L’action consistant à se mêler d’un dossier ou des affaires d’un pays sans avoir l’autorisation ou sans respecter les conventions et droits internationaux pose le problème de la fin du « droit international ».
Il n’y aurait plus que des « relations internationales » fondées sur des alliances de rapport de forces. Les dirigeants africains sont souvent d’ailleurs « sommés » de prendre parti au risque subir des formes d’ingérence insupportable qui contribuent à maintenir des autocrates au pouvoir, non sans contreparties. Des droits, des concessions, des contrats, des pans entiers de territoires, sans compter les allégeances multiples et variées fondant la servitude volontaire ont conduit modeler un monde unipolaire à dominance occidentale.
Mais selon un classement des armées les plus puissantes au monde[1], les Etats-Unis sont en tête, mais la Russie et la Chine sont classés respectivement deuxième et troisième. Les alliances stratégiques entre la Russie et la Chine, voire d’autres puissances émergentes, sont en train de changer la donne. « Le président Vladimir Poutine a lancé un avertissement aux alliés de l’Ukraine et a déclaré que ceux qui tenteraient d’interférer « seront confrontés à des conséquences plus graves que celles que vous avez subies dans l’histoire ».
Les dirigeants africains, prompts à ne pas prendre position et ne pas anticiper les nouvelles donnes des enjeux mondiaux de puissance, pourraient se faire surprendre s’ils continuent à fonctionner dans l’ancien monde, en refusant d’organiser collectivement leur pôle d’experts stratégiques et offrir une approche fondée sur la palabre africaine intelligente[2].
La division de l’Afrique sur le soutien à apporter à la Russie ou à l’Ukraine à l’Assemblée générale des Nations Unies n’est qu’une pâle image de la difficile marche de l’Afrique vers des positions communes, non téléguidées par une grande puissance. La responsabilité partagée des dirigeants occidentaux dans ce conflit ne donne aucun droit de venir recruter des « tirailleurs sénégalais » contre l’avis du Gouvernement sénégalais[3], encore moins de faire de la ségrégation dans la hiérarchisation des migrants, notamment entre les noirs et les autres, entre ceux qui disposent d’une compétence et les autres. L’indignation des dirigeants africains se mesurent à leur difficulté à trouver des solutions de rapatriement collectif de leurs ressortissants de la zone de conflit en Ukraine. Pourtant, l’avenir géostratégique de l’Afrique passe par des positions de « neutralité » proactive.
1. Non-Respect des Engagements et Droit de Preemption de l’Ukraine
La crise ukrainienne repose sur l’extension de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) vers les pays de l’Est et au non-respect des engagements pris dès 1949, puis après la fin de l’ère soviétique avec le démantèlement de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS). Suite à un conflit armé dès février 2014 entre le nouveau pouvoir ukrainien soutenu par l’Occident et les séparatistes russes soutenus par la Russie, le monde a assisté de fait à l’auto-proclamation des territoires de Donetsk et de Louhansk par des séparatistes pro-russes soutenus par Moscou, soit une large partie de la région du Donbass[4].
Cette crise est aussi l’échec du processus de paix sous médiation franco-allemande des accords signés en 2014 (Minsk I), puis en 2015 (Minsk II), à Minsk[5], la capitale biélorusse, entre l’Ukraine, la Russie et l’OSCE (et contresignés sans mention de leur nom par les séparatistes) censés permettre de stopper une guerre civile dévastant l’est du pays depuis au moins neuf (8) ans[6]. L’espoir d’un règlement diplomatique, pacifique et politique du maintien de l’indépendance de l’Ukraine a échoué avec une invasion militaire de ce pays. Cette offensive militaire du Président russe, Vladimir Poutine, contre l’Ukraine le jeudi 24 février 2022 fut qualifiée d’opération de « maintien de la paix » par l’Etat-major russe. Cette guerre d’annexion a été précédée le 21 février 2022 de la toute première reconnaissance officielle par Kremlin de l’indépendance des territoires séparatistes qualifiés de « Républiques populaires ».
Selon l’article 5 actualisé du Traité de l’Atlantique Nord signé à Washington le 4 avril 1949, inaugurant la guerre froide, les Etats-membres de l’OTAN s’engagent à se protéger mutuellement en cas d’attaque contre un membre de l’Alliance. C’est ce qu’on appelle le principe de la défense collective, consacré dans l’article 5 du traité de Washington fondant cette organisation : « Les parties conviennent qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties, et en conséquence elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d’elles, dans l’exercice du droit de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu par l’article 51 de la Charte des Nations Unies, assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d’accord avec les autres parties, telle action qu’elle jugera nécessaire, y compris l’emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l’Atlantique Nord[7]». Or l’Ukraine n’est pas un Etat-membre de l’OTAN. Toutefois, c’est son « intégrité territoriale », son « indépendance politique » et sa « sécurité » qui sont menacées et pourraient, selon l’article 4 du Traité permettre une intervention militaire de l’OTAN, ce qui ne serait pas sans conséquence sur le déclenchement d’une troisième guerre mondiale des Occidentaux.
Selon une allocution du 4 mars 2022 du Secrétaire Général de l’OTAN, M. Jens Stoltenberg, « la menace d’un conflit généralisé est réelle. Nous soutenons le peuple ukrainien et son gouvernement démocratiquement élu. Et nous appelons le président Poutine à arrêter la guerre, à retirer toutes ses forces d’Ukraine et à s’engager de bonne foi dans des efforts diplomatiques. L’OTAN est une alliance défensive. Nous ne cherchons pas le conflit avec la Russie[8] ».
En retour et en duplication de l’annexion de la Crimée, la Russie, pour sa sécurité militaire, a reconnu les républiques autoproclamées du Donbass et déclenché une opération militaire de grande envergure. La position de Vladimir Poutine à l’égard de l’Occident repose sur une méfiance doublée d’un rejet de la crédibilité de l’Occident qui, au regard de l’histoire, ne respecte souvent aucun des engagements pris, à savoir : « la fin de la politique d’élargissement de l’OTAN, l’absence de déploiement militaire menaçant la Russie et le retrait des infrastructures militaires de l’Alliance d’Europe de l’Est[9] ». Il faudrait rajouter que les allégations d’existences en Ukraine de laboratoires de type P4 et de fabrication à grande échelle d’armes de destructions massives » avec le soutien des Etats-Unis et pouvant servir de bases arrière pour une guerre bactériologique ne peuvent être exclues de l’analyse[10].
