« Une magie ordinaire ». Avec ce roman empreint de poésie, Kossi Efoui, écrivain togolais, ayant refait sa vie en France, rend hommage à sa mère, comme on le fait pour une héroïne discrète mais volontaire.
Voilà un roman qui sait sortir des sentiers battus. Un texte dont la trame romanesque assume un plaisant désordre, en se nourrissant d’un imaginaire poétique parfois déroutant.
Kossi Efoui est africain, togolais pour être précis, mais il revendique d’autant moins cette appartenance nationale qu’il la trouve originellement incongrue, trace d’un colonialisme qui, comme on le sait, n’a pas eu que des mérites. Toujours est-il qu’il vit en France, où il a construit une famille et où il compose une œuvre assez largement tournée vers le théâtre. C’est d’ailleurs lors du Festival d’Avignon qu’il reçoit un appel de son frère, lui annonçant l’hospitalisation de sa mère. Sans plus de précision sur son état. C’est cette information qui réveille soudain, chez lui, sa réserve de souvenirs.
« Je préfère que tu sois vivant loin de moi, même à jamais loin de moi, plutôt que mort ici, dans ce pays, dans mes bras ».
À commencer par ce que lui avait dit sa mère, il y a plusieurs décennies de cela, alors qu’il était menacé par le dictateur en place, lui pardonnant d’autant moins ses écrits qu’ils lui valaient un début de reconnaissance. « Va vivre ailleurs et ne reviens plus. Je préfère que tu sois vivant loin de moi, même à jamais loin de moi, plutôt que mort ici, dans ce pays, dans mes bras. » Et Kossi Efoui d’évoquer « ces mots déchirés par la peur et rapiécés par le courage ». Cette mère qui lui avait conseillé, lorsque l’envie d’écrire lui est venue, à peine adolescent : « Tu nommeras « mensonge » ce qui est mensonge ». Cette mère qui l’a mis au monde sur une plage, au hasard d’un exode imposé à leur famille.
Cette mère qui avait aussi assuré avec courage la survie du ménage après que son mari a été atteint par une maladie handicapante. Ce sont ces pans de mémoire que Kossi Efoui nous livre, un peu en désordre et en de courtes séquences, au fur et à mesure qu’ils lui reviennent. Pas au point de regretter son éloignement contraint. Il l’explique. « À chaque génération, disait mon père, il y a un rejeton qui part et va faire souche ailleurs ». Tout cela a cependant un prix, parfois rude à assumer.
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À la fin de son roman, il reçoit un autre appel de son frère qui lui apprend, cette fois, la mort de leur mère. Elle était atteinte du VIH, pour avoir été violée par des militaires. Ce que l’auteur ignorait et d’ailleurs ce qu’il n’était pas censé deviner. Car cette femme courage qui a tant compté pour lui et à juste raison, jamais ne se plaignait. L’âge venant, il constate même que sa ressemblance avec elle ne cesse de s’accentuer. Comme une manière d’affirmer leur proximité, surmontant les années et les distances. Ce roman lui est un bel hommage, comme un cri d’admiration et souvent poignant. Elle n’aura jamais pu le lire.
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