Hier mercredi 05 mars à Lomé, la députée de la DMP, Mme Brigitte Adjamagbo-Johnson a tenu une conférence de presse à la suite de sa visite des chantiers de voiries urbaines à Lomé, effectuée le 28 février 2025. Face aux retards généralisés, aux abandons de travaux et aux difficultés financières des entreprises adjudicataires, elle dresse un constat alarmant sur l’état d’avancement du « Projet d’aménagement, d’assainissement et de bitumage de 14,34 km de rues urbaines ». Pointant du doigt des études préalables défaillantes, des blocages administratifs et un manque de financement, elle interpelle le gouvernement sur sa responsabilité et appelle à des mesures urgentes pour mettre fin aux désagréments subis par les populations depuis plus de trois ans. Lisez la déclaration liminaire sanctionnant cette rencontre avec la presse!
Déclaration liminaire
Mesdames et messieurs les journalistes,
Je vous remercie pour votre présence aujourd’hui à cette conférence de presse qui fait suite à ma dernière visite de chantiers dans le cadre de mes activités parlementaires d’intersession. Vous convenez avec moi que notre responsabilité d’élue nationale nous donne le pouvoir de légiférer et de contrôler l’action gouvernementale.
C’est donc dans ce cadre que j’ai effectué une visite le vendredi 28 février 2025, sur les chantiers des voiries suivantes :
- Boulevard Mobutu, piloté par CENTRO S.A. (Consortium des Entreprises Tropicales) ;
- Rue des Handicapés, rue atlantique y compris sa bretelle sur la rue Litimé piloté par ICC ;
- Avenue Tchaoudjo, rue des Robinets y compris sa bretelle sur rue Tévetias confié à l’entreprise IBC ; où il y a eu le drame du décès de l’enfant tombé dans un caniveau ;
- Boulevard Houphouët Boigny, piloté par SOROUBAT (Société de Routes et de Bâtiments) ;
- Rue Maria Auxiliadora, piloté par CETA Ingénierie ;
Cette visite m’a permis de recueillir des informations sur le terrain et de voir toucher du doigt les réalités à la base des retards, voire des abandons de chantiers qui causent des désagréments aux populations des quartiers concernés, notamment : Bè-Gbényédzi, Hounvémé, Ahligo, Kotokoukondji, Akodessewa, Ablogamé, et autres.
La première phase a été lancée en décembre 2021 et consiste entre autres réalisations en l’aménagement, l’assainissement, le bitumage et l’éclairage de voirie urbaines à Lomé composées du Boulevard Mobutu long de 1,739 km et de la rue Maria Auxiliadora longue de 2,668 km.
La seconde phase lancée un an plus tard en décembre 2022 vise l’aménagement, l’assainissement et le bitumage et l’éclairage du Boulevard Houphouët Boigny, de l’Avenue Tchaoudjo plus la Rue des Robinets y compris sa bretelle sur la rue Tévetias, de la Rue des Handicapés, plus la Rue Atlantique y compris sa bretelle sur la rue Litimé et de la Rue 1 Doumasséssé.
Constat général
L’analyse générale de l’évolution des chantiers en cours révèle une situation préoccupante. J’ai noté des retards généralisés et absences d’activité sur plusieurs chantiers. Certains affichent des niveaux d’avancement faibles malgré une consommation excessive des délais alors que d’autres sont suspendus faute de financements.
En raison de paiements en attente, les entreprises adjudicataires sont en difficultés financières ce qui impacte directement l’exécution des travaux. Ainsi les travaux connaissent d’importants retards et sont, pour la plupart, à l’arrêt en raison de blocages financiers et administratifs. La majorité affiche des taux d’avancement inférieurs à 50 %, alors que les délais sont largement dépassés, atteignant parfois plus de 250 % du temps initialement prévu.
Constat voie par voie
- Boulevard Mobutu
Les travaux du Boulevard Mobutu sont réalisés par CENTRO S.A. sous le contrôle du Bureau AGECET. Le taux d’avancement est de l’ordre de 55,82% pour un délai consommé exponentiel de 344,5 %. Les travaux qui ont commencé il y a quatre ans sont arrêtés à cause des problèmes qui ont conduit à la demande de révision du prix du marché de base :
- les réseaux TDE à déplacer n’avaient pas été correctement identifiés lors de l’étude préalable et n’ont donc pas été pris en compte dans l’évaluation des coûts des travaux. La découverte en cours de réalisation d’un réseau important a même conduit à adopter la solution technique d’une déviation de la route sur une longue distance pour ne pas endommager le réseau ;
- les réseaux de la Société d’Infrastructures Numérique (SIN) découverts après le démarrage des travaux se sont ajoutés aux réseaux existants à déplacer. Pourquoi les installations de SIN n’ont pris compte les études existant déjà sur les voies avant d’implanter leurs réseaux ?