Cette guerre de sécurisation de la Russie pose le problème de savoir à qui profite cette nouvelle guerre des Occidentaux entre eux. Malgré la gravité de la situation, les dirigeants africains, ont choisi la langue de bois et le service minimum, feignant de s’abriter derrière les grands principes, mais appliqués selon une horloge à géométrie variable selon que l’on est ou pas, téléguidé par l’Occident. Une nouvelle fois la parole de dirigeants africains peu courageux, voire poltrons quand il s’agit d’avoir une position commune, ne pèse pas dans le monde. Mais les dirigeants africains ne s’en donnent pas les moyens, et sont peu enclins à l’anticipation en termes de géoéconomie et géostratégie.
En effet, selon les intérêts des uns et des autres, l’Afrique des dirigeants maniant la langue de bois risque de subir une mutation profonde face à la mise en mouvement d’une jeunesse africaine de plus en plus téméraire. Il faut rajouter la voix d’une grande partie des Diasporas africaines qui, subissant des frustrations régulières, expriment fortement le souhait de rentrer en Afrique alors qu’elles en sont empêchées par des autocrates ou dictateurs adeptes des modifications des constitutions, en fonction des intérêts des puissances occidentales et d’entreprises multinationales étrangères. Lesquelles contribuent souvent à faire élire leur candidat en Occident pour faire œuvre d’agent commercial de défense des marchés de gré à gré en Afrique. Mais quel avenir dans un monde en compétition pour la sécurité militaire et la souveraineté économique de l’Afrique et des Africains ?
2. La Fin du Monde Unipolaire : Entrée en Force d’Espaces Multipolaires de Puissance
Après l’éclatement de l’ancien bloc soviétique certains ont nourri l’ambition d’instaurer un nouveau rapport de forces international sous l’égide d’un monde unipolaire. L’actuelle crise internationale qui se joue actuellement entre la Russie et l’Ukraine semble démontrer à contrario que le monde n’est plus dominé par une puissance unipolaire. La crise a mis en relief l’existence d’au moins deux zones d’influence majeures, une zone euro asiatique (Russie, Chine, Inde) une zone américano européenne (Etats-Unis et pays membres de l’OTAN). La négociation s’impose entre au moins trois grandes puissances militaires (Etats-Unis, Russie et Chine) et de nombreuses puissances de puissances moyennes et émergentes dont la France. Celle-ci ne peut agir avec succès que dans le contexte d’un arrangement de regroupement comme l’Union européenne qui n’a toujours pas de véritable politique commune de défense. L’UE s’est jusqu’à présent adossée à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN[11]) dominé par les Etats-Unis.
De fait, l’Union européenne, contributeur minoritaire à l’OTAN, ne peut rien décider si les Etats-Unis décident de paralyser l’institution ou d’avancer unilatéralement, pour défendre d’abord les intérêts d’une oligarchie financière américaine regroupée autour d’un complexe militaro-industriel-financier-boursier. En arrière-plan de la crise ukrainienne se distingue, sur le plan militaire la confrontation à peine voilée entre les alliés de l’OTAN et la Russie, sur le plan économique la participation de nombreux acteurs privés internationaux, dont on commence à percevoir l’objectif stratégique premier, à savoir l’augmentation, voire l’explosion exponentielle du prix de l’énergie, notamment le pétrole et le gaz, mais également des céréales, et la déstabilisation du système d’approvisionnement logistique de l’Union européenne dépendant par ailleurs à 99 % des métaux rares. Les effets de cette crise sur l’Afrique, bénéfiques ou pas, sont à considérer comme des effets collatéraux dont l’ampleur des conséquences dépendra de la prise de conscience par les dirigeants africains des « enjeux mondiaux de puissance[12] », et surtout de leur volonté réelle de combattre ou pas la corruption et d’investir les retombées dans le bien-être des Africains.
Outre la création de profits boursiers colossaux pour les entreprises américaines, les prix plus élevés de l’énergie et des matières premières devraient freiner l’économie de l’Union européenne, voire la conduire à acheter « américain » en croyant assurer son indépendance à l’égard d’un voisin « européen » la Russie. La réalité est que subtilement, les Etats-Unis au cours des six dernières décennies, plus particulièrement au cours de la période de la guerre froide, ont réussi le pari de faire payer le reste du monde pour leurs déficits budgétaires liés à une gouvernance économique centrée sur la productivité des millionnaires américains, qui se sont traduits par des balances de paiements déficitaires et un endettement abyssal.
3. L’ONU, Cadre de Règlement du Conflit et du Racisme pour l’Union Africaine
La guerre entre la Russie et l’Ukraine a une nouvelle fois mis en évidence la sagesse de l’Afrique qui, via la première de ses institutions supranationales, propose une voie de règlement du conflit qui, sans la nommer, fait implicitement référence à la « palabre africaine intelligente[13] ».
Le Communiqué publié par l’Union Africaine[14] le 24 février 2022, à l’initiative de Macky Sall, Président en exercice de l’Union Africaine et Président du Sénégal, et Moussa Faki Mahamat, Président de la Commission de l’Union Africaine est explicite de ce point de vue. Après avoir exprimé « leur extrême préoccupation face à la très grave et dangereuse situation créée en Ukraine », ils « appellent la Fédération de Russie et tout autre acteur régional ou international au respect impératif du droit international, de l’intégrité territoriale et de la souveraineté nationale de l’Ukraine » et appellent « à l’instauration immédiate d’un cessez le feu ».
La mention « tout autre acteur régional ou international » démontre la clairvoyance de l’Union Africaine sur les acteurs et les enjeux, laquelle considère de facto, que cette crise des relations internationales qui s’est transformée en guerre, implique d’autres acteurs que la seule Fédération de Russie et l’Ukraine.
La clairvoyance de l’Union Africaine est encore attestée par la proposition de règlement du conflit que préconise l’Union Africaine à savoir : « l’ouverture sans délai de négociations politiques sous l’égide des Nations Unies, afin de préserver le monde des conséquences d’un conflit planétaire, pour la paix et la stabilité dans les relations internationales au service de tous les peuples du monde ».
