Coup d’Etat en Guinée : Un ancien élément de la légion étrangère française, le colonel Mamady Doumbouya, prend le pouvoir

Cela serait naïf, ou alors cela relèverait d’un esprit ayant une mauvaise observation de la scène politique africaine ou du moins de l’évolution, depuis des siècles, des relations de l’Afrique avec le reste du monde, pour jurer qu’il n’y aurait plus de coups d’État dans nos pays, de notre temps.

« Les deux principales puissances coloniales ont du mal à se détacher de leur «  empire » respectif. La France notamment réagit très violemment aux mouvements nationalistes…,

 écrit Christian Delacampagne.[1] 

C’est à dessein que je commence cet article sur le coup d’État en Guinée et l’instabilité politique dans  nos pays avec des considérations sur une citation de cet auteur. Que l’on me comprenne bien. Je ne suis pas de ceux qui cherchent à tort et à travers, à accuser les nations occidentales, en particulier  la France, de tous les problèmes que rencontrent les nations africaines sur le chemin de leur construction, de leur émancipation. Pas plus d’ailleurs que ne le fait C. Delampagne qui débute son histoire de l’esclavage en définissant celui-ci comme une « institution orientale », puis poursuit et achève son propos en le consacrant à la traite négrière ( page 126 à 303 ), dont l’élan principal a été donné, comme l’exprime l’un des intertitres, par La découverte de l’Afrique et de l’Amérique (1434—1532 ). Delacampagne ne manque pas de mentionner les rôles qu’ont joué les pays musulmans, notamment les pays arabes, y compris ceux du continent africain, ceux de l’ancien empire ottoman, et malheureusement, les rôles qu’ont joué ceux des potentats noirs qui ont vendu, surtout des prisonniers de guerre à des négriers portugais, espagnols, hollandais,  anglais, danois, français, allemands. S’il est exagéré d’accuser l’Occident de tous les maux dont souffre l’Afrique, dont les coups d’État, il n’est pas néanmoins rationnel et objectif de se poser des questions sur l’origine du mal et la manière de le regarder lucidement pour proposer des pistes de solution.

Nous sommes en Guinée. Revenons donc à la Guinée. Mais, en revenant à la Guinée, c’est à l’ensemble des anciennes colonies françaises, anciennes terres où l’esclavage a été florissant, que nous revenons. Il n’est un secret pour personne, comme l’a montré Delacampagne, que pendant la traite des Noirs, on se contentait de réduire ceux-ci, dans le meilleur des cas au rang de bêtes de somme, au pire, à celui des meubles, n’obéissant, n’étant destinés  à d’autre but qu’à celui du profit du maître.  C’est dans la même logique que s’installait la colonisation, les esclavagistes ayant rencontré, sur leur chemin, les empêcheurs de tourner en rond qu’étaient les abolitionnistes (les vrais, car il y en a eu aussi de faux) qui les pourchassaient, les arrêtaient, les traduisaient devant des tribunaux, les condamnaient, leur faisaient payer de lourdes amendes. Ils avaient surtout eu à faire face aux révoltes des esclaves eux-mêmes. Bref, l’esclave coûtait trop cher et la colonisation coûterait certainement moins cher. Ceux qui ont réussi à faire abolir l’esclavage n’ont pas réussi, et peut-être ne réussiront jamais, à abolir la loi du profit à tirer de l’exploitation de l’homme par l’homme.

