjà à ce métier ! Douloureusement !
Chronique de Jean-Baptiste Placca du 20 janvier 2024