Malgré les réticences que peuvent nourrir certains peuples d’Afrique à l’égard de l’ONU (cf. son attitude partiale et partisane lors de l’élection présidentielle de 2010 en Côte d’Ivoire)[15] le choix de l’ONU comme cadre de négociation et de règlement du conflit, fait par L’Union Africaine, exprime la voie de la sagesse et désigne l’ONU comme un cadre approprié pour traiter du règlement des conflits d’envergure. Il est vrai qu’actuellement, le Conseil de Sécurité où l’Afrique n’a pas de siège permanent, fonctionne en mode de congélation avancée, tant les suspicions entre les puissances sont au plus haut de leur paroxysme.
Ce choix est un constat de l’échec de la logique de rapport de force entre blocs et se démarque des initiatives de diplomatie directe initiées ces derniers jours par les grandes puissances militaires, entre d’une part les Etats-Unis et la Fédération de Russie, d’autre part l‘Union Européenne actuellement sous présidence du Président français Emmanuel Macron et la Russie. L’approche bilatérale d’Olaf Scholz, le Chancelier allemand, n’a pas convaincu Vladimir Putin. Il n’y a pour l’instant, pas de perspectives autres que les sanctions pour espérer entrevoir un commencement de règlement du conflit. En réalité, les sanctions pourraient conduire à une escalade de la logique de la guerre.
Il faut dire que la solidarité européenne avec les premières victimes du conflit à savoir les populations vivant en Ukraine contraintes de fuir les zones de combat est une solidarité à géométrie variable. Celle-ci a permis de dévoiler l’expression du vrai visage de certains pays d’Europe qui n’ont pas hésité à instaurer des critères raciaux discriminants pour refouler les ressortissants des pays d’Afrique[16]. Ainsi des étudiants africains cherchant à fuir les combats ont été refoulés sans ménagements dans les gares en Ukraine et empêchés de monter dans les trains pour fuir l’Ukraine bombardée par la Russie pendant que d’autres témoignages, font état de personnes de couleur, notamment des étudiants sud-africains refoulés et repoussées à l’arrière des files d’attente à la frontière de la Pologne[17]. Certains Africains ont même été violentés aux frontières et menacés avec des armes[18]. En pareilles circonstances l’indignation est une réaction trop faible quand certains avec cynisme font le choix d’ajouter de la misère à la misère. Les « très catholiques » responsables polonais seraient inspirés de relire plus attentivement les enseignements de la Bible sur l’accueil des migrants.
4. Afrique, Afrocentricité et Espaces Multipolaires
Ainsi, paradoxalement, c’est la fin de « l’Etat importé[19] » pour les pays africains. L’occidentalisation de l’ordre politique, soit imposée directement ou du fait de certains dirigeants africains spécialisés dans le mimétisme, va graduellement entrainer un rejet des contradictions par les populations, éventuellement par des militaires conscients des enjeux. Les reprises des coups d’Etat en Afrique sont les signes annonciateurs de la sanction de l’incompétence et un premier coup d’arrêt à la trahison des peuples africains. La greffe occidentale rapportée sur maintes sociétés africaines pourrait être rejetée, déconstruite, par un mouvement qui ouvre la voie d’une reconstruction sociétale marquée par le retour des approches afrocentriques, initiées par des Africains patriotes et panafricains se réappropriant la cosmogonie et la culture africaine du « vivre ensemble » comme partie intégrante d’un tout. Il ne s’agit nullement de l’assimilation aux relents racistes, impossible à greffer d’ailleurs, sauf exceptionnellement avec quelques Africains désœuvrés et vendus.
La tentative d’unipolarisation du monde a été mise en échec pour avoir buté sur l’obstacle de l’avance technologique et militaire russe sur l’Union européenne et les Etats-Unis. Pour ne pas l’avoir compris ou feint de l’ignorer, face à un endurcissement du complexe de ceux qui se sont unilatéralement attribués le titre de faiseurs de l’’histoire des autres et du monde, les pays occidentaux sont peut-être en train de créer les conditions propices à un cannibalisme financier qui verra le secteur privé mondialisé dominer les Etats, au point même de provoquer à terme, l’évolution de l’ONU vers une organisation de Nations dominée par des mondialistes privés. Mais, la montée en puissance de systèmes d’échanges parallèles et alternatifs à ceux mis en place par l’Occident comme le SWIFT, facilitant les échanges transfrontaliers entre établissements bancaires (virements, paiements, achats ou ventes de valeurs mobilières, etc.), pourrait s’avérer ouvrir l’espace à un monde multipolaire où les pays moins influents comme ceux d’Afrique trouveraient une possibilité de choisir à quelle « sauce gombo » ils seraient assaisonnés.
En définitive, la puissance unipolaire est en train de s’effacer, contre son gré, par la montée en puissance d’espaces multipolaires fondés sur la sécurité par la force militaire. La réaction de la Russie apparaît comme une décision d’arrêt brutal de la provocation géostratégique occidentale et, de son point de vue, doit assurer et protéger les intérêts russes des potentielles menaces que pourrait représenter l’implantation de l’OTAN aux portes de ses frontières. Si cela ne justifie pas l’agression contre l’Ukraine, la question est de savoir si la Russie n’avait pas sur-réagi avec violence, où s’arrêterait l’élargissement de l’OTAN vers l’Est ? Si ce n’est l’encerclement militarisé de la Russie et son effondrement à terme, comme Mikaël Gorbatchev en a fait l’amère expérience pour avoir occidentalisé la trajectoire de la perestroïka[20] et cru aux engagements pris par les pays occidentaux que ceux-ci n’ont jamais tenu ? Les conséquences de ce non-respect s’avèrent très douloureuses pour les populations qui pâtissent aujourd’hui du conflit et nourrissent la défiance de Vladimir Poutine envers les dirigeants occidentaux.