Nous sommes en Guinée, ai-je dit. En 1958, la France, voyant venir (elle avait pourtant mis en place un dispositif humain fait de politiciens africains qui lui étaient dévoués pour contrer le phénomène) les mouvements nationalistes de réclamation de l’indépendance, proposa aux pays africains un référendum sur la «  Communauté franco-africaine ». On évoluait donc de l’esclavage à une «  communauté » de destin entre l’ancien esclavagiste et l’ancien esclave ( faut-il le rappeler, ancienne bête de somme ou ancien meuble, selon le Code Noir de Richelieu, remis en usage par Napoléon, après la révolution de Toussaint Louverture de et ses compagnons qui voulaient faire de Saint-Domingue une République d’hommes libres, une société sans esclaves  ( cf. Thomas Sankara et son rêve de pays des hommes intègres, Burkina Faso ; la France n’aime pas ça) ; on sait comment Toussaint Louverture est mort de faim et de froid dans le fort de Joux en France où il était emprisonné. Il est évident que la loi du profit continuera de dominer ces nouvelles relations ( si toutefois elles peuvent être nouvelles). Au profit de qui ? Du même, depuis des siècles, évidemment. Au référendum de 1958, lancé par de Gaulle, il fallait répondre par «  Oui » ou par « Non ». La Guinée de Sékou Touré est la seule colonie à avoir répondu «  Non ». Et chacun sait que la France, réagissant violemment, comme l’écrit Christian Delacampagne, a tout mis en œuvre pour que le «  Non » de Sékou Touré ne puisse pas atteindre ses objectifs : indépendance réelle du peuple de Guinée, prise en main véritable de son destin, développement, bien-être de sa population. Entre les mains de qui la France abandonnerait-elle les riches minerais de bauxite et d’uranium si ce «  Non » la chassait définitivement de la Guinée ? Chacune des anciennes colonies possède ainsi des richesses que la France n’était pas prête (elle ne l’est toujours pas ) à laisser au profit d’une autre nation. Pas même au profit du peuple auquel ces richesses appartiennent de droit.

Évidemment, l’isolement auquel était poussé Sékou Touré, l’a amené à se radicaliser, à durcir son régime, à livrer la chasser à ses opposants, à les traquer, les arrêter, les emprisonner…On ne peut le nier. Le tristement célèbre camp Boiro où les prisonniers de Sékou Touré étaient torturés, puis pendus est resté dans l’histoire guinéenne et africaine comme un emblème de la «  République bananière-type ».

Et, précisément, que recherchaient ceux que guide la seule loi du profit, ceux qui, hier, pouvaient allègrement s’afficher comme de vaillants négriers, les héros, les conquérants, les explorateurs qui ont «  découvert » l’Afrique et les Amériques ? Sous quelque prétexte qu’ils aient accompli leurs « exploits » (religion, morale, droits de l’homme, démocratie, inévitable mondialisation…), leur but est de transformer nos pays en «  Républiques bananières », pour le profit d’abord des anciennes puissances coloniales. Pour être plus précis, les multinationales de ces puissances. Les potentats africains d’aujourd’hui, dans la droite ligne de ceux d’hier, y trouvent, bien sûr, leurs intérêts personnels : la conservation du pouvoir le plus longtemps possible, leur enrichissement. Il paraît qu’on a trouvé, après le coup d’État, dans l’une des chambres du domicile d’Alpha Condé, des valises contenant au total 30 millions d’euros.  Cette fortune pourrait faire concurrence à celle des négriers ! On ne lâche pas le pouvoir quand il peut vous enrichir à ce point !

Sékou Touré avait dit « Non » au référendum de De Gaulle. Les autres, je veux dire ceux qui aspiraient à devenir chefs d’État, présidents des institutions ( dans les Républiques bananières ), ministres…membres du club du RDA( Rassemblement Démocratique Africain ), sous la houlette du «  sage » Houphouët-Boigny( on a tôt fait de lui confectionner une image de « Sage de l’Afrique ») diront «  Oui » ! Se rendait-on compte de ce que l’on faisait ainsi ? Il a fallu plusieurs décennies pour qu’une génération s’en rende compte et par conséquent se révolte. Ce «  Oui » sonne aujourd’hui comme si les peuples ( ou plutôt les membres du club du RDA ) avaient dit : «  Oui, nous voulons constituer de petites « Républiques bananières » au sein de la Grande, de la Vraie République Française ! ».

Il sonne comme un « merci » à plus de cinq siècles d’esclavage, merci à plusieurs décennies de colonisation.  Faut-il rappeler ici que Sékou Touré, pour n’avoir pas dit ce « merci », bien poliment et bien gentiment a vu de Gaulle dans sa colère, colère irrationnelle, cela va de soi, emporter ou détruire sur-place toutes les installations matérielles du temps de la colonisation en Guinée et cherché à saboter la nouvelle monnaie guinéenne frappée pour remplacer le CFA ?

