Reforme du protocole additionnel: Les OSC fixent un deadline à la CEDEAO

Les organisations de la société civile, mouvements politiques, citoyens et autres de tous les secteurs d’Afrique de l’ouest insistent sur la nécessite de la réforme du protocole additionnel a/sp1/12/01 de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance et de l’harmonisation de la limitation des mandats présidentiels à deux au sein de l’espace. Dans la droite ligne de leur courrier daté du 8 juin adressé à la Commission et aux responsables de la CEDEAO, ils ont réitéré leurs position au cours d’une conférence de presse tenue jeudi à Abuja au Nigeria.

CONFERENCE DE PRESSE : Déclaration liminaire

Nous, citoyens de la CEDEAO, issus des mouvements et organisations de la société civile, du secteur privé, des partis politiques, des syndicats, des mouvements religieux ou laïcs, des associations de femmes et de jeunes etc., reconnaissant le Traité de la CEDEAO, réunis grâce aux moyens de la technologie, avons examiné la situation générale dans l’espace CEDEAO ainsi que les perspectives de réalisation de la vision collective d’intégration pour « une CEDEAO des peuples ».

Après la vague de démocratisation des années 90 qui avait suscité beaucoup d’espoir, notre espace communautaire ouest-africain subit un vrai déclin ; il est confronté de plus en plus à une érosion des libertés individuelles et collectives dans un contexte d’instabilité grandissant en rapport avec les crises socio-politiques récurrentes et l’extrémisme violent. Cette situation alarmante nous a conduits à adresser à la commission de la CEDEAO, le 08 juin 2023, une déclaration dans laquelle nous rappelons qu’« il est temps de changer de narratif… », et que « les enjeux de développement économique étant intimement liés à la consolidation de l’État de droit et de la démocratie… il faut que la CEDEAO procède à des réformes, notamment à la réforme de son protocole additionnel a/sp1/12/01. La limitation des mandats doit être une pierre angulaire dans la construction de ce nouveau narratif et dans la volonté farouche de mettre l’institution au service des communautés ».

En effet, en Afrique de l’Ouest, les velléités de longévité au pouvoir sont de plus en plus marquées et l’alternance démocratique est une perspective de plus en plus éloignée dans beaucoup de pays, consacrant ainsi un vrai déni des normes et standards démocratiques tels que prescrits par le protocole additionnel a/sp1/12/01 et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Pourtant, 80 % des peuples de la région sont opposés à la confiscation du pouvoir politique et à la perspective d’un 3ème mandat à la tête des Etats et 75 % soutiennent le mode de gouvernance démocratique. En dépit de cette réalité, au Togo le Président exerce actuellement son 4ème mandat et va boucler 20 années de pouvoir, en Côte d’Ivoire le Président exerce son 3ème mandat et bouclera 15 années à la tête du pays, en Guinée un coup d’état a interrompu l’exercice du 3ème mandat, au Sénégal le Président s’est ressaisi après plusieurs signaux faisant craindre une volonté de briguer un 3ème mandat… En ayant manipulé la Constitution, le Président Togolais peut théoriquement briguer un 5ème mandat en 2025, il totalisera 25 années de pouvoir pour un total de 63 ans pour sa dynastie familiale ; le Président Ivoirien pourra lui aussi, à la faveur du changement constitutionnel théoriquement briguer un 4ème mandat en 2025.

Dans tous ces pays, de graves turbulences socio-politiques ont émaillé les processus d’allongement des mandats, confirmant ainsi la forte opposition des peuples à la longévité au pouvoir. En cas de crises socio-politiques, les répercussions sont dramatiques, humaines, sociales et économiques contrastant avec les conditions idoines prônées par la CEDEAO pour un développement inclusif et durable. De plus, ces crises peuvent constituer des prétextes pour une immixtion des forces de sécurité dans le jeu politique, aggravant alors les risques d’instabilité. Pour se maintenir, les pouvoirs usent de subterfuges politico-judiciaires constituant ce que d’aucuns ont appelé la nouvelle ingénierie de coup d’état : modification ou manipulation constitutionnelle et remise à zéro des compteurs, abrogation de la disposition limitant les mandats, élections truquées, restriction de l’espace civique, instrumentalisation de la justice, prééminence abusive de l’exécutif, impunité, violence érigée en système afin de taire les voix dissonantes, marginalisation des opposants et des systèmes de contre-pouvoir etc… Les maux sont graves et symptomatiques d’une radicalisation des pouvoirs qui sont prêts à tout pour empêcher toute alternance démocratique.

Cette crise de gouvernance politique va de pair avec une vraie crise de gouvernance économique : en confisquant le pouvoir politique, les régimes s’appuient sur une oligarchie qui pratique une prévarication à outrance. Le Togo, seul pays parmi les 15 de la CEDEAO à n’avoir jamais fait l’expérience de l’alternance démocratique et seul pays à s’être opposé à deux reprises à la réforme du protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance, a un score de 30/100 selon l’indice de perception de la corruption publié en 2022 par Transparency International, loin derrière le Rwanda qui a connu un génocide (score de 51/100), le Botswana et le Cap Vert (score de 60/100) fervents partisans de la limitation de mandat et de l’alternance démocratique.