5. Le Fait Accompli : Expansion Effective de l’Otan Vers l’Est
L’équilibre des forces militaires, est un élément essentiel qui conditionne l’équilibre des zones d’influence dans les relations internationales. Alors que le Traité d’amitié, de coopération et d’assistance mutuelle, autrement connu sous le vocable de Pacte de Varsovie[21], conclu le 14 mai 1955, en pleine guerre froide, avait été rompu, six mois avant la fin officielle de l’URSS, le 25 décembre 1991, voir sur le continent européen, l’OTAN n’a de cesse que de s’élargir à l’est de l’Europe, ce constituant une menace directe pour la Fédération de Russie. En 23 ans, l’OTAN est passé de 12 à 30 membres[22] en intégrant plusieurs pays anciens membres du Pacte de Varsovie. Cela augure des nombreuses autres « annexion de l’OTAN », exposant la duplicité de ceux qui voulaient bâtir à marche forcée le monde unipolaire qui devaient encercler et isoler la Russie. La réaction de la Russie, certainement disproportionnée, relève d’une volonté de stopper cette avancée des armes de l’OTAN aux frontières de la Fédération de Russie.
Cette duplicité niée durant trois décennies par les principaux protagonistes, vient d’être confirmée par un document « secret-défense » récemment déclassifié des archives nationales britanniques et exhumé par un chercheur des Etats-Unis, professeur à l’université de Boston, Joshua Shifrinson[23]. Le texte qui corrobore l’argumentaire de la Russie sur l’existence de l’engagement de Washington et des puissances occidentales à ne pas étendre l’Alliance atlantique vers l’Est, vient d’être révélé ce mois de février 2022 par le magazine allemand Der Spiegel. Il s’agit du procès-verbal d’une réunion sur le thème de la sécurité en Europe centrale et orientale, à laquelle participaient les directeurs politiques des ministères des affaires étrangères des États-Unis, de Grande-Bretagne, de France et d’Allemagne, tenue à Bonn le 6 mars 1991. Le document fait part sans la moindre ambiguïté de l’engagement de Washington, Londres, Paris et Bonn à ne pas étendre l’Alliance atlantique vers l’Est qualifiant d’« inacceptable », une telle expansion.
Cité par Der Spiegel, le représentant de la RFA, Jürgen Hrobog, y déclare : « Nous avons clairement indiqué lors des pourparlers 2 plus 4 (sur l’unification allemande, avec la participation de la République fédérale d’Allemagne (RFA) et de la République démocratique d’Allemagne (RDA), ainsi que des États-Unis, de l’URSS, du Royaume-Uni et de la France) que nous n’étendons pas l’OTAN au-delà de l’Elbe. », et précise « Par conséquent, nous ne pouvons pas proposer à la Pologne et aux autres pays d’adhérer à l’OTAN ».
La même position ressort de la déclaration de Raymond Seitz, le représentant des Etats-Unis : « Nous avons clairement fait savoir à l’Union soviétique – dans les pourparlers 2 plus 4 et aussi dans d’autres négociations – que nous n’avions pas l’intention de profiter du retrait des troupes soviétiques d’Europe de l’Est… ». Et d’avaliser même la non expansion de l’OTAN vers l’Est « que ce soit de manière formelle ou informelle ».
De Bill Clinton à Joe Biden, en passant par Georges W. Busch, Barack Obama et Donald Trump, les Etats-Unis qui ont toujours affirmé que l’Occident n’aurait jamais offert à la Russie de garantie sur le futur périmètre de l’Alliance atlantique sont ici pris en flagrant-délit de mensonge.
La paranoïa qui s’est emparé du monde des médias et qui se déverse à longueur de journée sur les plateaux de télévision, a fait délibérément passer cette information sous les radars, à l’exception de deux organes de la presse écrite, en France le quotidien L’Humanité et l’hebdomadaire Der Spiegel en Allemagne. Il n’est pas impossible que RT France[24] fasse l’objet de « sanctions » pour avoir fait des analyses allant dans le sens de cette vérité historique.
De toutes les façons, en condamnant l’agression de la Russie contre un Etat indépendant pour la 3e fois de son histoire, la sécurité militaire de la Russie ne pouvait pas être sacrifiée sur l’autel d’une souveraineté russe sous influence occidentale. Les enjeux mondiaux de puissance fondent l’émergence des espaces multipolaires de puissance.
6. Fin de l’Hégémonie Securitaire Occidentale : Dimensions Humaines Revalorisées dans l’Approche Securitaire Africaine
La guerre illégale des Etats-Unis en Irak sur la base d’un mensonge planétaire formulé à la tribune des Nations Unies le 5 février 2003[25], serait responsable d’au moins de 1,2 millions de morts pour un échec sur le terrain. Rappelons tout de même aux populations africaines enclines à toujours tout pardonner, que les dirigeants occidentaux ont bombardé la Yougoslavie, envahi l’Irak ou détruit la Libye en totale violation du droit international, avec des conséquences et de graves effets collatéraux négatifs sur l’insécurité et le terrorisme dans le Sahel.
En comparaison, ce qui se passe en Ukraine doit donner à réfléchir sur l’organisation systématique des médias politiquement corrects pour faire oublier les crimes contre l’humanité commis par des dirigeants occidentaux, adossant leur action aux règles internationales, -appliquées ou contournées-, pour assurer leur suprématie et leurs intérêts aux dépens des peuples militairement plus faibles, ou simplement pacifiques.
La fin de l’hégémonie occidentale risque de se décliner dans au moins deux domaines : militaire[26] d’une part, économique et monétaire d’autre part, avec des conséquences prévisibles sur un nouvel ordre commercial mondial dont l’épicentre se déplacera vers l’Est. Avec la Chine comme atelier mondial de la production à des coûts compétitifs, qui élargit le champ de la démocratie économique en permettant l’accès d’un plus grand nombre de personnes à des biens et services fondant l’amélioration du bien-être individuel et collectif, les pays les moins influents n’ont pas d’autre choix que de trouver un équilibre de « non-alignement » lorsque les alliances entre grandes puissances se font et défont sur la base des valeurs de paix ou d’agressions systématiques.
Pour les Africains, la notion de sécurité internationale ne peut se limiter à une notion sécuritaire intrinsèque mais doit s’élargir à ses dimensions humaines. La démagogie répandue par les ayatollahs de la souveraineté des Etats-Nations dans le cadre de frontières coloniales imposées unilatéralement, devront revoir leur copie sur le mythe de l’intangibilité des frontières en Afrique[27], et vraisemblablement aussi dans le monde. Ceux-là prônent une doxa selon laquelle ne pas toucher aux frontières devait préserver la paix, sauf qu’il s’agit de frontières coloniales d’essence eurocentrique, s’affranchissant des traditions, des cultures et de la sociologie caractéristique des peuples d’Afrique. Au point d’empêcher l’Afrique de se reconstruire après le crime contre l’humanité qu’ont constitué les plus de 400 années durant lesquelles fut pratiquée à grande échelle la traite des noirs et l’exploitation de l’espace africain au seul profit de l’Occident. Les Etats nations finiront par se fondre dans une confédération africaine qui prendra le temps qu’il faut, pour panser les blessures, ce malgré les nombreux traitres conservateurs et carriéristes, incapables de comprendre la mutation en cours et la fin du monde unipolaire. Malheureusement, ce retournement du monde[28] africain risque de toucher un nombre important de victimes collatérales.
