«Notre liberté dépend de la liberté de la presse, et elle ne saurait être limitée sans être perdue. » Thomas Jefferson
C´est une tradition que les fins d´année soient devenues le moment de passer en revue l´année qui s´écoule pour faire le bilan et se projeter sur l´avenir. Et le bilan qui nous intéresse ici est celui de l´organisation non gouvernementale «Reporters Sans Frontières» qui défend et veille sur la liberté de la presse à travers le monde. Un bilan publié par l´hebdomadaire allemand «Der Spiegel» dans sa version online, que nous avons lu et résumé.
Beaucoup de régimes politiques sont de plus en plus sans pitié contre les journalistes. Selon le bilan annuel publié par l´organisation non gouvernementale «Reporters Sans Frontières» (RSF), au moins 533 journalistes seraient en prison dans le monde entier à la date du 1er décembre 2022 pour avoir fait leur travail. D´après le bilan de RSF un quart des incarcérés auraient été embastillés dans le courant de l´année qui se termine; et la moitié d´entre eux croupirait dans seulement cinq (5) pays: Chine, Myanmar, Iran, Vietnam et Biélorussie. La plus grande hécatombe de la liberté de la presse à travers le monde se situerait en Chine. „Reporters Sans Frontières“ estime qu´en Russie aussi l´état n´y va pas de main morte contre la presse. Tous les journalistes qui sont restés dans le pays après le début de la guerre contre l´Ukraine sont contraints de travailler clandestinement au risque d´être victimes des mesures de répression draconniennes prises par le gouvernement. Pour la diffusion, par exemple, de «fausses informations» sur l´armée russe, il est prévu une condamnation à la prison pouvant aller jusqu´à 15 ans.
Déjà l´année dernière, le nombre d´incarcérés à travers le monde qui était de 470 avait connu une augmentation de 20%. Cette année, avec 533 journalistes qui croupissent, donc une augmentation de 13,4%, on relève une légère baisse. Mais l´ONG „RSF“ tient à préciser que la tendance malheureusement est que les régimes autoritaires n´hésitent pas à emprisonner les journalistes qui dérangent sans autre forme de procès.
L´autre tendance inquiétante, selon le rapport de «Reporters Sans Frontières», est l´augmentation du nombre des faiseurs et faiseuses de médias tués pendant qu´ils faisaient leur travail. Le macabre bilan est de 57 tués en 2022; il était de 48 l´année passée. Deux années durant, auparavant, le nombre de journalistes tués au cours de leur travail, avait totalement baissé. Une des raisons de cette augmentation est la guerre de la Russie contre l´Ukraine. Depuis le début de ce conflit 8 journalistes y ont déjà trouvé la mort, l´Ukraine devenant ainsi le deuxième pays au monde le plus dangereux pour les faiseurs de presse. La mort, par exemple du photographe de guerre ukrainen, Maks Levin, avait soulevé une grande émotion sur le plan international. Maks Levin était un photographe documentariste qui travaillait pour les médias ukrainiens et pour beaucoup de médias occidentaux de renom, comme Reuters, BBC, Der Spiegel…Parti pour documenter les stigmates de la guerre, il avait disparu des écrans radar depuis le 13 mars 2022 et vendredi le 2 avril son corps sans vie fut retrouvé.
«Reporters Sans Frontières» précise cependant que 65% des journalistes tués, l´ont été en dehors des régions en guerre. L´ONG luttant pour la liberté de la presse insiste sur le fait que si ce pourcentage est si élevé, ce serait à cause de la levée des mesures-barrières dues au coronavirus, qui avait favorisé le retour de beaucoup de reporters sur le terrain pour faire leurs recherches. Le Mexique passe pour être le pays le plus dangereux où 11 journalistes furent tués; et le double-continent américain dans son ensemble était la région du monde où presque la moitié des reporters tués y laissèrent leur vie.
Ce bilan établi par «Reporters Sans Frontières» est à saluer, mais nous craignons malheureusement qu´il ne soit pas exhaustif. Aucun pays africain n´est cité; pourtant dans le domaine des menaces contre la liberté de la presse et de persécution des journalistes, le continent noir est très loin d´être un fleuve tranquille. Il existe beaucoup d´autres formes d´acharnement et de persécution de journalistes ça et là sur notre continent, sous des régimes autoritaires, sans forcément passer par la case prison. L´exemple de notre pays le Togo est plus qu´illustratif dans le domaine des dangers qui guettent la presse surtout privée et critique. Le dernier exemple de l´acharnement du régime togolais sur les journalistes qui dérangent est sans nul doute le cas du quotidien «Liberté». Il y a quelques mois ce quotidien avait par erreur informé qu´un citoyen aurait été tué lors du convoi du premier ministre sur la route de Tabligbo en quittant Gati. Information que le journal avait rectifiée par la suite. Mais la cheffe du gouvernement togolais avait porté plainte contre «Liberté», condamné en première instance à payer une amende de 12 millions de francs CFA et à 3 mois de suspension. Ce qui s´apparente à tuer une mouche avec un canon. Aucun journal au Togo, qui plus est un organe privé, ne peut disposer d’une telle somme. La PM, manifestement, veut contraindre le journal à mettre la clé sous le paillasson. Entre-temps, le 8 décembre 2022 dernier, le procès en appel a eu lieu à la Cour d’appel de Lomé. Le procureur général près la Cour a requis une peine de 7 millions de FCFA. Le délibéré est attendu pour le 12 janvier 2023.
On nous parle de démocratie; on crie sur tous les toits qu´on est un pays de paix qu´on prétend même exporter chez les autres sous forme de médiation; alors que quotidiennement tout est fait pour tuer la presse libre qui critique et fait des propositions pour que les choses changent positivement. Et quand la justice, qui devrait être le refuge du pauvre, de la veuve et de l´orphelin, accepte de jouer le jeu en se laissant manipuler, on peut se poser des questions.
Bibliographie: Der Spiegel (hebdomadaire allemand, version online)
Samari Tchadjobo