CITÉ AU QUOTIDIEN : QUELLE PLACE POUR LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE DANS LE PROCESSUS DE DEVELOPPEMENT EN AFRIQUE ?

Par Maryse QUASHIE et Roger Ekoué FOLIKOUE

« Quelles recherche scientifique et innovation dans les universités et centres de recherche africains pour l’atteinte de l’ODD 9 ? » tel est le thème des 19èmes journées scientifiques qui, du 17 au 21 octobre 2022, ont réuni à l’Université de Lomé (Togo) des enseignants chercheurs et des chercheurs de 14 pays d’Afrique (Bénin, Burkina Faso, Burundi, Cameroun, Congo, Côte d’Ivoire, Mali, Niger, Nigéria, République Démocratique du Congo, Sénégal, Tchad, Togo) et d’Europe (France).

 L’Afrique doit peser dans la recherche au plan mondial, telle a été l’une des phrases essentielles de la cérémonie d’ouverture qui a permis de justifier le choix du thème. On ne peut qu’applaudir quand on entend une telle affirmation car, elle exprime une ambition légitime.

S’il est vrai que l’ambition traduit une projection dans le temps et donc une aspiration, sa seule expression ne constitue pas, cependant, une condition suffisante pour sa réalisation. Et c’est à ce niveau que la question incontournable, si l’on veut tenir un langage de vérité nécessaire à tout chercheur, est de se demander si les pays africains se donnent réellement les moyens pour une telle ambition ou bien si la grande messe scientifique, qui va de pays en pays, n’est, en réalité, qu’un rendez-vous du constat d’absence des conditions de possibilité et de réalisation de l’ambition affichée en lien avec le contenu du Numéro 9 des Objectifs du Développement Durable.

Au fait, que dit ce numéro 9 des ODD ? Il est ainsi formulé : « Mettre en place une
infrastructure résiliente, promouvoir une industrialisation durable qui profite à tous et
encourager l’innovation ». Nous trouvons là des éléments essentiels, en particulier
l’innovation et l’industrialisation, aptes à servir de lieu de questionnement de l’ambition en vue de mieux appréhender les conditions de sa réalisation.
Pour que l’Afrique pèse dans le monde au 21ème siècle peut-elle se passer de créativité et d’inventivité ? En ce premier lieu qui renvoie à l’innovation, il est incontestable que la recherche a toute sa place et son importance. Mais que constatons-nous ?
Une situation récente peut nous servir de boussole. Depuis décembre 2019, le monde entier est frappé par une pandémie, le COVID-19. Personne ne peut nier son existence et ses dégâts. Partout on a constaté le travail de grands laboratoires et l’implication des chercheurs pour trouver un vaccin ou des solutions contre ce virus.

Sur ce point, non seulement l’Afrique n’était pas au rendez-vous avec une proposition mais, plus encore, elle ne s’est pas donné, jusqu’à présent, les moyens pour expliquer la résistance des Africains à un virus qui, pourtant, aurait dû décimer sa population dans une très grande proportion, par rapport aux autres continents. En plus, et c’est ce qui est le plus décevant, aucun centre ou aucune structure de recherche, sur le continent, n’a été capable, ni d’analyser les différents produits proposés par les Africains, ni de prolonger la recherche à partir des données collectées dans les différentes commissions ad hoc créées.
Que sont devenues ces commissions ? A quelles conclusions ont-elles abouti ? Ont-elles trouvé des pistes intéressantes ? Leur silence est-il le fruit d’une absence de résultats ou de la peur de déranger de grands lobbies ? Mais surtout, ont-elles eu les moyens nécessaires, indispensables à la mesure de leur mission ? En effet, l’innovation exige des compétences mais elle présuppose également un cadre adéquat favorisant la mise en œuvre et en action des compétences. C’est à ce niveau qu’elle requiert des investissements financiers et matériels, constituant l’attestation d’une volonté politique efficiente et désireuse d’apporter quelque chose à un pays, à un continent et à l’humanité.
Bref, au regard de ce qui a été vécu au cours de la crise sanitaire et de ce qui est observable dans les pays africains, peut-on dire que l’innovation est une priorité pour les pays du continent ? La réponse serait difficilement positive car ni les pays, ni les structures régionales comme la CEDEAO, ni les structures continentales comme l’Union Africaine, n’ont presque rien d’envergure dans leur agenda et qui exprime l’ambition d’innover. Au contraire tout porte à croire que nous sommes en situation d’éternels consommateurs malgré les nombreuses structures de recherches des universités africaines.

