Dans leur tribune hebdomadaire « Cité au quotidien » de cette semaine titrée « conte pour aujourd’hui », Maryse Quashie et Roger Folikoue se basent sur l’une des fables de Jean de La Fontaine pour illustrer la situation sociopolitique que connait le Togo. Lisez plutôt !
Cité au Quotidien : Conte pour aujourd’hui
On se demande ce qui est le plus difficile à supporter : la chaleur accablante de ce mois de mars, le poids terrible du coût de la vie qui crée une pauvreté inconnue jusque-là dans notre pays, ou l’étouffement des libertés individuelles. L’atmosphère est vraiment irrespirable et vraiment, ne pas avoir le droit de le dire, de s’en plaindre, c’est certainement le plus pénible.
Habituellement, c’est après des échéances électorales que les citoyens togolais sont ainsi bâillonnés, mais depuis le début de la crise sanitaire, ce n’est pas le COVID-19 qui empêche de respirer mais la chape de plomb de la répression.
Malgré tout cela, nous ne devrions pas nous attrister de cela. Pourquoi ? Pour vous donner la réponse, nous voudrions partager avec vous ce conte qui vient d’une grand-mère : elle-même l’a hérité de sa grand-mère.
« Il y a longtemps, bien longtemps, au début de la création, tous les animaux avaient la même intensité de voix. Le Créateur voulait ainsi leur montrer que personne ne pouvait élever la voix au-dessus de celle d’autrui…. Cette situation a duré quelque temps.
Mais très vite elle est devenue ingérable pour le Lion que le Créateur avait désigné comme roi des animaux. En effet, le désordre régnait sur terre : on ne s’entendait plus, au sens direct du terme. Tout le monde parlait, personne n’écoutait : un brouhaha innommable assourdissait tous les habitants du pays. Le Lion n’arrivait pas à arrêter cette pagaille puisque sa voix ne couvrait pas celle des autres. Il réussit toutefois à rassembler une délégation avec quelques animaux proches de lui et ils se rendirent auprès du Créateur.
Après avoir écouté leur exposé, le Créateur leur demanda comment ils en étaient arrivés à cette situation.
– C’est le chien, celui à qui tu as donné le nom de roquet qui est responsable de ce qui se passe !
– Comment a-t-il pu faire cela ?
– il se mêle de tout, il veut toujours donner son avis, mais surtout il n’accepte pas l’avis des autres, il faut toujours qu’on fasse ce qu’il veut lui. On a cédé une ou deux fois mais maintenant il veut tout réglementer. Nous ne pouvons accepter cela ! Mais comme tu nous as interdit de nous battre entre frères, d’utiliser la violence pour régler nos différends, nous ne pouvons pas le réduire au silence en lui donnant une bonne raclée !
– Vous avez bien fait. La violence est absolument interdite entre vous !
– Alors nous sommes venus te voir pour que tu lui enlèves la voix.
– Je ne peux pas lui enlever la voix, il faut qu’il parle. Mais retournez-en chez vous je vais résoudre le problème, vous allez le constater. Ils revinrent donc dans le pays que le Créateur leur avait donné. Dès le lendemain le brouhaha commença à diminuer et en quelques jours le pays avait retrouvé son calme.
Que s’était-il passé ? Le roquet continuait pourtant à donner de la voix, quel que soit le sujet abordé. Mais les autres animaux pouvaient ne pas l’écouter car sa voix n’avait plus la même intensité qu’avant. Les autres s’en étaient vite rendu compte et ne tenaient plus systématiquement compte de son avis. Lui, ne comprenant pas ce qui se passait donnait de plus en plus de la voix. Il commença à avoir peur des autres, et pour les tenir à distance, il aboyait pour un rien…
Que s’était-il passé ? Qu’avait fait le Créateur ? En fait il avait diminué l’intensité de la voix du roquet, mais sans que celui-ci ne s’en rende compte car en lui sa voix résonnait toujours de la même façon.
Le calme était revenu au pays des animaux. Le roquet donnait souvent de la voix pour qu’on le respecte mais les autres ne s’en faisaient plus ».
Quelle est la morale de cette histoire ? Savez-vous comment le dictionnaire Le Robert définit un roquet ? Petit chien hargneux qui aboie pour un rien. Vous les connaissez ces chiens n’est-ce pas ? Ce sont des peureux en fait et ils aboient pour tenir à distance les autres qu’ils craignent.
Pourquoi ce conte ? Pour vous montrer que tout pouvoir qui opprime sans cesse, montre ses faiblesses et surtout révèle qu’il a peur des gouvernés. Etes-vous sceptiques ? Il ne faut pas car vraiment il veut faire régner la terreur pour que nous ne prenions pas conscience de notre force.
En effet, vous vous imaginez, voilà un pays où depuis plus d’un demi-siècle on essaie de faire abandonner aux citoyens, le désir d’une société plus juste et plus équitable. Pour cela les moyens les plus ignobles ont été utilisés jusqu’à l’assassinat d’enfants. Et pourtant dans ce pays, aujourd’hui encore les gens ne veulent pas se taire, on dénonce les injustices et la privation des libertés, on livre à tous le secret des détournements des biens de tous et de la corruption, les travailleurs continuent à se réunir pour réclamer leurs droits, on n’accepte pas la fraude électorale et le fonctionnement pervers des institutions.
On ne peut pas raisonnablement qualifier de redoutables un groupe de personnes qui molestent et tabassent, enferment en prison, tuent et blessent les citoyens depuis si longtemps, une poignée de personnes qui affament tout un peuple et l’étouffent en même temps.
Oui c’est vrai que ce groupe peut ôter la vie à qui il veut. Mais en même temps, il reconnait par là-même son échec : il n’arrive pas à avoir la paix pour jouir des milliards indûment entassés dans les comptes en banque ; il est toujours sur le qui-vive, cherchant sans cesse de nouveaux moyens pour réduire au silence. Mais il a toujours en face de lui des personnes qui lui rappellent son devoir de protection du bien commun, des personnes et des biens de tous, du respect des lois et institutions du pays.
Si nous analysions notre situation de cette manière, n’aurions-nous pas la force et le courage de nous réorganiser autrement face aux nouvelles tentatives de privation de nos droits ? Ne serions-nous pas suffisamment calmes et confiants pour penser tranquillement une stratégie qui nous amènera à la victoire ?
Une victoire à l’image de celle du roseau qui au cours de la tempête, plie, se courbe mais qui se relève après pour regarder, déraciné par la violence du vent, couché par terre, le chêne arrogant, celui de qui la tête au ciel était voisine et dont les pieds touchaient à l’empire des morts (La Fontaine, Le Chêne et le Roseau).
Lomé, le 5 mars 2021