Alors que dans son pays, rien ne va en ce qui concerne l’obligation pour les hautes personnalités, hauts fonctionnaires et autres agents publics de déclarer leurs patrimoines, Mme Awa Nana-Daboya s’offre un sujet de divertissement en se faisant élire à la tête de l’Association des Médiateurs des pays de l’UEMOA (AMP-UEMOA). Son silence sur la question ne s’apparente-t-il pas à une complicité ?
Mme Awa Nana-Daboya ne chôme pas. L’ancienne juge de la Cour de justice de la CEDEAO est désormais présidente de l’Association des Médiateurs des Pays de l’UEMOA (AMP-UEMOA). Son élection a été actée dans le cadre de la 6ème session ordinaire de l’association tenue du 6 au 10 juin 2022 à Ouagadougou au Burkina Faso. Le rapport fait par le site d’information du médiateur de la République souligne que les travaux placés sous le thème : « Le Médiateur de la République à l’épreuve des défis majeurs de l’espace UEMOA», ont permis aux participants « d’échanger durant quatre jours des questions relatives aux réalités de l’heure, notamment l’insécurité, la corruption, les droits des citoyens et l’incivisme ».
« Pour la nouvelle présidente de l’AMP-UEMOA, Médiateur de la République togolaise, Mme Awa Nana-Daboya, ce nouveau bureau qu’elle va conduire prend fonction à un moment délicat où la sous-région est particulièrement visée et touchée par le terrorisme, l’extrémisme violent et l’instabilité de la gouvernance démocratique, résultant de crises politiques et institutionnelles », indique le site. Et de poursuivre : « La nouvelle présidente de l’AMP-UEMOA a indiqué que pour parvenir à relever les défis, les Médiateurs de la République ont le devoir de se doter d’un plan stratégique qui prend en compte la vision commune de l’association. Mme Awa Nana-Daboya a précisé qu’il faut élaborer une stratégie d’action concrète, crédible et durable afin de soutenir les actions de l’UEMOA. Mais, surtout, faire preuve de solidarité sans faille, face aux défis et ennemis qui n’ont pas de frontières ».
Voilà la nouvelle entreprise du médiateur de la République qui, se tournant le pouce depuis un moment, s’offre un peu de travail en se faisant élire à la tête de l’association des médiateurs. Pourtant, les chantiers sont énormes au Togo. Rien qu’avec la déclaration des biens et avoirs des personnalités, hauts fonctionnaires et autres agents publics, la dame devrait être chargée. Malheureusement, ce n’est pas le cas parce que les personnes assujetties à la déclaration des biens et avoirs font tout ce qui est en leur pouvoir pour se soustraire à cette obligation.
Il nous souvient les différentes, mais surtout nombreuses étapes franchies par la loi organique n°2020-003 du 24 janvier 2020 fixant les conditions de déclaration de biens et avoirs des hautes personnalités, des hauts fonctionnaires et autres agents publics. En effet, c’est depuis le 30 décembre 2019 que l’Assemblée nationale a adopté cette loi. A l’époque, certains avaient cru que les choses iraient très vite pour aboutir à l’effectivité de cette disposition, mais c’était sans compter avec la volonté manifeste du régime de jouer la montre.
Dix mois plus tard, soit en octobre 2020, le gouvernement finit par adopter en conseil des ministres l’avant-projet de loi relatif au médiateur de la République. C’est cette personnalité qui doit recevoir les déclarations, mais en attendant, le projet de loi doit être validé par l’Assemblée nationale, le médiateur de la République va ensuite prêter serment et déclarer ses biens avant de recevoir les déclarations des autres. Awa Nana-Daboya a fini par déclarer ses biens le 24 janvier 2022 devant la Cour Constitutionnelle, ouvrant ainsi la voie à la déclaration du patrimoine de Faure Gnassingbé et compagnie.
Malgré l’assouplissement des conditions de déclaration, aucune évolution n’est constatée. Et pourtant, à la lumière de plusieurs dispositions, Faure Gnassingbé et les ministres du gouvernement Dogbé doivent avoir déjà déclaré leurs patrimoines. Selon l’article 11 de la loi susvisée, le déclarant établit une déclaration initiale de patrimoine dans les quatre-vingt-dix (90) jours de sa prise de fonction. Le gouvernement actuel est en place depuis vingt (20) mois et aucun de ses membres n’a déposé sa déclaration. Et puis, l’article 21 précise que « les titulaires de mandats et fonctions en exercice au moment de l’entrée en vigueur de la présente loi, doivent se conformer aux dispositions de la présente loi dans un délai de douze (12) mois à compter de sa publication au Journal Officiel de la République togolaise ». Pour rappel, la loi en question a été publiée au journal officiel le 29 janvier 2020. La déclaration des biens s’impose dès le mois de février 2021. C’est d’ailleurs pour cette raison que le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement avait déclaré que la déclaration des biens des membres du gouvernement doit avoir lieu avant le 1er mars 2021. «Ce que je sais aujourd’hui, c’est que les ministres qui viennent d’entrer au gouvernement ont jusqu’au 1er mars (2021, Ndlr), me semble-t-il, pour déclarer leurs biens », a fait savoir Pr. Akodah Ayewouadan.
Dans ce processus de déclaration, tout porte à croire que Mme Awa Nana-Daboya est elle aussi dans un rôle de complice. Et pour cause, selon l’article 18, le médiateur de la République a la possibilité d’adresser des mises en demeure aux assujettis défaillants. « Lorsque le Médiateur de la République ou son délégué ou la Cour constitutionnelle, le cas échéant, n’a pas reçu les déclarations de patrimoine initiale, rectificative ou finale dans les délais impartis par la présente loi, il/elle adresse à l’assujetti défaillant, d’office ou à la demande du président de la Haute Autorité de prévention et de lutte contre la corruption et les infractions assimilées, une mise en demeure de transmettre sa déclaration de patrimoine dans un délai de trente (30) jours à compter de la notification de la mise en demeure ». Au lieu de chercher des rôles à l’international, Awa Nana-Daboya devrait avoir déjà adressé des mises en demeure aux assujettis. Ne pas le faire, c’est se rendre complice de la violation de la loi.
Enfin, pour n’avoir pas déclaré leurs biens, Faure Gnassingbé, Victoire Tomégah-Dogbé, Payadowa Boukpessi, Kanka Malick Natchaba, Christian Trimuan et les omniscients Majesté Ihou Wateba, Komla Dodzi Kokoroko – pour ne citer que ceux-là – exercent en parfaite violation des textes. Aux termes de l’article 19 nouveau, le défaut de présentation de la déclaration de patrimoine est puni d’une peine d’amende pouvant atteindre 5 millions de francs CFA. Cette violation est aussi suivie d’une condamnation entrainant « renoncement ou démission d’office de la fonction ou du mandat pour lesquels la déclaration est requise ».
Malheureusement, ceux qui doivent les rappeler à l’ordre se refusent de le faire, histoire de ne pas mécontenter qui on sait ? Bienvenue dans la gouvernance autrement !
G.A.
Source : Liberté / libertetogo.info