7. Les Africains Ne Sont Responsables d’Aucune Guerre Mondiale
La guerre de la Russie en Ukraine n’est pas une guerre des Africains mais bien une guerre des Occidentaux, à l’instar des 1e et 2e guerre mondiale, au cours desquelles les Africains n’ont fait que subir des dommages collatéraux humains, économiques, logistiques et d’approvisionnement.
Les dirigeants africains ne sauraient demeurer neutres dans ce dossier. L’intérêt des peuples d’Afrique consiste à entretenir de bons rapports avec la Russie et l’Ukraine d’une part, avec le monde occidental des Alliés, tels les membres du Traité de l’Atlantique nord, le monde du groupe euro-asiatique, comme la Russie, la Chine et l’Inde d’autre part. A ce titre, ce sont les intérêts collectifs des Africains qui doivent être pris en compte et mis en exergue.
En guise de conditionnalités, il ne faut pas que l’Afrique envoie des supplétifs qui rappelleraient le temps de la contribution des tirailleurs africains aux conflits mondiaux, pour ce qui pourrait se profiler comme des prémisses d’une 3e guerre mondiale à venir.
La neutralité et le respect des valeurs et de la dignité humaine et de la souveraineté territoriale ne sont pas à sens unique.
Les Occidentaux doivent stopper l’élargissement de l’Organisation du traité de l’atlantique nord (OTAN) vers l’est en finançant des espaces militarisés considérés comme des menaces par la Russie tout en soutenant des dirigeants ukrainiens qui sont cités par le Consortium international de journalistes d’investigation. Parmi les 35 dirigeants internationaux épinglés pour des montages financiers offshore dits « Pandora Papers[29] », on trouve le Président Ukrainien, M. Volodymyr Zelensky qui détenait
- une participation dans une société écran enregistrée aux îles Vierges britanniques ;
- des actions dans des sociétés de production et de distribution de films.
L’ensemble de ses parts a été transféré à l’un de ses conseillers, Serhiy Shefir, juste avant son élection en 2019. Le même aurait contribué à débaptiser une grande avenue de Kiev pour la rebaptiser Avenue Stepan Bandera, nom d’un nazi notoire, chef des collaborateurs ukrainiens de l’Allemagne nazie durant la deuxième guerre mondiale, créateur de la Légion Ukrainienne sous commandement de la Wehrmacht, organisateur des Einsatz Gruppe ou Einzatz Kommando qui ont fait des assassinats de masse avec des milliers de juifs assassinés[30]. L’UE soutient donc sans vergogne et sans le moindre état-d’âme un gouvernement qui assume la remémoration du souvenir d’un responsable de crimes contre l’humanité.
Les dirigeants des pays occidentaux doivent laisser les pays souverains mener les discussions internes à leur culture avant d’impliquer des pays occidentaux qui ont toujours et d’abord des objectifs de défense de leurs intérêts avant ceux des autres. C’est l’amer constat des dirigeants de l’Ukraine qui ont compris que ni les pays européens pris individuellement, ni l’Union européenne, ni les Etats-Unis, ni l’OTAN n’enverront des ressortissants militaires mourir pour un Ukrainien. L’OTAN doit donc renoncer à s’installer en Ukraine militairement pour faciliter la désescalade militaire.
8. Intangibilite Des Frontieres : Violation De La Charte De L’ONU Et Voie Africaine
Quelques jours après le Veto à un projet de résolution de la France au Conseil de sécurité portant sur la condamnation de l’offensive de la Russie en Ukraine contrairement au droit international, les 193 membres de l’Assemblée générale des Nations Unies ont adopté le 02 mars 2022 le principe de l’intangibilité des frontières et demandé le retrait de la Russie de l’Ukraine : 141 votes pour, 5 votes contre (Russie, Bélarus, Erythrée, Corée du Nord et Syrie) et 35 abstentions dont 14 pays africains et la Chine lors du vote d’une résolution adoptée par les Nations Unies le 28 février 2022[31], appelant la Fédération de Russie à « retirer immédiatement, complètement et sans condition toutes ses forces militaires du territoire ukrainien à l’intérieur de ses frontières internationalement reconnues ». Ceci a permis d’observer pour ce qui concerne l’Afrique, la persistance des clivages historiques. Les traditionnelles zones d’influence sont en train d’éclater pour offrir des espaces multipolaires d’influence.
La majorité des deux tiers (2/3 équivaut à 129 votes) pour être adoptée a été dépassée, mais la décision n’est pas contraignante. La réalité est que de nombreux pays africains se sont abstenus, certains comme le Togo étaient absents…
Ainsi, l’Algérie, l’Angola, le Burundi, la République centrafricaine, le Congo, la Guinée Equatoriale, Madagascar, le Mali, le Mozambique, la Namibie, le Sénégal, l’Afrique du Sud, le Soudan, le Soudan du Sud, l’Ouganda, la Tanzanie et le Zimbabwe, ont fait le choix de l’abstention. Tandis que le Burkina-Faso, le Cameroun, l’Ethiopie, la Guinée, la Guinée Bissau, le Maroc, et le Togo ont fait le choix de l’absentéisme et de la non-participation au vote[32].
L’Afrique a des intérêts divergents. Ce qui confirme l’embarras d’une partie de continent vis-à-vis de ce conflit. Certains sont des alliés de longue date de Moscou, comme Alger, d’autres sont en train de se rapprocher des Russes, comme le Mali, en pleine transition.
Toutefois, la résolution souffre d’un esprit belliqueux. Contrairement à l’esprit africain, la résolution n’a pas été conçue pour favoriser la palabre intelligente afin de laisser la médiation, le conciliabule, les compromis avec des acteurs diplomatiques et citoyens conduire à un retour de la paix.
