L’ultimatum donné, jusqu’au dimanche 6 août au soir, par la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest aux militaires pour libérer le président Bazoum et rétablir l’ordre constitutionnel au Niger, sous peine d’intervenir militairement, a vécu. Celui de l’Union africaine court encore jusqu’au dimanche 13 août prochain. Un semblant de répit pour le CNSP, dirigé par le général Abdourahmane Tiani, ancien commandant de la garde présidentielle, qui se dit prêt à une “riposte immédiate” à “toute agression”.
Nous nous garderons de disserter sur les raisons profondes qui ont abouti à la prise du pouvoir, le 26 juillet dernier, par le Comité national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP). Encore moins sur les responsabilités des uns et des autres dans la dégradation de la situation sécuritaire d’un pays jusque là à l’abri des drames vécus, au quotidien, dans certaines régions du Mali ou du Burkina Faso, avec les attaques récurrentes des groupes armés faisant de nombreuses victimes civiles et militaires.
Le règlement de la crise actuelle nécessite une bonne lecture, par les instances régionales (CEDEAO, UEMOA) ou internationales (UA, ONU), de la dynamique d’ensemble et des enjeux réels d’une escalade qui, s’y on n’y prend garde, risque de faire du Niger, une « nouvelle Libye », comme le craint le général Salifou Mody, ancien chef d’État-major des armées (CEMA) et récemment promu vice-président du CNSP. Avec des officiers expérimentés comme les généraux Mohamed Toumba et Moussa Salaou Barmou, nouveau CEMA, ou encore le général de division Abdou Sidikou Issa, il sera difficile pour la CEDEAO d’imposer sa force pour parvenir à ses fins.
D’autre part, le soutien de deux pays voisins est acquis au CNSP ; le Burkina Faso et le Mali ont, en effet, exprimé leur solidarité au Niger, pays avec lequel ils sont liés par l’histoire et la géographie, mais aussi et surtout par leur commun au sein du G5 Sahel, devenu, hélas, moribond, aux côtés de la Mauritanie et du Tchad. Leurs frères d’armes au pouvoir à Bamako et Ouagadougou considèrent que toute intervention armée au Niger serait considérée comme une “déclaration de guerre” à leur encontre.
Lors de leur réunion tenue à Abuja, les chefs d’État-major des armées avaient défini les contours d’une éventuelle intervention. Soutenue sans réserve par la France, dont 1.500 soldats sont déployés au Niger, la CEDEAO estime être en mesure de mener l’opération « Restore Bazoum » avec succès. Toutefois, la réalité du terrain reste la grande équation à résoudre en cas de déploiement d’une force d’intervention dans un territoire souverain et immense (plus de 1,2 million de km2).
Un scénario très différent des précédentes opérations conduites en 1990 au Libéria, en 1997 en Sierra Leone, en 1998 puis en 2012 en Guinée Bissau, en 2004 en Côte d’Ivoire, ou plus récemment en 2017 en Gambie. Les bataillons envoyés sur place constituaient généralement des forces d’interposition chargées de séparer des belligérants. Avec des fortunes diverses, des fiascos parfois comme l’arrestation, dans les locaux même de l’ECOMOG à Monrovia, le 9 septembre 1990, du président libérien Samuel Doe, et son exécution par le chef rebelle Prince Johnson et ses hommes de l’INPLF.
Annoncée avec fanfare, l’intervention de la force régionale paraît risquée pour plusieurs raisons. Certains observateurs dénoncent le « deux poids deux mesures » de la CEDEAO qui n’avait pas déployé autant d’énergie pour faire revenir au pouvoir le président guinéen Alpha Condé dans les mêmes conditions que le nigérien Bazoum, aujourd’hui. A l’égard de la France dont plusieurs relais ont vanté les mérites d’un engagement militaire de la CEDEAO, il est reproché un soutien manifeste au Conseil militaire de transition (CMT) dirigé par le président Mahamat Idriss Deby Itno, au lendemain du décès tragique du maréchal Déby. Il est vrai que Ndjamena, base de repli de l’opération Barkhane, constitue pour les Français un enjeu important au double plan géopolitique et géostratégique, face à la progression de la Russie et de la Chine sur le continent africain.
Autre obstacle à la mise en œuvre de l’opération, les réticences manifestées au niveau du Sénat nigérian qui prennent le contre-pied des déclarations officielles de fermeté, notamment du chef d’État-major Christopher Musa, au moment où le chef de l’État fédéral et actuel président en exercice de la CEDEAO, Bola Tinubu, plus réaliste, plaide pour le recours à l’option politique et diplomatique. Sans oublier les réserves émises par l’Algérie, un pays incontournable dans la résolution des problèmes du Sahel, voisin du Niger et de la Libye dont les séquelles de l’intervention occidentale laissent encore un mauvais souvenir. Pour le président algérien Abdelmadjid Tebboune, aucune solution ne peut être trouvée sans son pays et qu’une intervention militaire au Niger serait “une menace directe” pour son pays. Un embrasement du Sahel fait craindre la perspective d’un bis repetita du chaos libyen qui a été à l’origine de l’expansion du terrorisme au Sahel et en Afrique de l’Ouest.
En 2011, un certain Bernard-Henry Levy, philosophe français, avait joué un rôle majeur dans la décision du gouvernement français d’intervenir en Libye pour se débarrasser du colonel Mouammar Kadhafi. Le 4 août dernier, Bernard Kouchner, ancien ministre français des Affaires étrangères et promoteur du fameux droit d’ingérence humanitaire, jette le masque. « S’il y avait une opération de la CEDEAO, elle devrait être appuyée par la France ! », prévient le fondateur de Médecins sans frontières.
Avec ou sans l’implication de puissances extérieures, une intervention militaire de la CEDEAO va entrainer une détérioration de la situation sécuritaire dans le pays, et au delà dans le Sahel. Rééditer le fiasco libyen serait suicidaire et lourd de dangers à venir en menant une guerre perdue d’avance au Niger, comme dans toute la zone du Sahel, où les groupes terroristes piaffent d’impatience pour en découdre avec des armées désormais prises entre deux feux. Comment la CEDEAO envisage-t-elle le déploiement de troupes dans un environnement aussi hostile, avec le soutien manifesté, à l’égard du CNSP, par de larges segments de la population, à travers des rassemblements et des appels à la mobilisation générale ?
Au moment où, selon l’ONU, le Niger est classé 189 sur 191 sur le classement de l’Indice de développement humain (IDH) 2021, et que 17% de la population aura besoin, cette année, d’une assistance humanitaire, les priorités sont ailleurs. Il ne fait aucun doute que, de par sa position géographique privilégiée au cœur du Sahel et ses ressources minières (uranium, or, pétrole) abondantes, le Niger fait l’objet de convoitises et devient un terrain d’affrontement pour les grandes puissances (États-Unis, Union européenne, Russie). D’où le risque d’une guerre par procuration. La CEDEAO saura-t-elle mettre en œuvre son propre agenda et pour quels résultats ? Rien n’est moins sûr.
Karim DIAKHATÉ
Directeur de Publication du magazine LE PANAFRICAIN
Coordonnateur de la Rédaction du magazine AFRIQUE DÉMOCRATIE