LA CEDEAO ET LA CRISE MALIENNE
Dans les années 60, je demandais à un de mes parents qui revenait d’une mission aux Etats-Unis ce que les Afro-américains pensaient des Africains du Sud du Sahara. Il me répondit que ces derniers nous enviaient car, indépendants, nous avons la possibilité de choisir nos leaders et de prendre notre destin en main.
Quelques années après leur accession à l’indépendance, nos frères Sud-africains se plaignaient du fait qu’alors qu’ils s’attendaient bénéficier des expériences de pays indépendants depuis plus de trois décennies, c’est plutôt les Gouvernements des pays de l’Afrique au Sud du Sahara qui sollicitaient d’eux, une assistance financière. Enfin, au début des années 90, à Hararé, un Ouest-Africain, Secrétaire exécutif d’une institution de financement et de renforcement des capacités, a raconté à trois amis et à moi, une histoire (anecdote ?) du Japon : le pays connaissait une crise économique sévère. Le Premier Ministre convoqua les chefs des grandes entreprises du pays. Il leur annonça les difficultés auxquelles le pays avait à faire face. La réunion avait duré trois minutes, chacun a pris la mesure de la crise et devrait en conséquence prendre la décision idoine.
Depuis dimanche soir les médias et surtout les plateformes des africains sont inondés de commentaires sur la crise et les sanctions prises par la Communauté Economique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et de l’Union économique et monétaire Ouest africaine (UEMOA) contre le Mali. Les condamnations des responsables de ces deux institutions font le consensus. D’abord les mesures prises semblent viser la population malienne en général plutôt que de cibler les responsables politiques du pays. En outre les sanctions touchent plusieurs aspects de la vie économique, sociale et politique du pays. Les conséquences sur les conditions de vie des résidents maliens devraient être catastrophiques. On est alors en droit de se demander si ces sanctions n’ont pas pour objectif d’inciter la population à se rebeller contre leurs gouvernants afin de précipiter la chute de la junte militaire au pouvoir et ce, quel que soit le coût pour la société malienne : projet machiavélique !
Ce qui choque le plus les africains, c’est l’impression du deux poids deux mesures de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEDEAO : en effet, certains d’entre eux s’illustrent par la mauvaise gouvernance économique, la réalisation d’élections peu transparentes et peu crédibles, de multiples violations des droits de la personne, des politiques d’exclusion, régionaliste et ethnique : et pourtant, aucun de ces derniers n’est nullement sanctionnés.
Les Togolais ont en mémoire l’intervention de la CEDEAO dans la crise politique qui a suivi le décès du Président Eyadéma GNASSINGBE en 2005. En dépit du fait que : i) l’opposition avait demandé un report des élections afin de garantir les conditions d’une élection transparente, crédible et surtout apaisée ; et ii) le Ministre en charge des élections de l’époque, craignant la tragédie humaine qui devrait suivre une élection présidentielle organisée dans la précipitation ; la CEDEAO a imposé aux Togolais le respect des dispositions de la constitution. La conséquence a été une catastrophe humaine : la constitution a été respectée mais au prix de plus de 500 morts !
Les Togolais se rappelle des résultats du rôle de la « facilitation » joué par la CEDEAO dans le Dialogue inter-togolais en 2017 et 2018 : elle a encore imposé aux Togolais un calendrier électoral sans réformes constitutionnelles et institutionnelles et du cadre électoral : en plus du renforcement de la dictature, le Togo vit toujours dans une crise politique.
Les Ivoiriens se rappellent du silence complice de la CEDEAO lors des manœuvres de changement de la Constitution du pays qui a permis au Président Alassane Ouattara de se présenter pour un troisième mandat. Ils ont également en mémoire les violences qui ont marqué l’élection présidentielle de 2020. Des Ivoiriens morts pour …
Les Guinéens se rappellent du silence complice de la CEDEAO lors des manœuvres de changement de la Constitution du pays qui a permis au Président Alpha Condé de se présenter pour un troisième mandat. Ils ont également en mémoire les violences qui ont marqué l’élection présidentielle de 2020. Des Guinéens morts pour …
Combien ne sont-ils pas ces habitants de l’Afrique de l’Ouest qui sont frustrés par les déclarations des observateurs de la CEDEAO suite aux élections dans les pays membres de la communauté ?