La violation de la Charte des Nations Unies, paragraphe 4 de l’article conduit l’Assemblée générale des Nations Unies à :
- constater une « agression commise par la Fédération de Russie contre l’Ukraine » ;
- exiger sans force de coercition l’arrêt immédiat de l’emploi de la « force contre l’Ukraine » ;
- pousser la Russie à « s’abstenir de tout nouveau recours illicite à la menace ou à l’emploi de la force contre tout État Membre » ;
- demander que « la Fédération de Russie retire immédiatement, complètement et sans condition toutes ses forces militaires du territoire ukrainien à l’intérieur des frontières internationalement reconnues du pays ».
L’article 4 alinéa b de l’acte constitutif de l’Union africaine devenue opérationnelle le 26 mai 2001 rappelle dans ses principes le « respect des frontières existant au moment de l’accession à l’indépendance » … Si ce principe était appliqué à l’Ukraine, il faudrait au moins deux conditions pour la désescalade militaire :
- l’arrêt de l’expansion de l’OTAN vers l’est et excluant l’Ukraine ; et
- le retrait de la Russie des territoires occupés suite à l’expansion de l’OTAN sous diverses formes en territoire ukrainien.
L’article 4 alinéa e propose un « règlement pacifique des conflits entre les Etats membres de l’Union par les moyens appropriés qui peuvent être décides par la Conférence des Chefs d’Etat africains ». Il est donc recommandé aux dirigeants africains de ne pas voir leur position collective et leur voix se fondre dans les positions belliqueuses des positions occidentales ou de l’OTAN. Au contraire, qu’une délégation de haut niveau comprenant les représentants des patronats et de la société civile indépendante des Etats puissent se rendre à Moscou et à Kiev pour porter le message de « coexistence pacifique entre les Etats » et leur « droit de vivre dans la paix et la sécurité ».
Parmi les 24 pays qui se sont abstenus ou n’ont pas participé au vote, on en dénombre 13 qui ont par le passé entretenu des relations avec l’ancienne URSS ou qui entretiennent actuellement des relations avec la Russie. Certains, probablement par intérêt calculé, ont préféré ne pas « insulter l’avenir » tels le Soudan, dont une délégation vient d’effectuer, fin février, une visite à Moscou alors que le conflit en Ukraine avait déjà débuté[33].
Ceci montre que l’Afrique, dont la plupart des peuples durent batailler pour gagner leur indépendance, souvent acquise de haute lutte, reste un continent sur lequel plane toujours le souvenir de luttes anticoloniales parfois très âpres et où l’esprit « non-aligné » de la Conférence de Bandoeng que Léopold Sédar Senghor décrivit comme une gigantesque « levée d’écrou », reste encore prégnant malgré les vicissitudes imposées par le néocolonialisme. Rappelons pour mémoire qu’à cette Conférence, paraphrasant le propos de Sieyès[34] sur le « tiers état » : « Qu’est-ce que le tiers état ? Tout. Qu’a-t-il été jusqu’à présent dans l’ordre politique ? Rien. Que demande-t-il ? A devenir quelque chose. », les participants proclamèrent l’égale souveraineté des peuples et des nations, « Car enfin ce tiers-monde ignoré, exploité, méprisé comme le tiers état, veut lui aussi être quelque chose »[35].
L’Afrique ne cherche pas à être quelque chose, mais s’organise pour qu’on lui foute la paix pour que ses dirigeants patriotes réorganisent sa trajectoire vers le bien-être des Africains ! A ce titre, Cheik Anta Diop a vu juste[36] : l’Afrique ne peut opter pour la barbarie, mais pour une civilisation nègre, fondée sur la Maât et un « nouvel humanisme planétaire »[37].
9. Sanctions de l’Exclusion du SWIFT : Effet de Levier avec les Systèmes CIPS et au SPFS
L’une des sanctions promues par les alliés occidentaux, notamment les Etats-Unis et l’Union européenne est l’exclusion de la Russie du système de paiement SWIFT[38]. SWIFT est un réseau de messagerie que les institutions financières utilisent pour transmettre en toute sécurité des informations et des instructions par le biais d’un système de codes normalisé. Bien que SWIFT soit devenu un élément crucial de l’infrastructure financière mondiale, il ne s’agit pas d’une institution financière en soi mais d’un « club » même si SWIFT ne détient ni ne transfère des actifs. SWIFT facilite une communication sûre et efficace entre les institutions membres.
En février 2022, les États-Unis et l’Union européenne ont retiré certaines banques russes importantes de SWIFT, renforçant ainsi leurs sanctions économiques à l’encontre de la Russie en raison de ses actions en Ukraine. La réalité est que dans un monde interdépendant, les membres du « club » ne peuvent tout simplement pas exclure toutes les banques, ne serait-ce que pour pouvoir continuer d’assurer les transactions entre les opérateurs et les patronats européens (surtout allemands) et russes qui dépendent des sources d’approvisionnement russes telles le pétrole ou le gaz russes. L’importance donnée par l’Occident à cette sanction doit être minimisée car du point de vue des officiels russes, cette sanction a été anticipée et une solution a été trouvée… Plusieurs banques russes fonctionnent déjà et sont interconnectées au système chinois dit « CIPS » qui est indépendant de SWIFT.
Le système de paiement interbancaire transfrontalier (CIPS) est un système de paiement qui offre des services de compensation et de règlement à ses participants pour les paiements et les échanges transfrontaliers en monnaie chinoise le Renminbi (RMB[39]). Soutenue par la Banque populaire de Chine (PBOC), la Chine a lancé le CIPS en 2015 pour internationaliser l’utilisation du RMB. Le CIPS compte également plusieurs banques étrangères parmi ses actionnaires, dont HSBC, Standard Chartered, la Bank of East Asia, DBS Bank, Citi, Australia and New Zealand Banking Group et BNP Paribas. En 2021, le CIPS a traité environ 80 trillions de yuans (12,68 trillions de dollars des Etats-Unis), soit environ 1.280 institutions financières dans 103 pays et régions se sont connectées au système[40].
