« Aux grands maux, les grands remèdes ».Kenneth Kaunda (1924 – 2021), ancien président, père de l’indépendance de la Zambie.
Prologue :
- Le Togo vit sous un régime militaire depuis le renversement du seul et unique régime civil en janvier 1963 ;
- La lutte pour le changement politique ou « alternance » est une lutte pour un retour à un régime civil ; la Constitution de 1992 censée faciliter le retour à un régime civil, la «démocratie», a plutôt créé une «treillis-cratie» ;
- Si la lutte vers un retour au régime civil piétine, c’est principalement parce que nous avons occulté le débat sur ce qui a mis fin au seul régime civil que n’ayons jamais connu ; il faut briser ce tabou.
Dans la première partie de cette analyse, j’expliquais que puisque l’armée est incontournable dans le débat politique togolais, un débat sur ses motivations en rapport avec la confiscation du pouvoir politique est nécessaire pour réaliser le changement politique tant souhaité par les Togolais. Puisque l’armée a fait irruption dans la vie politique en 1963 et refuse de lâcher prise, c’est vers ce qui a motivé cette irruption que les forces démocratiques doivent se tourner pour trouver une voie de sortie.
- On ne justifie pas un crime, mais on peut en tirer des leçons
Même vu sous l’angle du climat de l’époque, l’acte posé le 13 janvier 1963 n’est nullement justifiable, ni sur le plan politique, ni sur le plan humain. Mais si comme dit l’histoire officielle, cet acte est le résultat malheureux d’une revendication corporatiste à laquelle la plus haute autorité avait réservé une fin de non-recevoir, tout ce qui a suivi après cet acte est une manifestation de la volonté de ses auteurs de satisfaire leur revendication: la mise en place du régime militaire (ou régime civil sous tutelle des militaires), la création d’une armée adossée à une ethnie ou à une région, la création d’un parti unique, les multiples braquages constitutionnels et institutionnels, bref tout ce qui définit le quotidien des Togolais depuis janvier 1963 est étroitement lié à cette revendication non-satisfaite des démobilisés de l’armée coloniale, et à leur volonté de se rendre justice.
Je ne le dis pas pour justifier et disculper la « treillis-cratie » dans laquelle vivent les Togolais. Et je ne fais pas non plus un procès au gouvernement d’alors: l’armée étant il faut le dire une création purement coloniale et ayant été au service exclusif de la colonisation, en l’absence d’un danger imminent à l’intégrité territoriale, il était normal que l’on soit réticent à l’époque à lui accorder une priorité susceptible de créer un déséquilibre institutionnel.
Partant donc du constat que l’effondrement actuel du Togo date de la chute de la Première République, et du fait que cette chute elle-même est liée au fait que le gouvernement d’alors avait trébuché sur la question de l’intégration des demi-soldes dans le tissu social, la solution à la longue crise que connait le Togo réside dans une solution définitive à ce qui a motivé principalement l’horrible acte du 13 janvier 1963 : il s’agit de la peur d’un groupe d’individus formés au maniement des armes de se voir marginalisé. Si l’on s’en tient au mythe fondateur du régime actuel, en se voyant refuser une intégration dans la petite armée nationale, les militaires démobilisés de l’armée coloniale voyaient se dérouler devant eux le boulevard de la précarité, de l’exclusion sociale et de la stigmatisation, et c’est la peur de cette marginalisation qui aurait motivé l’acte du 13 janvier 1963, acte qui a plongé le Togo dans un abîme dont il n’arrive plus à se relever.
Aujourd’hui les demi-soldes ou soldats de la coloniale qui ont commis l’acte du 13 janvier 1963 ne sont plus de ce monde, mais l’armée qu’ils ont créée et façonnée existe. Cette armée a hérité de leur peur de marginalisation et de l’exclusion dans un Togo dirigé par un régime civil. À cette peur de marginalisation dans un Togo libéré du régime militaire, les militaires togolais ont une deuxième crainte, celle de devoir rendre compte des crimes commis dans la défense du régime sur six décennies.
- Pour conclure la lutte
L’aboutissement de la lutte pour l’alternance réside dans la réponse appropriée que les forces en lutte pour le changement apporteront à ces deux craintes qui sont des facteurs du durcissement politique, du repli de l’armée autour de la famille régnante et de l’impitoyable répression des citoyens à laquelle cette armée se livre à intervalle régulier. Oui, l’armée réprime car elle a peur, et ceux pour qui elle le réprime savent tirer sur la corde de ce qui lui fait peur.
Il est donc urgent que les acteurs qui luttent pour le changement trouvent des solutions à ces craintes, même si cela parait injuste de faire ce qui peut permettre au bourreau à sauver la face. Pour se dérober à cet exercice, certains soutiendront que c’est un faux-problème, car le Togo n’a « pas besoin de cette armée », que cette armée « n’est pas républicaine », et qu’il est inutile de se pencher sur quoique ce soit la concernant. Mais cela ne nous coûte rien d’essayer, et au moins cela nous changera des schémas établis.
Signe des temps : selon la presse, la famille du président Sylvanus Olympio vient de réclamer l’accès aux archives françaises sur les circonstances de sa mort. C’est dire que la première république est une ressource pour l’aboutissement de notre lutte et nous serons toujours rattrapés par l’histoire de la première république aussi longtemps qu’on ne se décidera pas à solder ses contentieux.
A. Ben Yaya
New York, 24 juin 2021
Merci mon frère c’est l’épine dorsale du problème togolais. Il faudra un débat approfondie sur l’emprise de l’armée constituée en majorité de la communauté des deux derniers présidents et lorsque le régime est dos au mur cette armée devient une milice protectrice du pouvoir. En fait les togolais refusent de rechercher les voies et moyens pour dementeler cette armée qui est entièrement tournée vers le maintien de ce comportement de bouclier de la minorité au pouvoir