Et même, ces structures à qui on demande de trouver et de ne plus chercher uniquement sont-elles pour autant équipées ? Peut-on innover sans une véritable politique pour la recherche et non de simples effets d’annonce qui, dans le fond, consistent à donner des miettes à la recherche tout en attendant des résultats ? Une politique pour la recherche et non une politique politicienne dans la recherche ne serait-elle pas la condition sine qua non pour innover ? Ainsi, « est-il normal, se demandait KÄ MANA, qu’un continent qui a pour tâche de bâtir solidement sa destinée dans le monde contemporain se trouve entièrement dépendant de la recherche fondamentale des autres ? Est-il admissible que nos budgets de la
recherche scientifique soient si maigres, sinon inexistants ?»
Dans les pays africains où les besoins sont immenses en matière de développement, l’institution universitaire peut-elle être la seule ouverture, le seul cadre de formation après le secondaire ? L’absence de structures éducatives diversifiées et performantes peutelle être un signe d’ambition pour un développement par l’innovation mais aussi par l’industrialisation ?
En effet, pour ce qui est de l’industrialisation, le diagnostic est encore plus grave. Car
comment comprendre qu’un continent qui a d’immenses richesses dans son sous-sol ne soit championne que dans l’exportation des matières premières, sans industries locales de transformation aptes à lui donner une certaine autonomie économique et politique, et au moins l’autosuffisance alimentaire ?
Comment expliquer que la seule fierté pour un continent consiste à continuer d’appliquer les politiques de la Banque Mondiale qui ne l’encouragent qu’à exporter ? Le choix de l’absence d’industries de transformation, obligeant, presque, à tout importer, est-il à la mesure de l’ambition de l’Afrique qui veut peser dans le monde du 21ème siècle ?

La politique du “consommer local” sans croissance du “produire local”, peut-elle être le chemin de l’ambition d’un grand continent ? Comment lutter contre l’émigration, la fuite des cerveaux sans l’édification d’industries en plusieurs domaines, favorisant par là-même la création d’emploi, et surtout l’embauche des jeunes dans des pays où ceux-ci ne rêvent que d’un ailleurs source de bonheur ? Et c’est cette même industrialisation qui permettra à l’Afrique de développer des structures éducatives, des pôles d’excellence, au lieu d’en être réduite, pour financer la recherche, à la course aux aides extérieures, parfois et malheureusement détournées.
Comment valoriser nos cultures, notre patrimoine, notre vision du monde en l’absence d’industries culturelles ? « Pourquoi nos revendications d’identité culturelle et de personnalité africaine propre n’aboutissent-elles pas à une culture de créativité et de novation alors que tous nos efforts semblent consister à vouloir assumer, clairement et puissamment, notre pouvoir d’initiative historique ? » (KÄ MANA).
Sur notre continent, qui veut assumer son histoire et ne plus la subir malgré les moments qui nous ont dénié toute humanité et ont voulu étouffer en nous toute imagination féconde et créatrice, a-t-on pris le temps de faire de notre résilience une source d’énergie plus puissante que la bombe nucléaire parce que l’être humain est et demeure le capital indispensable pour tout développement ?
Cependant, fondamentalement, pour que les événements scientifiques ne soient pas
partout en Afrique une sorte de grande messe sans lendemain, la condition préalable pour une véritable recherche au service du développement, est un environnement donnant à chacun de jouir de sa liberté d’expression et favorisant l’esprit critique, c’est-à-dire admettant une pensée capable de bousculer les évidences et les acquis antérieurs.
Le plus important, enfin, c’est que ce continent sache que le développement se pense
d’abord avant d’être une affaire technologique. L’Afrique a donc besoin non seulement de techniciens et d’ingénieurs, mais d’abord de penseurs du développement en lien avec la recherche.

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Lomé, le 21 Octobre 2022

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