L’achat du pétrole ou du gaz russes avec le CIPS est possible avec un paiement effectué dans la monnaie chinoise, le yuan (ou RMB). Le CIPS va s’adosser à un nouveau système de paiement Russie-Chine contournant ainsi le système SWIFT et combinant le SPFS (système de transfert de messages financiers) russe et le CIPS (système de paiement interbancaire transfrontalier) chinois. Cette alliance stratégique en développement exponentiel risque d’attirer de nombreux pays africains qui ne manqueront pas de transférer leurs réserves et avoirs dans ce nouveau système délié des fourches caudines occidentales.
Développé par la Banque centrale de Russie depuis 2014, le Système de transfert de messages financiers (SPFS[41]) est un système de paiement russe, équivalent au système de transfert financier SWIFT, après que le gouvernement des États-Unis ait menacé de déconnecter la Russie du système SWIFT, suite à l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014. Il est par ailleurs déjà relié à la Chine, à l’Inde et aux pays membres de l’Union économique eurasiatique (UEE) et compte déjà plus de 400 banques. De nombreuses entreprises russes utilisaient déjà les systèmes SPFS et CIPS avant leur fusion afin de contourner le SWIFT en autorisant les opérations de compensation et de troc, notamment pour les pays sous embargo et sanctions comme l’Iran. Le monde occidental a sous-estimé l’esprit anti-occidental en Asie qui ne voyait dans le système SWIFT qu’une hégémonie financière des Etats-Unis.
Le résultat des manœuvres en cours pourrait se matérialiser par un déplacement du centre d’intérêt principal du monde vers l’Eurasie, poussant ainsi à un effet inattendu des sanctions occidentales : la montée en puissance du yuan chinois comme monnaie des échanges et de paiement en Eurasie et ailleurs. Avec comme conséquence majeure de la montée en puissance du yuan chinois, la dédollarisation de l’économie mondiale. Les déstabilisations logistiques que les sanctions contre la Russie vont occasionner sur les principales matières premières (pétrole, gaz, céréales, métaux et métaux rares, etc.) va créer des poches de rareté et donc de pénurie de ces matières premières, occasionnant ainsi l’augmentation vertigineuse du prix de ces matières premières. Cela devrait paradoxalement compenser les pertes liées aux sanctions sans pour autant générer une inflation importante en Union européenne.
10. Capacité de la Russie à Contourner les Sanctions Occidentales
La hausse des prix de l’énergie (Baril du pétrole à 113 $EU le 3 mars 2022, Brent à un an à 110 $EU au 3 mars 2022) signifie que la crise risque de durer. Mais ce sont les hausses des prix des céréales servant d’intrants dans la chaine alimentaire humaine et animale, notamment le blé dont la Russie et l’Ukraine contrôlent 29 % des exportations mondiales (17 % pour la Russie, 12 % pour l’Ukraine) qui posera le plus de problème à l’Afrique. De nombreuses balances des paiements vont souffrir en Afrique notamment pour les pays importateurs nets comme le Sénégal avec des risques sur une augmentation de la dette extérieure et un risque de « recolonisation » des matières premières africaines par la Russie ou l’Ukraine, à moins de faire défaut sur la dette extérieure africaine.
Concernant le blé, il est utile de rappeler que l’augmentation du volume de production de la Russie est consécutive au réarmement de l’agriculture russe consécutivement aux sanctions de l’Union européenne de 2014 après l’invasion de la Crimée. Pour ce qui concerne l’Ukraine 8 % de la production est réalisé dans le Louhansk et le Donetsk où se situe le port de Marioupol[42].
Au niveau des métaux connus comme le cobalt, le palladium, le nickel, l’aluminium ou mêmes les métaux rares, souvent confondus, à tort, avec les terres rares, la menace consiste en un glissement des ruptures vers de véritables « chantages » à la fourniture des chaines d’approvisionnement, ce aux dépens des grandes multinationales occidentales. Aussi, la sanction boomerang pourrait avoir des impacts économiques non calculés ou mal évalués par les Occidentaux, empêtrés à s’organiser pour accueillir plus de 1 million de migrants de longue durée (3 ans) en Union européenne alors que l’essentiel des thèmes et des politiques menées par les partis de droite européens au pouvoir consistait justement de limiter les migrations. S’il n’y pas peut-être pas de racisme évident, il y a manifestement une fragmentation et une hiérarchisation des migrants, selon qu’ils ou elles sont utiles ou pas à l’Union européenne, selon qu’ils permettent l’augmentation du poids de la population blanche et moins de la population métissée, selon qu’ils sont techniquement ou intellectuellement utiles, ou pas.
Le blocage des exportations de matières premières russes risque à terme de favoriser une diversification des marchés russes vers l’Asie avec des pertes de marchés sans retour pour le patronat de l’Union européenne.
Compte tenu de nombreuses fermetures d’entreprises ou de changement de propriétaires dans le cadre de fusions acquisitions, ou de privatisations, de nombreux spéculateurs boursiers risquent d’encaisser d’importants bénéfices tout en s’emparant de pans entiers du système de production d’un pays. Le paradoxe est que la Russie, dans le cadre d’accords stratégiques risque avec ses partenaires asiatiques, notamment la Chine, de récupérer la part du lion, notamment avec les puissants oligarques russes ou chinois. Selon le Professeur Michael Hudson, « la plus énorme conséquence involontaire de la politique étrangère des États-Unis a été de pousser la Russie et la Chine ensemble, ainsi que l’Iran, l’Asie centrale et les pays le long de l’Initiative Ceinture et Route[43] ».
Si l’objectif des dirigeants américains est de « découpler l’économie des pays de l’Union européenne, notamment de l’Allemagne, de la Russie, et de l’éloigner de la Chine à travers la création de deux blocs irréductiblement ennemis », alors c’est aux dirigeants européens de faire preuve d’intelligence car si le premier bouc-émissaire de cette stratégie est l’Ukraine, le mouvement risque de toucher par vagues successives sur 12 mois, les pays de l’Union européenne notamment par une inflation, puis un endettement impossible à rembourser… Les crises sociales défiant la confiance dans des dirigeants élus avec de plus en plus d’abstention, pourraient servir de fondement à des ruptures imprévisibles dans la démocratie occidentale qui croient pouvoir survivre en organisation la démocrature et l’autocratie dans de nombreux pays africains.
Mais l’ascension de la Chine grâce à des accords stratégiques avec la Russie va profondément modifier le centre de gravité des relations commerciales, au point d’amener les Africains à se passer de la France, puis de l’Union européenne par le développement des capacités productives et commerciales au sein d’un système de performance logistique que la Chine ne manquera pas de soutenir, par les infrastructures de connexion et de communication et un meilleur contrôle sur la corruption.