 L’Occident impérialiste cherche des diseurs de merci. Négliger de lui dire merci ou même l’oublier, et à plus forte raison, lui tenir tête et oser lui faire comprendre qu’on ne lui doit rien et qu’on n’a pas à le remercier de quoi que  ce soit, comme l’a fait Sékou Touré, est un crime de lèse-majesté qu’il nous fait payer cher.  L’esclave révolté ou marron, quand il est repris, d’une manière ou d’une autre, n’était-il pas puni de flagellation, de mutilation, de lynchage, de tortures atroces, de mort ? Est-ce pour ironiser face à ceux qui, notamment à l’instigation du pouvoir français, leur reprochent d’avoir à leur tête un régime autoritaire que la troupe nationale de la Guinée de Sékou Touré a écrit et présenté partout en Afrique, une pièce sur l’évènement tragique de Thyaroye ou l’aube sanglante : il s’agissait de montrer que la France, elle-même, ne supporte aucunement que l’on remette en cause son autorité. L’aube sanglante était celle des tirailleurs africains ( dits sénégalais )rapatriés d’Europe  qui, en 1944, pour avoir réclamé leur prime, avaient été purement et simplement mitraillés sur ordre de leurs supérieurs français. Bilan : 35 morts. Cette fusillade est si traumatisante que le romancier et cinéaste sénégalais Sembène Ousmane en a tiré un film, Camp de Thyaroye, que commente Abdoulaye Imorou :

Sensible à l’impact de la défaite et de l’Occupation  mais aussi à l’image de la Collaboration, Paris s’inquiète surtout de redorer son blason. Dans ces conditions, la France peut difficilement accepter que son autorité soit contestée par les tirailleurs. La violence de la répression répond ainsi à une volonté de réaffirmation de la puissance nationale.[2]

Si donc la France ne peut accepter une contestation purement verbale de la part des tirailleurs sur la base d’une prime qui leur a été promise, quelle autorité des Républiques dites bananières souffrirait une opposition supposée chercher à la renverser ? Bien sûr qu’il ne s’agit nullement de justifier, encore moins de défendre les régimes tyranniques africains. Je m’en suis moqué dans un roman, Yévi et l’Éléphant chanteur[3] dont le principal personnage, ubuesque, porte le nom symbolique de Bodemakutu 1er, combinaison de noms de trois dictateurs africains, Mobutu, Eyadema et Sékou Touré. Cette critique sarcastique des régimes despotiques à cause de leurs dérives ne nous empêche pas de réfléchir sur les visions qui ont présidé à l’instauration de certains d’entre eux, nous interrogeant sur ce qu’ils auraient pu apporter à nos peuples si les conditions géopolitiques dans lesquelles ils ont évolué avaient été différentes. Puisque nous parlons de Sékou Touré, voici l’explication qu’il donne de son « Non » à de Gaulle :

 « Nous préférons la pauvreté dans la liberté, à l’opulence dans l’esclavage ». Déclaration cinglante, demeurée historique ! Combien de dirigeants africains, aujourd’hui, sont capables, à l’heure du choix, de préférer ce qui garantit à leur peuple, la jouissance de la liberté véritable, de la démocratie qui est épanouissement de tous ?

Christian Delacampagne écrit encore :

Les anciennes puissances coloniales s’avèrent incapables de jouer pleinement le jeu de l’indépendance. Elles ne cessent d’intervenir, de façon plus ou moins ouverte, dans la vie de leurs anciennes colonies, utilisant les antagonismes ethniques, issues de quatre siècles de guerres interafricaines ( elles-mêmes provoquées par la traite ) pour monter telle faction contre telle autre, afin de favoriser le maintien au pouvoir de régimes corrompus mais complaisants vis-à-vis de l’Occident. Les résultats désastreux d’une telle politique (à laquelle France, Grande-Bretagne et Belgique ont encore aujourd’hui de la peine à renoncer) sont visibles partout, notamment en Guinée, en Côte d’Ivoire, au Togo, au Tchad, en République centrafricaine, au Congo, en Sierra Leone, au Nigéria, en Ouganda, au Soudan, dans l’ex-Congo belge (devenue République Démocratique du Congo), au Rwanda et au Burundi…[4]

