Pour avancer réellement, et accéder au statut de démocratie impeccable, dont il se flatte, le Sénégal devrait cesser de se comparer à son environnement francophone, pour se mesurer aux démocraties anglophones, lusophones du continent… Comme, par exemple, le Cap-Vert voisin.
Pour désamorcer la crise politique grave dans laquelle semblait s’enfoncer le Sénégal, il a suffi d’un arrêt, rendu par le Conseil constitutionnel, ce jeudi 15 février. Dire qu’il a encore fallu toutes ces manifestations et leur cortège de nouveaux morts… Pourquoi donc les Sénégalais ne misaient-ils pas simplement sur cette juridiction, pour invalider le report de l’élection présidentielle, voulu par l’Assemblée nationale et entériné par le président Macky Sall ?
Peut-être n’ont-ils pas, en leurs institutions, la confiance qu’ils proclament, en dépit de la fierté qu’ils affichent, quant à l’avance démocratique du Sénégal. Ou alors, les juges du Conseil constitutionnel ne leur inspiraient pas toujours ce courage qui les grandit tant, aujourd’hui. Cette instance, la plus haute du système judiciaire sénégalais, a joué son rôle, et c’est essentiel, en démocratie. Comme ce que Barack Obama qualifiait naguère d’institutions fortes. Les Sénégalais ont, là, une raison supplémentaire de faire confiance à leurs institutions. À condition, évidemment, que celles-ci soient crédibles, courageuses et d’une certaine probité, en inspirant le respect aux citoyens.
N’est-il pas rassurant que le président Macky Sall se soit engagé à suivre le Conseil constitutionnel ?
C’est là toute la différence entre le Sénégal et certains autres pays francophones d’Afrique où, même lorsque des juges courageux jugent au regard des textes, certains dirigeants ignorent leurs décisions. Sans compter toutes ces nations où la justice, y compris dans ses instances suprêmes, est dans un rapport de totale servilité, par rapport au pouvoir. C’est, du reste, ce que redoutaient, jusqu’à ce 15 février, certains Sénégalais.
À de minimes exceptions près, les États africains anglophones et lusophones respectent davantage que les francophones les décisions de leurs juridictions suprêmes. Leurs dirigeants défient moins la Constitution et les institutions. Même si, au Bénin, au Niger, notamment, des femmes, présidentes de cours ou conseils constitutionnels, se sont, ces trois dernières décennies, illustrées par leur courage.
Macky Sall semblait réussir sa sortie, jusqu’à ce que ce dernier épisode vienne tout compromettre. A-t-il encore quelque chance de redorer son blason ?
Cette invalidation, que d’aucuns perçoivent comme un désaveu pour lui, Macky Sall lui-même l’admet comme relevant des « mécanismes juridictionnels normaux de la démocratie et de l’État de droit, tels que consacrés par la Constitution sénégalaise ». Ses supporters déploreront que cette parenthèse ait altéré le bel effet qu’avait eu sur l’opinion l’annonce de sa non-candidature. Mais en politique, on peut, jusqu’au bout, surprendre agréablement. D’autant que la belle image de la démocratie sénégalaise, ne l’oublions pas, tient davantage à la façon dont les chefs d’État tirent leur révérence qu’à ce qu’ils font durant leurs mandats. Senghor, Diouf, Wade…
Pourquoi pas Macky Sall, même si cette crise a été, pour beaucoup, l’occasion d’exprimer l’immense rancœur qu’ils nourrissent son égard. Ceux qui ne l’aiment pas ne l’aiment vraiment pas ! Certains avaient perçu les poursuites contre Karim Wade, au début de son premier mandat, comme un règlement de comptes, pour les abus et vexations subis du temps où il présidait l’Assemblée nationale et voulait voir l’héritier s’expliquer sur la surabondance de chantiers, les soupçons de corruption.
Au regard de la rancœur exhumée ces derniers jours, l’on peut craindre que l’arrivée au pouvoir, demain, d’autres sensibilités pourrait donner lieu à des règlements de comptes d’une rare brutalité.
Certains y voient une explication à la décision de différer les élections, prise par un chef d’État qui serait soucieux de s’assurer d’avoir un successeur moins vindicatif.
Peut-être que pour accéder au statut de démocratie impeccable dont ils se flattent, les Sénégalais devraient fournir encore beaucoup d’efforts. Et que, pour avancer réellement, le Sénégal devrait cesser de se comparer à son environnement francophone, pour se mesurer aux démocraties du continent, anglophones, lusophones… Comme, par exemple, l’archipel du Cap-Vert, à moins d’un millier de kilomètres, aux larges de Dakar.
Jean-Baptiste Placca du 17 février 2024