Autrement dit, la capacité de la Russie à contourner les sanctions occidentales[44] va accentuer la réorientation des relations commerciales historiques de l’Afrique avec l’Union européenne vers le monde Eurasiatique, notamment la Russie et la Chine comme piliers d’une sécurisation militaire de l’Etat, empêchant les coups d’Etat institutionnels à l’avantage de la françafrique, mais aussi des intérêts de puissances occidentales peu intéressées à l’amélioration du bien-être des Africains.
11. La Faiblesse du « Rouble Russe » : Une Capacité d’Échanges Accrus avec l’Afrique
Au niveau de la monnaie russe, il faut constater paradoxalement que la chute du rouble est favorable à la Russie car cela contribue à favoriser les exportations russes et à promouvoir sa politique d’autosuffisance. Si les prix à l’importation augmentent, de nombreux biens seront systématiquement produits sur place, et vraisemblablement avec l’aide de la Chine, pays industriel en chef au plan planétaire. La guerre économique contre la Russie profitera certainement à une oligarchie militaro-politique aux Etats-Unis à court terme. Mais à moyen et long-terme, ce sont des marchés qui vont quitter le monde occidental pour s’établir durablement en Asie et par le biais d’un commerce trilatéral, intégrer l’Afrique.
Un rouble faible va promouvoir les productions africaines qui ne verront plus les termes de l’échange se détériorer systématiquement en leur défaveur. Mais, le plus grave pour le monde occidental est que les prix des nombreuses matières premières ne se décident plus en Occident mais en Asie compte tenu du poids que ce continent va prendre dans les échanges commerciaux, financiers avec l’Afrique, surtout si l’exclusion du système SWIFT a pour conséquence de ne plus permettre aux occidentaux de savoir ce qui s’échange avec l’Afrique et d’y faire opposition par des techniques de barrières tarifaires ou autres, phytosanitaires.
La réalité des sanctions est que la puissance de production et d’autosuffisance de la Russie aux plans militaire et commercial va lui octroyer une nouvelle marge de manœuvre : celle de décider à qui elle vend ou ne vend pas. Si d’ici 10 mois, la Russie décidait de ne pas fournir du gaz à l’Allemagne, les perspectives de rupture du système électrique dans les grandes villes d’Allemagne rebattrait les cartes de l’interdépendance et ferait retomber l’arrogance occidentale.
Les conséquences directes dans l’augmentation des prix des biens importés consommés massivement et « sans modération » par les Africains comme de nombreuses céréales (dont le blé), mais aussi le pétrole et le gaz pourraient conduire à limiter la corruption de certaines élites qui privent les populations des fruits de la croissance économique en Afrique.
12. Russie : Premier Exportateur de Blé Grâce aux Sanctions Occidentales
Nous avons rappelé que ce sont les sanctions économiques occidentales contre la Russie depuis 2014 qui ont permis à la Russie d’opérer une mutation en profondeur de ses structures de production agricole au point de transformer la Russie en 1er exportateur de Blé. Les Occidentaux devraient peut-être réfléchir à deux fois avant de maintenir dans le temps leurs sanctions. Notamment en raison du contexte sécuritaire qui permet à la Russie de trouver sur le continent de plus en plus d’alliés qui commencent à apprécier l’efficacité des actions de sécurisation militaire en Afrique, ce en comparaison des résultats obtenus par les missions menées par les partenaires historiques. Notamment les missions de l’ONU qui sont budgétivores et ne sont investies que d’un mandat non léthal, mené avec un équipement militaire non létal. Autrement dit qui amoindrit la capacité de riposter efficacement contre les terroristes djihadistes comme au demeurant les bandits de grands chemins et les coupeurs de route.
13. Afrique en Mutation Stratégique : Neutralité Proactive et Vivre Ensemble
L’Afrique est en mutation accélérée. Toutes ces institutions doivent être réformées, ou à défaut quitter l’Afrique. Les partenaires alternatifs frappent à la porte d’une Afrique émergente. Dans un monde interdépendant en constante compétition, la sécurité militaire et la souveraineté économique de l’Afrique et des Africains imposent d’avoir une position collective et stratégique de neutralité proactive. Cela suppose une prise de conscience des enjeux mondiaux de puissance et une volonté d’avancer vers une autonomie et une participation collective[45] aux affaires des Africains et plus largement à celle du monde.
La neutralité n’est pas un objectif en soi pour les dirigeants africains. C’est véritablement un moyen de défendre les intérêts du Peuple africain et d’en tirer profit sur le plan des échanges internationaux, ce dans tous les domaines, de la politique en passant par l’économie et l’environnement. La neutralité proactive repose expressément sur des relations étroites avec des partenaires stratégiques, afin d’assurer une forme d’équilibre glissant de la paix.
Au demeurant, cela devrait empêcher de subir les guerres préemptives des puissances belliqueuses à l’endroit de l’Afrique, ce en référence à l’histoire des techniques d’asservissement de l’Occident sur les Africains. La neutralité proactive doit reposer sur des accords de non-intervention militaire en cas de guerre ou agressions multiformes, notamment en à l’aune des menaces néocoloniales, politiques, économiques, sociales, technologiques, climatiques – qui ont déstabilisé et continuent de fragiliser l’Afrique. Cela ne doit pas nécessairement passer par des ruptures, mais les ruptures peuvent y contribuer, et stopper l’arrogance, l’esprit belliciste et le complexe de supériorité de certaines civilisations.
Il faut pour cela stopper la falsification de l’histoire de la civilisation noire et retrouver le goût et la volonté de valoriser la culture africaine du « vivre ensemble », la fameuse Ubuntu « je suis parce que tu es/nous sommes ». Cela devrait rappeler aux Etats-membres de l’OTAN que la Russie « est » parce que l’Ukraine « est », autrement dit le principe des sanctions, de l’isolement, et au fond la volonté de « faire plier » l’autre est une notion dangereuse pour la paix, surtout quand le rapport de force technologique est en train de s’inverser. YEA.
7 mars 2022
Dr. Yves Ekoué Amaïzo
Directeur Afrocentricity Think Tank
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Note : Voir les références ici