Il ne m’est pas possible de dire comment chacun des pays cités ici a évolué, mais un certain nombre de remarques s’impose :

  1. Ce n’est ni aujourd’hui, ni demain, pas plus qu’ils ne l’ont fait hier, que les esclavagistes d’aujourd’hui, que seule motive la recherche du profit, laisseront les Africains prendre leur propre destin en main.
  • Ils joueront toujours sur les antagonismes ethniques, le Nord contre le Sud, L’Est contre l’Ouest…

Césaire, dans sa pièce, La Tragédie du Roi Christophe, semble nous avoir prévenus contre ce danger :

Pauvre Afrique ! Je veux dire pauvre Haïti ! C’est la même chose d’ailleurs. Là-bas la tribu, les langues, les fleuves, les castes, les forêts, village contre village, hameau contre hameau.

Ici,  nègres, mulâtres, griffus, marabouts, que sais-je, le clan, la caste, la couleur, méfiance et concurrence, combats de coqs, de chiens pour l’os, combats de poux.[5]

Ce combat de coqs, métaphore de la pièce à la fin de laquelle Christophe échoue dans son projet d’édifier une citadelle, symbole de la nation qu’il avait rêvé de construire, puis meurt, se trouve au début de la pièce, dans le prologue… «  Combat de chiens pour l’os » ! Césaire traduit, par cette métaphore, l’acharnement bestial avec lequel les hommes, haïtiens ou africains se jettent, non pas sur la substance même convoitée(les richesses immenses dont nos pays disposent) mais les os (les miettes, les restes) que la France, les États-Unis, le Canada, les multinationales et tout ce que l’on a baptisé Communauté Internationale leur lancent. On peut déguiser cela sous le nom que l’on veut, par exemple celui de l’authenticité :

Qui ne se souvient du tohu-bohu qui a accompagné l’authenticité africaine au Zaïre sous Mobutu ?[6]

Le disciple de Mobutu, c’est Eyadema.  Il y en a d’autres, certainement. Cela est clair pour tous.

 Et lorsque ces gens, au bout du combat, dans le sang, au milieu de dizaines, de centaines ou de milliers de cadavres, arrachent l’os, ils courent avec leur butin vers les membres de leur tribu, clan, caste ou village en criant, le brandissant : «  Nous l‘avons enfin ! Cette fois-ci, il  est bien à nous ».  Les quarante mille morts de Habré (certains sommairement fusillés, de sang-froid, certains ayant subi d’atroces tortures avant de rendre l’âme, des femmes bestialement violées) n’ont jamais ému les administrations américaines et européennes qui regorgent de docteurs ès-droits de l’Homme, tant que les occidentaux trouvaient leurs intérêts  dans le règne du tyran tchadien. On peut dire la même chose des morts d’Eyadema, de son fils Faure, des Bongo, de Mobutu, de Compaoré et plus proches de nous dans le temps, de Ouattara. Ce ne sont pas les poncifs que le putschiste actuel de Conakry nous a servis dans sa première déclaration qui changeront quoi que ce soit à certaines prises de pouvoir en Afrique. La libération des prisonniers politiques d’Alpha Condé est certes une bonne chose, mais on attend beaucoup plus d’un régime issu d’un coup d’État pour le considérer comme vraiment révolutionnaire et  comme une émanation du peuple. Et combien de citoyens guinéens les putschistes d’aujourd’hui ont, hier, sous Alpha Condé, eux-mêmes, envoyés en prison, pire, massacrés, notamment pendant la bataille autour du 3e mandat,  qui serait la grande motivation du coup d’État ?

On se demande si les richesses naturelles de la Guinée qui ont toujours fait l’objet des préoccupations de la France depuis le « non » de Sékou Touré à de Gaulle, richesses qu’envient les multinationales françaises, ne sont pas pour quelque chose dans ce coup d’État.

