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Togo- Maryse Quashie : « Le Happy Day des Togolais va advenir, soyons sûrs »

Dans leur rubrique hebdomadaire « Cité au quotidien » de cette semaine, Maryse Quashie et Roger Folikoue imaginent le jour de la libération des Togolais sous le règne des Gnassingbé. Ce sera un « happy day ». Lecture.

Oh Happy Day

Il fit le tour de la pièce du regard. Sa couverture était pliée par terre comme d’habitude. Il se leva, il s’arrêta devant chacun des murs. Tous étaient couverts de petits traits tracés manifestement avec un outil pointu.

Il se dit qu’il ne pouvait les compter tous…. Mais dès le début, il avait pris la peine d’inscrire le total au bas d’un des murs. Au moment d’ajouter un dernier trait, il hésita, puis il le fit deux fois plus grand que les autres. Ensuite, il écrivit par terre : 10041. Sous ce nombre, il écrivit d’autres 14965, 10585, 7665.

Puis il s’assit par terre en face d’eux. C’est là qu’on le trouva dans l’après-midi lorsqu’on vint le chercher. Toutes les personnes présentes étaient étonnées et se demandaient s’il n’était pas devenu fou. Sa femme osa lui demander ce que signifiait son dessin. Il répondit sans se faire prier :

7665 : le dictateur MARCOS est resté au pouvoir aux Philippines de 1965 à 1986, soit 21 ans, cela fait 7665 jours ;

10585 : le dictateur DUVALLIER dit Papa Doc et son fils dit Bébé Doc sont restés au pouvoir en Haïti l’un après l’autre de 1957 à 1986, 29 années soit 10 585 jours ;

14965 : le dictateur SALAZAR est resté au pouvoir au Portugal de 1933 à 1974, 41 années soit 14 965 jours ;

Moi je viens de faire, grâce au régime d’apartheid, 27 ans, 6 mois et 6 jours en prison. Cela fait 10 041 journées.

– « Et pourquoi le dernier chiffre est plus grand que les autres ? » demandèrent, ceux qui l’écoutaient.

– « Parce que c’est le dernier jour qui est le plus important. Oui c’est le dernier jour qui compte. Après ce n’est plus jamais pareil. Ils sortirent alors de la pièce en chantant : Oh happy day ! »

Ce que nous vous racontons-là s’est passé le 11 février 1990, le jour où Nelson MANDELA est sorti de prison. Evidemment, c’est une allégorie que nous avons inventée à partir de l’histoire vraie de quelques-unes des dictatures les plus féroces du monde. Quelle que soit leur cruauté, une date a marqué leur fin. Ce jour-là c’est le « happy day » des populations que ces dictatures opprimaient depuis si longtemps. Un « Happy day » advient toujours !

Alors chers concitoyens, est-ce impossible de croire en la fin de nos souffrances ? Croyez-vous vraiment que notre cas est le pire de tous ? Comptez bien les jours où les dictateurs et la dynastie de dictateurs ont tenu les Haïtiens, les Portugais, les Philippins sous leurs bottes, renseignez-vous sur les moyens qu’ils ont utilisés contre leurs populations. Et ne dites pas que nous, en plus nous sommes frappés par la pauvreté ! Juste un exemple : au moment du départ de Marcos, sa femme Imelda possédait, elle seule 3000 paires de chaussures achetées sur les fonds de l’Etat philippin. Vous pouvez dès lors vous imaginer comment les MARCOS ont appauvri les Philippins.

Alors, ayons foi en nous-mêmes, soyons sûrs que notre Happy day va advenir et travaillons dans ce sens !

Nous entendons déjà la réponse : Comment ? Comment le faire alors que le régime est en train de durcir son emprise sur la population, d’appuyer son genou sur la gorge des citoyens qui étouffent déjà… ?

Nous n’allons pas proposer ici une stratégie pour tous ceux qui s’engagent dans des actions multiformes contre la mauvaise gouvernance, l’injustice, la corruption, la limitation et même la privation des libertés individuelles, libertés fondamentales. Non ce que nous proposons, c’est un choix possible pour tout citoyen moyen, qui ne fait partie d’aucun regroupement, qui se contente juste d’essayer de gagner de quoi vivre chaque jour.

Voici notre proposition :

– Commencez par imaginer ce que serait votre vie quotidienne lorsque notre “happy day” sera advenu. Vous vous dites alors : on ne nous terrorisera plus, on ne nous tabassera plus lors des manifestations, nous aurons le droit de donner notre point de vue sur la gestion de la chose publique. Il n’y aura plus d’injustice, plus de corruption. Alors il y aura un juste partage des richesses nationales : plus de chômage, plus de misère. Nous serons bien soignés, nos enfants bien scolarisés.

– Oui mais ça, c’est ce que les autres feront. Et vous ? Que ferez-vous ?

– Mais nous serons heureux. Nous vivrons en bonne intelligence les uns avec les autres, nous n’aurons plus besoin de nous méfier les uns des autres.

– Alors commençons par vivre aujourd’hui comme cela :

Laissant tomber la méfiance, commençons par nous intéresser à la vie de nos voisins : tiens, ils ont les mêmes problèmes que nous. Pourquoi ne pas unir nos forces pour trouver ensemble des solutions à notre niveau.

Faisons une collecte de vivres dans notre quartier pour aider ceux qui n’ont vraiment plus rien à manger. Je suis étudiant, alors avec d’autres étudiants, nous nous organisons pour aider les plus jeunes de notre quartier dans leurs études.

Et les soignants pourquoi ne pas instaurer deux ou trois journées par mois de soins gratuits pour les plus pauvres ? Et les commerçants avec les vendeuses de produits alimentaires, pourquoi ne pas se mettre ensemble pour offrir un repas gratuit par semaine à ceux qui souffrent de la faim ?

Ce qui se passera alors c’est qu’un certain nombre des plus pauvres ne seront plus corrompus, achetés pour 1000CFA ou même moins ; ce qui se passera alors c’est que les organisateurs, les planificateurs de la corruption ne sauront plus quoi faire. En effet, vous le savez, beaucoup d’entre eux croient qu’on peut toujours acheter la voix ou la conscience de quelqu’un. Mais quand il n’y aura presque plus personne à acheter parce que nous aurons mis en place des réseaux de solidarité, ils seront totalement démunis.

Et puisqu’occupés à nous entraider, nous ne manifestons plus dans la rue, pourquoi les forces de l’ordre sortiront-elles ? Les tenants de la mauvaise gouvernance, de l’injustice et la corruption, se sentiront bien seuls sans nous.

Chers concitoyens prenez le temps d’examiner notre proposition, de la retourner dans tous les sens, d’imaginer une toute petite expérience dans un petit coin de votre quartier, de votre village, de votre ville…

En attendant, vous qui êtes artistes-compositeurs, ne pourriez-vous pas nous inventer le refrain que nous allons entonner en notre “happy day” le dernier jour de notre longue attente ?

Lomé, le 2 avril 2021

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