Par quelles curieuses manipulations les griots obséquieux et serviles entraînent-ils un dirigeant parvenu au pouvoir par des voies démocratiques à se persuader peu à peu d’être à ce point indispensable à son peuple qu’il finit par se vautrer dans le piège sans fin du troisième mandat ?
RFI : Avec l’invalidation, ce 23 septembre, du décret présidentiel instituant un comité de rédaction d’une nouvelle Constitution, la Cour constitutionnelle a mis un coup d’arrêt au projet de troisième mandat que tous prêtaient au président Faustin-Archange Touadéra. Ses partisans sont évidemment en colère. Mais, n’est-ce pas tout de même une victoire pour la démocratie centrafricaine ?
Mieux qu’un simple coup d’arrêt à un inavouable troisième mandat, cette décision est un acte de courage et de dignité, dont on aimerait tant voir d’autres magistrats, d’autres institutions, s’inspirer, à travers le continent. La justice – une bonne justice – est le rempart ultime contre l’arbitraire, dans une Afrique où la couardise de trop nombreux magistrats explique nombre de crises graves, parfois meurtrières, sans compter les retards et les régressions qui ont assombri l’histoire de nombreux pays, depuis les indépendances.
À ceux qui, dehors, braillaient leur hostilité à cette décision, l’on pourrait, à l’instar du président John Kennedy, rétorquer que dans un État basé sur le droit, personne, quelle que soit sa puissance ou son importance, ni aucun groupe, aussi surexcité et bruyant soit-il, n’est en droit de défier le jugement d’une cour.
Kennedy, en octobre 1962, faisait escorter James Meredith, étudiant noir, à l’université du Mississipi, jusqu’alors réservée aux Blancs. Les juges constitutionnels centrafricains, ici, imposent la Constitution, que l’on peut désapprouver, mais pas bafouer.
N’est-ce pas un peu exagéré de prêter à ces magistrats une telle importance ?
Non, au contraire. Lorsque les dirigeants politiques en viennent à considérer que plus aucune limite ne s’impose à eux, et que le prince s’estime au-dessus de ce sentiment que l’on appelle le doute, seule une justice courageuse peut le ramener aux valeurs essentielles qui fondent une nation. Y compris en lui opposant la loi, la loi fondamentale. Surtout en Afrique, où démocratie devrait rimer avec développement.
Et si une certaine Afrique va si mal, aujourd’hui, c’est aussi parce que des magistrats lâches et corrompus ont manqué de courage, se sont mis systématiquement au service de chaque pouvoir en place, devançant souvent ses moindres désirs, pour s’ériger en fossoyeurs de l’état de droit et de la démocratie.
Avec, en plus, la certitude de ne jamais avoir à rendre des comptes. La présidente Danielle Darlan et ses pairs, juges constitutionnels, entrent dans l’Histoire, et le temps viendra où le peuple centrafricain leur en saura gré.
Comment se fait-il que certains chefs d’État se laisse-t-il entraîner dans l’aventure d’un troisième mandat ?
C’est généralement bien orchestré, mais souvent sans grande originalité. On dénombre, dans l’entourage de chaque chef d’État, des thuriféraires, dont quelques-uns, plutôt serviles, avec une certaine propension à vouloir, pour leur leader, la vie éternelle, de préférence au pouvoir. En général, ce n’est ni pour le pays ni pour le président, mais pour eux-mêmes. C’est ici qu’interviennent la médiocrité et l’égoïsme.
Tel porteur d’encensoir, conscient de ne jamais pouvoir conquérir par le mérite le poste qu’il occupe, se dit que le meilleur moyen de le garder est que jamais le président ne s’en aille. L’intrigue, alors, se substitue à la compétence, et peut même finir par prendre le pouvoir dans le cabinet présidentiel. Ceux-là sont fréquemment prêts au pire zèle, pour un troisième mandat et même davantage, toujours par calcul personnel.
Il se trouve, parfois, qu’un dirigeant finisse par se laisser griser par ces flatteries de griots obséquieux et serviles, au point de se vautrer dans la certitude d’être indispensable, à vie, à son peuple.
Jean-Baptiste Placca/RFI