La culture de l’alternance périodique à la tête des Etats favorise en effet la reddition des comptes et une meilleure gestion des finances publiques. Comme le rappelait le Dr Aminata Touré ancien Premier Ministre du Sénégal, « la limitation des mandats permet des transitions politiques à des intervalles réguliers et prévisibles. Ce qui fait que les partis et les candidats rivaux n’ont pas vraiment de raison de recourir à des moyens détournés pour renverser le système… Les dirigeants se sentent davantage motivés à produire des résultats pour laisser un héritage positif à leur successeur… La limitation des mandats permet aussi de renouveler le leadership et encourage la montée d’une autre génération de dirigeants politiques, elle permet aussi l’apport de sang neuf et la possibilité de changements de politiques ».

Chers concitoyens, nous avons vu la CEDEAO réagir promptement lors des coups d’états au Mali, en Guinée et au Burkina Faso. Si les analystes s’accordent à dire qu’elle excelle à réagir et à imposer des sanctions rapides aux régimes putschistes, tous reconnaissent aussi son incapacité à apporter des réponses aux coups d’Etats constitutionnels et coups de force électoraux, devenus la nouvelle stratégie d’accaparement du pouvoir politique. Le 4ème mandat au Togo, le 3ème en Guinée et en Côte d’Ivoire n’ont suscité aucune réaction de la part de la CEDEAO, alors que tous les signaux démontraient que le jeu politique était sciemment altéré par le pouvoir afin de se maintenir. Pire encore, la CEDEAO avalise les résultats d’élections douteuses et félicite chaleureusement le « vainqueur ». Pourtant, la solution existe : elle réside en grande partie dans la réforme du protocole pour mettre fin définitivement aux pratiques délétères qui concourent à la longévité au pouvoir. L’institutionnalisation à l’échelle supranationale de la limitation de mandat peut contrer la prééminence de l’exécutif et soutenir le rééquilibrage des pouvoirs pour la consolidation de l’Etat de droit et de la démocratie. Si des pays s’y sont opposés en 2015 puis en 2022 au nom d’intérêts obscurs, il est temps désormais, au nom de la CEDEAO des peuples, de parachever le processus.

Selon les termes d’une étude publiée par le Centre d’études stratégiques de l’Afrique, « Étant donné la faiblesse relative d’institutions démocratiques indépendantes telles que le parlement, la justice, le service civil, les forces de sécurité, les médias, les médiateurs et les banques centrales, les limites de mandats sont perçues comme un élément important des contrepouvoirs » et d’ajouter que « l’incapacité à inverser la tendance à la récession en matière de limitation des mandats risque de ramener l’Afrique à une ère de « présidents à vie » de facto et d’États à parti unique ».

Chers concitoyens, vous vous souvenez qu’en 2015 puis en 2022 pourtant, la CEDEAO était en passe de faire du principe de limitation des mandats, une règle intangible de gouvernance. Mais l’échéance a été retardée à chaque fois par quelques Chefs d’États (ceux du Togo et de la Gambie en 2015 et du Togo, de la Côte d’Ivoire et du Sénégal en 2022). Alors que nous faisons cap vers ses 50 ans, il est temps que la CEDEAO franchisse le pas et la limitation des mandats doit s’inscrire en lettres d’or dans le protocole additionnel de la CEDEAO et s’imposer à tous. Il y va de la sauvegarde des libertés et de la dignité des femmes et hommes pour le développement de notre région et du continent.

Nous lançons un appel solennel à l’ensemble de la Communauté Ouest-Africaine pour que le cœur de la VISION 2050 se concrétise et que nous disposions désormais d’« une communauté de peuples pleinement intégrée dans une région paisible, prospère avec des institutions fortes et respectueuses des libertés fondamentales ».

Nous demandons qu’avant la fin de cette année 2023, le protocole additionnel soit réformé et la limitation à deux des mandats soit, de manière irréfutable, une disposition intégrale et un principe clé et intangible de gouvernance afin de restaurer et de consolider la démocratie en Afrique de l’Ouest.

En regardant le chemin parcouru depuis 1975 ainsi que les jalons importants et les progrès réalisés, nous lançons un appel solennel aux instances gouvernant la CEDEAO et à son président en exercice, SE Ahmed Bola Tinubu, Président du Nigéria afin qu’ils répondent à l’appel des peuples de notre espace communautaire et qu’ils se saisissent des problèmes lancinants de l’heure pour construire une CEDEAO forte et résiliente capable de faire face aux défis multiformes,  surtout dans le contexte actuel d’insécurité où des changements pragmatiques apparaissent plus impératifs et nécessaires que jamais.

Abuja le 27 juillet 2023

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