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Cité au Quotidien: Existe-t-il une Solution pour l’Afrique ?

Le 12 octobre 2022, Kako NUBUKPO a publié un livre dont le titre est : Une solution pour l’Afrique : du néoprotectionnisme aux biens communs. Il y a eu un grand battage médiatique autour de cet ouvrage, avec des interviews sur plusieurs médias, des annonces répétées, etc. On pourrait dire que cette médiatisation provient de la notoriété de l’auteur, un homme politique, un économiste de renom, qui s’est beaucoup fait entendre à propos de la question du franc CFA, mais il faut aussi remarquer que le titre de l’ouvrage ne pouvait qu’attirer l’attention de tous ceux qui sont concernés par le devenir de l’Afrique, humiliée et surtout étranglée comme l’affirme Aminata TRAORE.

Proposer, en effet, une solution pour ce continent, qui tourne sans fin dans les affres du sous-développement, de la mauvaise gouvernance, de l’instabilité ponctuée de coups d’états, d’attaques terroristes, de conflits fratricides etc., n’est-ce pas ce que tous attendent ?

Il est donc à parier que beaucoup se pencheront sur la solution de Kako NUBUKPO pour la décortiquer et l’examiner sous tous ses aspects, pour la critiquer, la contester ou pour lui apporter un soutien sans faille. Et surtout lorsque, l’auteur dans un entretien publié dans Le Point Afrique le 20 octobre 2022, affirme que « l’une des solutions qui me semble évidente pour l’Afrique, c’est le néoprotectionnisme », on se rend compte, avec le substantif en “…isme”, qu’il s’agit de théorie économique, alors on peut attendre des débats sans fin, peut-être des rencontres scientifiques pour savoir si le néoprotectionnisme à lui tout seul serait la solution ou bien s’il est un élément d’un ensemble qui dépasse une simple vision économique.

Pour notre part, nous n’allons pas initier ce débat maintenant, mais nous allons nous poser une autre question qui nous semble essentielle : existe-t-il une solution avec un seul élément pour l’Afrique ? Entendons-nous bien, nous ne contestons pas la démarche qui consiste à poser des diagnostics et des propositions en réponse à ces diagnostics, notre interrogation est celle-ci : existerait-il une et une seule solution valable pour tout un continent ?

« …Au début de l’ajustement structurel en 1980 la Banque mondiale a demandé aux États africains de mettre fin aux politiques d’autosuffisance alimentaire pour aller vers ce qu’elle a appelé la sécurité alimentaire. Le discours a consisté à dire aux pays qu’ils n’avaient pas besoin de produire ce qu’ils consommaient, car s’ils exportaient suffisamment de matières premières ils auraient des devises pour importer leurs biens alimentaires. Ce n’est qu’en 2008, au moment de la grave crise alimentaire mondiale, que la Banque mondiale a fait son mea culpa. Elle a changé son discours, et prône désormais la souveraineté agricole et alimentaire. »

Ce reproche que Kako NUBUKPO fait à l’endroit de la Banque Mondiale, ne va-t-il pas dans le sens de ce que nous disons ? En effet y aurait-il eu le désastre des crises alimentaires en Afrique, si on n’avait pas voulu pratiquement imposer une seule et même solution aux dirigeants africains, certes à travers les conditionnalités aux prêts, mais aussi grâce aux affirmations des économistes, que Kako NUBUKPO range dans un nouveau mot en “…isme”, le néo-libéralisme? Dans son livre « L’urgence africaine. Changeons le modèle de croissance » l’auteur fustige déjà « l’instrumentalisation de l’Afrique comme laboratoire du néolibéralisme avec la complicité de ses propres élites » et face à la dérive et à la désillusion de cette théorie (cf. La grande désillusion de Joseph STIGLITZ), il propose le néoprotectionnisme.

La solution serait-elle d’abord économique ? La dictature de l’économie ne se déploie-t-elle pas quand elle se pose comme l’unique solution au lieu d’être un élément d’une vision plus grande qui implique toutes les dimensions de l’être humain ?

Tout ceci pose de nouveau la question des modèles économiques proposés non seulement à l’Afrique mais au monde entier : de la croissance au développement intégral, du développement humain au développement durable, rien n’a pu aider l’Afrique à sortir du sous-développement, comme le modèle de l’émergence n’a pas, du tout, réglé les difficultés du continent. En fait, s’il est vrai que l’Afrique doit changer de paradigme, comme le déclare Kako NUBUKPO, ce n’est pas de modèle économique d’abord. Ce n’est pas passer du néolibéralisme au néoprotectionnisme en l’occurrence que l’Afrique a premièrement besoin, mais c’est d’abord un paradigme fondamental qui bouscule un autre qu’il nous faut abandonner.