En mai et juin 1060, Mamadou  Dia ( vice-président de l’éphémère Fédération du Mali  qui regroupait le Mali actuel et le Sénégal, et était prévu pour s’étendre à d’autres États ouest-africains) n’hésite pas à dénoncer les agissements des services secrets français à la frontière sénégalo-guinéenne. Le service Action du Service de Documentation Extérieure et de Contre-Espionnage (SDESCE) y entretient, depuis 1959, une opération de déstabilisation de la Guinée à la suite de son « non » : l’opération Persil[7].

On est en droit de s’interroger : et si le coup d’État du colonel Doumbouya était une version actualisée de l’opération Persil ?

 Prophétiques, les propos d’Aimé Césaire s’appliquent à Haïti où le président Jovenel Moïse a été assassiné par, a dit son épouse Martine Moïse, dans le dernier hommage rendu au président défunt, des mercenaires, des oligarques et des Haïtiens corrompus et au Tchad où Idriss Déby Ino a succombé à un attentat meurtrier… En Guinée où Alpha Condé a perdu le pouvoir.

Ce qui est intéressant, c’est de savoir par qui ces chefs d’État ont perdu le pouvoir, pire, la vie, et donc qui, réellement a intérêt dans cette instabilité souvent sanglante de la situation politique de nos pays. Les Haïtiens, dont Jean Fils-Aimé, qui diffuse une émission régulière sur les réseaux sociaux, se plaignent que ce sont les États-Unis, le Canada, la France qui font et défont les présidents de leur pays ; Bill Clinton est le « Grand électeur » d’Haïti. Le sort de Jovenel Moïse a été scellé parce que le 2 juin, donc quelques jours avant sa mort, il s’était rendu en Turquie où il a rencontré des Russes, des Turcs, des Chinois avec qui il a signé des contrats d’exploitation industrielle. Cela  n’est pas pour plaire à l’ambassade des États-Unis en Haïti. L’assassinat du président haïtien rappelle terriblement celui de Sylvanus Olympio, celui de Thomas Sankara, celui de Patrice Lumumba, celui François Tombalbaye, celui de Barthélémy Boganda…celui de l’opposant camerounais Félix Mounié, mort empoisonné  dans un restaurant en Suisse, .par les agents des services secrets français.

« Combat de poux » tribalistes, insectes  minuscules, certes, mais qui se nourrissent de sang humain ! Est-ce un hasard si parmi les milices qui ont porté Ouattara au pouvoir et l’ont soutenu lorsqu’il a voulu s’offrir un troisième mandat anticonstitutionnel, il y en a une qui est dénommée «  Les microbes », composée de petits désœuvrés particulièrement cruels et farouches ?

Au Tchad, tout récemment,  nous avons vu Emmanuel Macron se dépêcher, contre toute procédure réellement démocratique en cas de vacance du pouvoir, d’aller à Ndjamena installer sur le «  trône présidentiel », le fils d’Idriss Déby, presque exactement comme au Togo, en 2005, Chirac veillait à l’accession au pouvoir de Faure Gnassingbé à la mort de son père Eyadema. Alors qu’au Mali, après avoir tout tenté pour empêcher le colonel Assimi Goïta ( que l’on dit proche de Moscou ) d’accéder à la tête du pouvoir de transition, Paris a cru devoir menacer de retirer les forces françaises de toutes opérations conjointes avec l’armée malienne dans sa lutte contre les forces terroristes et déstabilisatrices.