- les travaux ayant démarré en 2021 après la COVID 19 et l’entreprise n’ayant pas pu les terminer dans le délai de 11 mois prévu au contrat, l’inflation liée à la COVID a considérablement impacté les prix des matériaux qui ont flambé.
Face à cette situation, les 52 millions fcfa que les études avaient prévus pour le déplacement des réseaux sont passés à plus de 300 millions fcfa, soit 481 % d’augmentation. En tenant compte de cette augmentation, des quantités dues à la déviation de la voie sur la rue Litimé et de la flambée des prix des matériaux, l’entreprise exige une actualisation du marché à la hausse de 70 % alors que les textes en vigueur n’autorisent pas plus de 30 % d’actualisation.
Les travaux sont donc bloqués en attendant que le problème soit réglé et selon l’entreprise, même si la situation était débloquée dans les jours à venir, ces travaux qui ont démarré depuis 4 ans ne pourront pas être terminés en 2025 sans le paiement régulier des décomptes.
- Rue des Handicapés et Avenue Tchaoudjo
Les travaux de la Rue des Handicapés + rue atlantique y compris sa bretelle sur la rue Litimé pilotés par l’entreprise ICC sont à un taux d’avancement de 60 %, et un délai consommé de 224 %.
Les travaux de l’Avenue Tchaoudjo + rue des Robinets y compris sa bretelle sur rue Tévetias, sont exécutés par l’entreprise IBC. Leur taux d’exécution est de 43 % avec un délai consommé de 224 %.
Les travaux des deux entreprises sont contrôlés par le bureau BEI&C/GTAH/BETIC.
Les entreprises sont toutes les deux confrontées à un même problème : celui des décomptes impayés qui les obligent à suspendre leur travaux qui pourtant avançaient bien.
3. Boulevard Houphouët Boigny
Les travaux sur le Boulevard Houphouët Boigny connaissent un taux d’avancement de 33 % pour 160% du délai consommé.
Le chantier qui est lancé depuis décembre 2022 est suspendu. Les caniveaux préfabriqués sont posés le long de la rue. Les déplacements de réseaux prévus ont connu plus de 500 millions de fcfa d’augmentation soit 50 % de leur coût initial. Ces déplacements n’ont pas encore été tous effectués. Mais la raison principale de l’arrêt des travaux est le non-paiement de deux décomptes (l’un déposé en février et l’autre en juin 2024). L’entreprise affirme que sur un marché de 11,8 milliards de fcfa, elle n’a encaissé à ce jour que 5 % de ce montant, y compris l’avance de démarrage.
4. Rue Maria Auxiliadora
L’aménagement de la Rue Maria Auxiliadora visitée en dernière position est confié à l’entreprise CETA sous le contrôle de Bureau d’étude AGECET. Les travaux enregistrent un taux d’avancement de 55 % et ont consommé 345 % du temps prévu.
Deux difficultés ont été relevées sur ce chantier :
- l’identification des réseaux a été mal faite dans l’étude préalable, ceci ajoutée aux quantités qui ont augmenté explique l’introduction d’une actualisation du marché de base qui est passé de 1,5 milliards à 2,25 milliards ;
- l’entreprise enregistre un décompte impayé depuis 2024.
Ces problèmes ont conduit à l’arrêt de ce chantier qui a démarré depuis 2021.
Quelle analyse et questionnement s’imposent après ces constats ?
La question de déplacement des réseaux a ralenti les travaux qui ont pris de plus en plus de retard et conduit à leur arrêt comme on a pu l’observer sur le Boulevard Mobutu, le Boulevard Houphouët Boigny et la Rue Maria Auxlilliadora.
On peut questionner la qualité des études préalables qui se révèlent finalement inutiles et inefficaces surtout sur la question de l’identification des réseaux.
Il faut souligner également la responsabilité de la TdE qui doit collaborer avec les bureaux d’études dans l’identification des réseaux à déplacer au cours des travaux. Cette institution semble ne pas avoir la maitrise de ses réseaux, ce qui est incompréhensible en ce 21e siècle et surtout à l’heure du numérique.
La responsabilité de l’Etat est engagée fortement dans les difficultés à terminer les travaux.
Comment expliquer en effet que des factures des entreprises restent en souffrance dans des marchés engagés contractuellement par le gouvernement ?
