Le Togo a un intérêt économique et politique pour intégrer l’AES, selon Prof. Théodore Holo

Le Togo va-t-il rejoindre l’AES, l’Alliance des États du Sahel, formée par le Mali, le Niger et le Burkina Faso ? « Ce n’est pas impossible », a déclaré jeudi dernier Robert Dussey, le ministre togolais des Affaires étrangères, à la chaîne de télévision VoxAfrica. Pourquoi le régime du président Faure Gnassingbé caresse-t-il ce projet ? Est-ce pour des raisons politiques ou économiques ? Théodore Holo a été ministre béninois des Affaires étrangères. Il a présidé aussi la Cour constitutionnelle du Bénin. Il livre son analyse au micro de Christophe Boisbouvier.

RFI : Êtes-vous surpris par l’éventuelle adhésion du Togo à l’AES (l’Alliance des États du Sahel) ?

Théodore Holo : Vous savez que, pour le moment, étant donné que le port de Cotonou est fermé au commerce avec le Niger, le port de Lomé sert de solution de rechange. Et de ce point de vue, il y a un intérêt économique et peut-être même politique pour le Togo d’intégrer l’AES, puisqu’au niveau de la Cédéao, il y a des convergences politiques mettant l’accent sur la démocratie, convergences acceptées par la plupart des pays anglophones et quelques pays francophones. Le Togo n’en faisant pas partie, je pense que la souveraineté qui se manifeste dans les pays de l’AES se fonde sur le refus en réalité de cette convergence politique. Ce qui veut dire qu’il y a un intérêt économique et aussi un intérêt politique que le Togo intègre l’AES. Mais on attend la décision du président Faure Gnassingbé, comme l’a rappelé le ministre togolais des Affaires étrangères.

Oui, Robert Dussey est prudent, il dit qu’il faudrait que ce projet soit validé par le président et par le Parlement. Il affirme aussi que l’Alliance des États du Sahel, c’est une coalition souverainiste et qu’il est donc logique que le Togo y adhère puisqu’il partage la même idéologie…

Je constate que beaucoup de ces États, tout en rejetant la présence militaire française, initient une coopération militaire avec d’autres pays tels que la Russie. La souveraineté, c’est de défendre ses intérêts. Et je pense qu’au niveau de la Cédéao, il y a cette défense des intérêts avec la création de l’Eco. C’étaient les pays francophones qui essayaient de bloquer le processus qui doit reprendre, je crois, en 2027. Donc c’est un prétexte en réalité de dire que l’AES, ce sont les États qui se veulent souverainistes. Il y a d’autres pays qui sont aussi souverainistes, mais qui sont toujours au niveau de la Cédéao.

Ce que sous-entend le ministre togolais, c’est que la Cédéao est instrumentalisée par la France. C’est ce que disent en tout cas les trois pays actuels de l’AES et qu’avec la Cédéao, il n’y a pas de vraie souveraineté…

Je ne pense pas que le Nigeria ou le Ghana peuvent être considérés comme des laquais de la France. Être souverain, c’est prendre les décisions qui s’imposent en tenant compte des intérêts de son pays et non pas des intérêts de la classe gouvernante de mon point de vue. Je crois que quelqu’un comme Sankara était très souverainiste, mais n’a jamais décidé de quitter la Cédéao, ni l’Union africaine.

Donc pour vous, la Cédéao n’est pas instrumentalisée par une puissance étrangère comme la France ?

Je ne pense pas que la France, à elle seule, puisse imposer son point de vue. C’est peut-être un argument très facile pour justifier certaines positions. En tout cas, quand j’étais ministre des Affaires étrangères du Bénin dans les années 1990 et que nous discutions des questions de la Cédéao, je n’ai jamais eu l’impression que la France s’immisçait dans les activités que nous menions. Il y avait un leadership du Nigeria à l’époque, c’est vrai, mais il n’y avait pas une immixtion de mon point de vue de la France. Je ne pense pas que la situation ait évolué entre temps. Je voudrais rappeler que la limitation des mandats est un élément de convergence, au niveau de la Cédéao, qui fait blocage parce qu’il y a des pays comme le Togo qui s’étaient opposés à cette limitation des mandats. Alors quand on vient me dire que la Cédéao est instrumentalisée par la France, je trouve que c’est un argument très facile quand on ne veut pas accepter certaines exigences du point de vue de la démocratie ou du point de vue de l’alternance, du point de vue de la limitation des mandats. Et c’est sur la base de ce refus que des pays comme le Mali, comme le Burkina Faso se sont retirés aujourd’hui de la communauté.

Voulez-vous dire qu’il y a une convergence entre les trois pays de l’AES et le Togo d’un point de vue idéologique ?

C’est une évidence de mon point de vue, en tenant compte de ce que, aujourd’hui, dans ces pays, nous sommes dans des régimes où l’alternance n’est pas encore une évidence. Donc il y a cet élément de convergence idéologique qui peut expliquer cette proximité. Il y a aussi les intérêts économiques parce que le Togo, aussi, en tant qu’État souverain, défend ses intérêts.

Sur le plan économique justement, depuis que la frontière Niger-Bénin est fermée, les marchandises à destination et en provenance du Niger ne passent plus par le port de Cotonou, mais par celui de Lomé. Avec une adhésion du Togo à l’AES, est-ce que cette route commerciale ne serait pas encore plus renforcée et validée ?

Pour aller du Togo au Niger, il faut traverser non seulement le Togo, mais il faut aussi traverser le Burkina Faso. Vous savez qu’il y a des difficultés militaires en raison de l’insécurité qui y règne, ce qui fait que les commerçants se sentent un peu pénalisés. Et il y a des protestations à raison du renchérissement du coût des produits qui sont importés. Ce qui veut dire qu’il va falloir garantir la sécurité de ce corridor. Cela prendra du temps, mais si la volonté politique y est, ils y arriveront.

Source: RFI

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