Au lendemain du coup d’État du 13 janvier 1963, au Togo, nombreux étaient les gens qui, Togolais ou non, qu’ils  soient du Nord ou non, du simple fait qu’Eyadema, principal agent du coup était Kabyè, pensaient et disaient, que l’heure de la revanche, c’est-à-dire du salut du Nord avait sonné. Après trente-huit ans de son règne, les esprits lucides ont peut-être commencé à penser que ce n’est pas aux Kabyè, à tous les Kabyè, encore moins à tout le Nord que ce coup d’État était prévu et organisé pour servir, mais bien à la France. En 2005, à la mort d’Eyadema, les médias français ont fait répandre l’idée que son fils Faure Gnassingbé, né d’une mère du Sud était tout naturellement le mieux placé de ses nombreux enfants pour réaliser la réconciliation entre Togolais.  Aujourd’hui, au vu des résultats produits, les esprits vraiment lucides comprennent que, réconciliation des Togolais ou pas, faire le bonheur d’une partie des Togolais ou de l’ensemble, ce n’est pas vraiment ce qui intéresse la France. Par la faute des Togolais eux-mêmes, qu’ils soient au pouvoir ou dans ce qu’on appelle, peut-être, abusivement opposition, la France est dans une position telle que nul ne peut parvenir au pouvoir ou s’y maintenir sans son accord, son adoubement. Nous avons vu toute la gymnastique du régime de Faure Gnassingbé autour d’une prétendue lettre de félicitations de l’Élysée à l’issue de la dernière élection présidentielle au Togo.  Nous avons vu aussi toute l’agitation, toute la polémique des adversaires du régime, pour prouver au monde entier que cette lettre de félicitations n’a jamais existé. 

Aussi bien sous le règne d’Eyadema que sous celui de son fils, la minorité de citoyens corrompus ( j’emprunte le mot à l’ex-première dame d’Haïti  ) n’a pas été uniquement recrutée dans une région ou une autre, un village ou un autre, une ethnie ou une autre…J Le clan, la région, la caste ne sont que des prétextes pour se jeter sur l’os balancé par les vrais maîtres du pouvoir dans nos pays.

J’ai lu un article portant ce titre   Une démocratie sacrifiée par la France. Ma réaction à ce sujet est plutôt de savoir comment et pourquoi nous nous sommes mis dans une situation telle que la France soit en mesure de sacrifier notre « démocratie ». Et, de quelle démocratie parle-t-on ? Celle qui n’a jamais existé et n’existera pas depuis que, en 1963, les Togolais ont remis à la France le droit d’intervenir dans leur vie politique pour choisir quels dirigeants il faut pour ce pays ?

Lorsque cette intervention ne peut être directe et ouverte, la France pourra toujours trouver les moyens juridiques, constitutionnels, légaux pour parvenir, non pas aux fins que recherchent nos populations, mais aux siennes propres.

Après ma lecture des lois et codes coloniaux, j’ajouterais volontiers que l’imagination des juristes coloniaux dépasse, et de loin, celle des romanciers quand il s’agit d’inventer des «  chaines » de toutes sortes.[8]

Nos peuples du Sénégal, du Tchad, du Cameroun, du Togo,  de la Côte d’Ivoire, de la Guinée…sont encore dans les chaînes par la magie des juristes coloniaux et de leurs héritiers. Les grands sorciers blancs juristes ! Ils ne chôment pas dans nos palais présidentiels. La France n’en avait-elle pas proposé à Idriss Déby pour lui permettre de prolonger son règne sur le Tchad ? Et Ouattara en Côte d’Ivoire ?

Qui, en Guinée, a confectionné à Alpha Condé, la nouvelle Constitution qui lui a permis de briguer un troisième mandat auquel le colonel Doumbouya vient de mettre fin ? Et ce dernier, ancien élément de la Légion étrangère française, qui l’a épaulé dans l’organisation de son coup d’État ? Qui sont ceux qui vont l’entourer et sont en mesure de lui préparer  l’arsenal juridique dont il aura besoin pour diriger la transition et peut-être, prolonger son pouvoir au-delà, en se faisant élire président de la République de Guinée ? Et parmi les militaires guinéens qui ont fait le coup, combien possèdent la nationalité française ?

On a aperçu Sarkozy, cet homme qui nous a donné toutes les preuves de son mépris pour les Africains, à Conakry, et même reçu par Alpha Condé, quelques heures avant le coup d’État : il y a toujours une chance de vie après le pouvoir pour un ancien chef d’État occidental, condamné à une peine de prison ferme et actuellement au chômage, de se reconvertir en Jacques Foccart ( spécialiste des coups d’État  en Afrique sous de Gaulle ) et même en pirate et négrier des temps modernes. Sur ce plan, il peut toujours inspirer ses fidèles disciples, les tyrans africains, qui ne savent pas ce qu’ils deviendraient sans le pouvoir. Sarkozy a donc tout pour s’entendre, comme larrons en foire, avec un ancien légionnaire français. Quand je pense que  certains Africains sont prêts à écouter et suivre des individus de ce type, je suis presque tenté de donner raison à un personnage de  Calixthe Beyala :

