Togo- Sénat: La réinvention démocratique annoncée déjà étranglée

Le Chef de l’État, Faure Gnassingbé a officialisé dans la nuit du mercredi 05 mars 2025 sa liste des sénateurs nommés. Une liste de 20 personnes composée de fidèles à recaser, de conseillers, d’opposants dociles, de militants zélés et de personnalités flagorneuses du régime en place. Les promesses d’une nouvelle République exemplaire ou de réinvention démocratique sont prises en otage par l’appât du gain politique : le pouvoir à vie.

« Comment conserver le pouvoir ? » Telle est l’une des deux questions que pose Le Prince de Machiavel, souvent considéré comme un manuel pratique à l’usage des aspirants au pouvoir. La fin justifie les moyens, a-t-il répondu avec un cynisme effarant. Lorsqu’il s’agit de conserver le pouvoir, le souverain ne doit pas se préoccuper de morale, il doit mobiliser tous les moyens à sa disposition, même les plus condamnables. Une profession de foi pragmatique, aujourd’hui aux antipodes des normes démocratiques, mais qu’on semble appliquer sous les tropiques avec dextérité.

Un Sénat au goût du Président

Au travers d’un décret présidentiel signé le 5 mars 2025 que le Président Faure Gnassingbé s’est acquitté de cette tâche dévolue par la constitution au président du conseil des ministres, 21 jours après les élections sénatoriales largement remportées par le parti au pouvoir avec 34 sièges sur les 41 que compte cette deuxième chambre du Parlement togolais. Pour ce faire, le chef de l’Etat n’a pas semblé avoir ratissé large. Apparemment, il lui a suffi de porter son choix sur un groupe d’hommes et de femmes connus pour leur collaboration agissante pour le triomphe des idéaux du parti au pouvoir, plus ou moins immédiatement disponibles et saupoudrer l’ensemble d’une race de figures se prévalant de l’opposition pour obtenir le cocktail dont il a besoin pour basculer le pays dans sa 5ème république de toutes les controverses.

Entre des fidèles militants, des opposants dociles et des religieux à la solde du régime, Faure Gnassingbé a composé un cocktail à son goût. Des hommes et des femmes acquis à sa cause et dont la loyauté est garantie alors que le pays aborde une pente glissante de son histoire politique. Dans les rangs des nominés, on peut facilement former la classe des fidèles et conseillers à caser, des militants à récompenser, des opposants dont l’accointance avec le régime ne souffre d’aucune contestation dans leur rôle éhonté de faire-valoir du supposément politique d’ouverture du Chef de l’Etat, et la classe des personnalités qui ont décidé de sacrifier la souffrance écrasante des populations sur l’autel de leur appétit vorace pour les délices éphémères d’un rôle spectateur mettant sous éteignoir leur intellectualité au sein de la grande classe des récompensés. De toute façon, ces dernières ne sont-elles pas aussi récompensées pour leur silence face aux sévices infligés à la majorité des populations depuis plus d’un demi-siècle par un régime pour qui « la fin justifie les moyens ».

Les moyens concernent aussi bien les hommes que les ressources. Comment comprendre que dans un pays ou plus de la moitié de la population agonise dans une pauvreté indicible, le gouvernement se permet de créer une institution dont l’inutilité a été suffisamment démontrée. Si ce n’est une opération de dilapidation des maigres ressources du pays pour satisfaire des besoins inavoués ou des ambitions personnelles. Malgré tout ceci, certains commerçants politiques s’octroyant le titre d’opposants aux convictions légères continuent de tenter de faire croire le contraire. « Le Togo ouvre aujourd’hui une nouvelle page institutionnelle. Nous avons conscience des débats qui ont entouré la création du Sénat. Il nous appartient désormais de prouver aux citoyens que cette institution a un rôle fondamental à jouer dans l’amélioration de la gouvernance et la consolidation de notre démocratie », a déclaré Me Mouhamed Tchassona-Traoré, sénateur nommé et Président du Mouvement Citoyen pour la Démocratie et le Développement (MCD). Celui-là même qui a été incapable de se faire élire et qui ne doit sa présence au Sénat qu’à la volonté du Chef de l’Etat d’en faire un outil politique.

Nouveau cercle pour un pouvoir à vie…

Ce qui se dessine au Parlement de la 5ème République est un cercle très favorable au statu quo à la tête du pays. Un cercle nécessaire pour mettre en route la machine qui concrétisera le rêve d’un pouvoir à vie de Faure Gnassingbé.

Ainsi, cette réforme précipitée n’a que pour objectif la pose d’une nouvelle base d’une République taillée sur mesure pour Faure Gnassingbé. Les nominations au Parlement confortent cette idée au regard des profils minutieusement choisis pour consacrer la nouvelle République. Une façon pour le Chef de l’Etat d’étendre son pouvoir sur les hommes et les femmes qui seront appelés dans ce cercle à briller par leur loyauté.

« Je veux terminer ces vœux que je vous adresse pour 2025 en soulignant combien l’année qui vient marquera un renouveau de notre vie démocratique. En février prochain (2025), un Sénat sera mis en place et dans les mois qui suivent, la réforme constitutionnelle votée en 2024 entrera en vigueur. Le Togo deviendra alors une véritable démocratie parlementaire, comme c’est le cas dans plusieurs grands pays, notamment l’Inde, l’Ile Maurice, le Royaume-Uni ou l’Allemagne, par exemple. Je me réjouis de cette évolution qui permettra au peuple togolais d’être mieux représenté et contribuera donc efficacement à la préparation de l’avenir du pays », avait énoncé le Chef de l’Etat, en décembre 2024. Ces paroles sonnent creuses.

En effet, c’est connu , un minimum d’alternance favorise grandement la qualité et l’efficacité de la gouvernance et renforce la démocratie, alors que la permanence indéfinie du même homme au pouvoir sous couvert d’exigence populaire soigneusement orchestrée finit toujours par devenir un facteur d’instabilité aussi fort qu’un trucage électoral – et cela d’autant plus que les deux vont de pair. Sans pour autant verser dans le constitutionnalisme béat, aucune Constitution n’étant par nature intouchable, il importe donc de convaincre les détenteurs du pouvoir qu’« il n’existe pas de sagesse plus vraie » et que « rien n’est plus clairement la marque d’un homme d’État que de savoir quand passer le flambeau à une nouvelle génération », Kofi Annan.

En d’autres termes : l’alternance au pouvoir est la clé de la stabilité. Le Ghana et le Bénin, en sont une preuve palpable.

Source: Journal « Le Correcteur « , Lemy Egblongbéli

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