Et le premier paradigme à abandonner est celui qui soutient que la science économique devrait constituer un catalogue de solutions concrètes, de recettes, pour les choix de gouvernance. En effet, une science qui n’aurait que cette ambition abandonnerait sa démarche fondamentale et fondatrice. Car la science se sert d’un certain nombre d’outils d’abord pour décrire et poser les problèmes en prenant distance et hauteur par rapport au réel et à l’actuel ; à partir de cela elle propose un cadre de conceptualisation qui permet d’extraire des pistes de résolutions, qui demandent elles-mêmes à être expérimentées si les conditions (définies scientifiquement) s’y prêtent, avant que les diagnostics et les traitements se constituent en théories. C’est pourquoi, le praticien, l’économiste par exemple, peut croire en telle ou telle théorie (conceptualisation de problèmes et de solutions) mais ne trouvera jamais une solution toute faite, totalement adaptée à un ensemble de réalités, dans telle ou telle théorie.

Le second paradigme à abandonner est celui de la réponse unique. Il est urgent de l’abandonner car il constitue un péril pour la vie en commun. En effet une observation de la vie politique du 20 ème siècle montre l’importance accordée à cette conviction, exprimée de la façon suivante : « voici la solution, elle est valable pour tous ». Il en est résulté des bipolarisations qui ont inhibé toute avancée sociale. Ainsi après le nazisme, on assiste au développement du stalinisme avec le goulag, mais surtout de l’anticommunisme et du maccarthysme dont on connait les dérives.

Le monde entier est alors entré dans la guerre froide, que l’Occident a intelligemment exporté hors de chez lui, et dont l’Afrique a tant souffert, comme en Angola par exemple. Et aujourd’hui, on veut encore obliger les Africains à s’aligner derrière les déclarations occidentales à propos du conflit russo-ukrainien.

Pour aller plus loin, la mondialisation tant vantée dans les années 1990 ne correspond-elle pas à une solution unique sur la base du modèle néolibéral ? Où cela a-t-il mené l’Afrique où on meurt de faim et où on subit les effets délétères de la mondialisation et du dérèglement climatique ? (Cf. L’Afrique au secours de l’Occident d’Anne-Cécile ROBERT) Et nous nous confierions maintenant au néoprotectionnisme, comme voie de salut ?

Et justement ce mot de salut met le doigt sur une des conséquences les plus négatives du paradigme de la solution unique. Cette conséquence intervient lorsque le paradigme s’énonce de la manière suivante : « Je (ou telle personne) possède la solution pour résoudre tel ou tel problème ». Cette formulation est source de tous les totalitarismes et de la montée en puissance des “hommes providentiels”.

S’il en est ainsi, comment laisser la place à la diversité des solutions ? C’est évident, il faut encourager le débat, entre spécialistes, mais surtout le débat général qui pose la question de la conception du monde (vision) dans laquelle on s’inscrit. Pourquoi ? Parce qu’en tout domaine, se posent des interrogations qui demandent la participation de tous au débat d’idées qui précède le choix des solutions pratiques. Par exemple, comment répondre à ce questionnement de Kako NUBUKPO : « il faut savoir ce qu’on veut faire en termes de politique agricole. Est-ce que, comme l’Union européenne, nous voulons stabiliser les prix ou plutôt, comme les Américains, stabiliser les revenus des producteurs avec le système de découplage qui consiste à laisser les prix fluctuer au rythme de l’offre et de la demande tout en fournissant des revenus aux producteurs ? Le désarmement tarifaire nous a déjà fait tant de mal, nous avons été envahis par le textile chinois, le poulet français, le lait en poudre néerlandais, etc. Il faut qu’il y ait une cohérence entre les objectifs de la politique agricole et ceux de la politique commerciale et donc entre l’impératif d’accroître la production et la nécessité de préserver nos écosystèmes. »

Tout cela ne montre-t-il pas, en définitive, qu’il n’existe pas une et une seule solution, si elle n’est précédée par une réflexion politique qui précise les finalités et indique les orientations ?

En prenant appui sur « Pour une économique du bonheur partagé » de KÄ MANA, on peut constater aisément que l’économie qui ne s’inscrit pas dans une vision plus grande, et qui ne comprend pas qu’elle doit être au service de notre être politique, notre donnée première, ne peut pas être source du bonheur pour l’humain partout où il se manifeste. Car elle risque d’être uniquement au service de quelques-uns dans la recherche effrénée du profit. Trouver une économie qui permet de tenir ensemble, de façon juste et épanouissante dans les différentes communautés (étatique, sous-régionale, continentale et mondiale) oblige à un changement de paradigme et non à un changement de dispositif.

Maryse Quashie et Roger Ekoué Folikoué
[email protected]
Lomé, le 28 Octobre 2022

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