Ah, les Nègres ! Qu’est-ce qu’ils sont cons et paresseux !…

Il y a Nègres et Nègres ! les vrais Nègres sont cons ! [9]

Paresseux, d’esprit surtout, incapables de remettre en cause les vieilles idées qu’on leur a inculquées depuis des siècles, de la supériorité de la race blanche, de l’incapacité des Nègres à se gouverner eux-mêmes, de l’Occident qui seul peut désigner qui dans nos pays est en mesure de nous diriger, Nègres n’ayant encore que l’intelligence des enfants ( selon Gobineau ), cons au point d’être capables, pour des pacotilles, des os jetés aux chiens, non seulement de vendre leurs semblables, mais aussi d’aller se mettre eux-mêmes dans les chaines d’un esclavage, ancien ou actuel, c’est tout pareil.

Je reviens, pour terminer, au référendum de 1958. La France nous a fait dire «  Oui », sans que nous le sachions, à sa main mise sur nos destinées. Elle nous a fait dire oui aux nouvelles chaînes, au nouvel esclavage, au franc CFA, à l’exploitation de nos ressources, à la priorité accordée au profit de l’ancienne puissance coloniale, à la déstabilisation de nos États par des crises, des coups d’État, à l’installation de ses bases militaires sur notre continent…

Dans le cas de la Guinée et du putsch qui vient de secouer ce pays, ce ne sont pas les agitations, auxquelles on s’habite maintenant, dans de pareils cas, de la CEDEAO et de l’UA, qui nous feront espérer quoi que ce soit.  Le service minimum est assuré. Mais il n’échappe pas aux personnes avisées que ces organismes éviteront de se heurter dans leurs interventions et décisions aux plans des grandes puissances,  des multinationales, de ce qu’on appelle la Communauté Internationale (à leurs intérêts). Il est évident que ce qui se joue dans ces institutions, ce sont les sentiments que les chefs d’État africains nourrissent les uns à l’égard des autres (détestation, envie, jalousie, rivalités stupides, désir de revanche et même de vengeance, le tout enrobé de mensonge, d’hypocrisie, de fausse diplomatie) et qui sont loin d’être toujours rationnels, et aussi les agendas personnels.

Sénouvo Agbota ZINSOU


[1] Christian Delacampagne, Histoire de l‘esclavage, éd. Librairie Générale Française, 2002, p. 245

[2] Abdoulaye Imorou, Thyaroye, Oradour-sur-Glane et les défis d’une mémoire partagée, in Études Littéraires Africaines 2015/40, p. 61

[3] SAZ, Yévi et l’Éléphant chanteur, éd. A3, Paris , ISBN 2-844-008-4, 2000

[4] Id.p.246-247

[5] Aimé Césaire, La Tragédie du Roi Christophe, éd. Présence Africaine,  1961,  Acte 1, scène 4, p. 49

[6] Jean-Pierre Yetna,  Vérités et contre-vérité sur l’Afrique, éd. Dianoïa, 2002, p.51

[7] Pascal Airault et Jean-Pierre bat, Françafrique. Opérations secrètes et affaires d’État, éd.Tallandier 2018, p.34

[8] János Riesz ( in), De a littérature coloniale à la littérature africaine, éd. Karthala 2007, p. 200

[9] Calixthe Beyala, Asséze l’Africaine, éd. Albin Michel, 1994, p.81

2 thoughts on “Coup d’Etat en Guinée : Un ancien élément de la légion étrangère française, le colonel Mamady Doumbouya, prend le pouvoir

  1. Les hommes intelligents comme Conde, Wattara etc… n’ ont pas reussi a mettre leur intelligentia pour servir leur prope pays en democratisation.
    Gouverner un pays c’ est donc le diriger pour un temps qu’ on t’ a donne et
    surtout attendre l’ appreciation ou desapouvement de tout ton peuple.

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