Il faut cependant reconnaître que la junte militaire n’est pas sans reproche. L’impératif et l’urgence de l’élimination des terroristes ne sont plus à discuter. Si l’absence de contrôle de l’Etat malien dans des zones du pays, limite la crédibilité d’élection nationale, il faut aussi reconnaître qu’une transition de cinq ans paraît un peu exagérée. En effet, les consultations nationales organisées par le Gouvernement malien proposaient une durée de la transition entre trois et cinq ans. Ensuite, l’armée n’a pas besoin d’être au pouvoir pour accomplir sa mission constitutionnelle qui est la défense de l’intégralité territoriale : les civils peuvent détenir le pouvoir exécutif alors que les militaires se concentrent sur la lutte contre les djihadistes.
La suppression de la CEDEAO est-elle aussi une solution pour les pays membres ?
Je ne crois pas que le retrait du Mali de la CEDEAO soit la solution pour le pays. Je regrette que le Mali, en réaction aux décisions de la CEDEAO, ait pris la décision de fermer ses frontières avec les pays de la CEDEAO. Je salue la volonté de la junte militaire de maintenir le dialogue avec la CEDEAO. Je félicite l’Algérie, la Mauritanie et surtout la Guinée pour leur décision de maintenir leurs relations avec le Mali.
La CEDEAO devrait revoir sa position et se concentrer beaucoup plus à aider le Mali et l’ensemble des pays du Sahel à trouver rapidement une solution aux activités des terroristes dans la région. Ils doivent se rendre compte qu’après près d’une décennie d’appui, les performances des forces étrangères en appui au Mali contre les djihadistes ne sont pas des plus enviables : le Mali n’a-t-il pas le droit de chercher des solutions plus idoines ? Que lui proposent-on pour des résultats probants dans la lutte contre les terroristes : la désapprobation des autorités maliennes pour ses choix dans ce sens constitue-t-elle une option ?
Par-delà tout ceci, je suis préoccupé par deux phénomènes : la probabilité que les débats et surtout les accusations de la CEDEAO ne s’éternisent sur les médias et les réseaux sociaux. Alors que les Japonais ont seulement mis trois minutes pour comprendre les difficultés que traverse leur pays : nous mettrons des jours, des semaines, peut être des mois pour discuter de ce problème et surtout sans évidemment proposer des solutions.
En outre plusieurs internautes voient la main de la France derrière les sanctions prises par la CEDEAO et l’UEMOA. C’est certainement vrai. Or, la très grande majorité des pays Africains ont accédé à leur souveraineté internationale dès le début des années 60 : dans la plupart des cas depuis plus de six décennies. Or nos frères d’Afrique du Sud n’avaient pas encore joui de cinq ans d’indépendance lorsqu’ils se plaignaient des sollicitudes des gouvernements des autres pays d’Afrique du Sud. Et dire que nos parents Afro-Américains, qui ont subi plusieurs siècles d’esclavage, enviaient notre état d’indépendance et pensaient que nous devrions avoir pris nos destins en main cinq ans après notre indépendance !
Je me demande si enfin de compte, l’adage selon lequel « chaque peuple mérite ses gouvernants » ne s’applique-t-il pas comme un gant à l’Afrique et plus précisément aux pays d’Afrique francophones. L’histoire est pleine d’exemples de pays qui se sont libérés du joug de leur ancienne puissance coloniale. Des plaintes et des dénonciations sur les médias et les réseaux sociaux seront-elles suffisantes pour nous « libérer » ?
Aimé GOGUE