Le gouvernement n’a-t-il pas sécurisé les fonds nécessaires dès la signature des marchés et pourquoi ?
Notre pays, le Togo est-il encore solvable ?
Comment un gouvernement responsable peut-il se permettre d’accumuler des dettes internes de plusieurs années au point de mettre en péril les entreprises et sans anticiper sur les conséquences économiques et sociales des arrêts des travaux sur une longue durée ?
Conséquences pour les populations et les activités économiques
Les retards dans les travaux prolongent le temps de fermeture des commerces et ateliers installés le long des rues aménagés, ce qui engendre un ralentissement notable des activités économiques dans ces zones, la faillite et le chômage des acteurs économiques impactés par les travaux. C’est le cas par exemple de la rue Houphouët Boigny qui relie deux marchés importants (Marchés de Bè et d’Akodéssewa) et regorge de plusieurs commerces et ateliers d’artisans.
A cause de l’arrêt des travaux, on observe aussi des risques sanitaires dûes à la stagnation des eaux de pluie, ainsi que des accidents tragiques comme en témoigne le décès malheureux d’un enfant sur l’Avenue du Tchaoudjo.
Cette situation est pénible partout pour les riverains des voies en cours d’aménagement. Sur la rue Auxilliadora par exemple, les ménages sont privés d’eau et d’électricité depuis deux ans à cause des travaux et partout ailleurs, les véhicules ont du mal à circuler. Les riverains ne pouvant plus utiliser leurs garages, sont obligés de trouver des solutions alternatives qui engendre autant de frais supplémentaires.
Finalement depuis trois ans, ce projet censé procurer un peu de bien-être aux populations ne leur apporte que souffrances et désagréments.
Budget exercice 2025 n’apporte pas de solutions convainquant à ces problèmes
Le budget de l’État togolais pour l’exercice 2025 s’élève à 2 396,6 milliards de FCFA, marquant une augmentation de 9,9 % par rapport au budget initial de 2024.
Un fonds de 72 milliards de FCFA sont destinés pour l’aménagement routier, ce qui représente une diminution de 14 % par rapport aux 84 milliards de FCFA alloués en 2024.
Au regard de cette situation, lors de l’étude du budget, le 16 décembre 2024, nous avions posé deux questions écrites au gouvernement :
- Quelles sont les mesures financières concrètes qui sont prises dans le budget 2025 pour la reprise des travaux abandonnés dans le cadre des travaux urbains et pour garantir leur achèvement dans les délais les plus brefs ?
- Une stratégie de suivi et d’évaluation des projets d’infrastructures en cours existe-t-elle ? Si oui, quels sont les indicateurs clés de performance utilisés pour prévenir des situations similaires à l’avenir ?
Nos questions sont restées sans réponse.
Pire, nous observons qu’au lieu de consacrer les 11 milliards de fcfa reçus du budget exercice 2025 à l’achèvement des travaux urbains en cours, le gouvernement, comme par hasard à la veille des élections municipales, ne trouve mieux que d’ouvrir de nouveaux chantiers.
Lors des échanges avec les entreprises, nous avons compris qu’il y a des dépassements des marchés en cours qui avoisinent les 20%. Ils sont dus à la variation des quantités et au déplacement de réseaux et nécessitent forcément des avenants aux marchés.
Ces dépassements dénotent un manque de rigueur dans les études préalables et une sous-estimation des besoins réels. Le gouvernement doit assumer sa responsabilité et garantir une exécution plus efficace et transparente des projets.
En conclusion,
Pour ces chantiers visités et tous les autres en souffrance sur toute l’étendue du territoire :
- nous demandons au gouvernement de prendre des mesures concrètes afin de mettre un terme au calvaire que subissent les populations depuis près de quatre ans ;
- nous exigeons du gouvernement un renforcement de la qualité des études techniques en amont afin d’éviter des dépassements excessifs dus à la variation des quantités et au déplacement des réseaux, y compris leurs conséquences néfastes sur les usagers des infrastructures réalisées ;
- nous réclamons du Parlement la mise en place d’un suivi parlementaire rigoureux et systématique des projets publics, garantissant ainsi une gestion plus efficace et transparente des ressources de l’État ;
- nous souhaitons de la Cour des comptes la réalisation d’un audit approfondi des projets d’aménagement d’infrastructures afin de permettre à chacun d’en tirer des leçons et aux maîtres d’ouvrage des administrations de l’État et des collectivités territoriales d’assurer une utilisation plus rationnelle, rigoureuse et efficace des fonds publics.
Je vous remercie.