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S’opposer au Togo, « contre » quoi et « pour » quoi :  Pour une mutation des oppositions togolaises (2ème partie)

« S’opposer n’est autre que proposer. Une opposition sans proposition n’est qu’un mouvement d’humeur. » Robert Sabatier, Artiste, écrivain, Poète (1923 – 2012).

[Réserves et limites : L’auteur tient à réaffirmer qu’il n’a pas la science infuse de la politique togolaise ; la présente analyse doit être lue uniquement sous l’angle d’une réflexion sur l’état et les perspectives de l’opposition togolaise].

Depuis quelque temps circule sur Gofundme, la plateforme de financement participatif (crowdfunding), un appel aux dons relayé sur les réseaux sociaux concernant le financement d’une démarche particulière envisagée par des acteurs de l’opposition togolaise. Cette démarche viserait à entreprendre une tournée auprès de certains gouvernements favorables à un changement politique au Togo et certains acteurs influents sur le plan mondial afin d’obtenir les appuis nécessaires à l’aboutissement de la lutte entamée par le peuple togolais pour le changement de son destin, notamment à travers la fin du régime militaire qui régente le Togo depuis le coup d’état de janvier 1963.

Montant demandé sur Gofundme : 250.000 dollars américains. Montant reçu : moins d’un pourcent à ce jour. Quoique cette approche soit à féliciter, elle se situe malheureusement dans la droite ligne des schémas établis, des schémas qui perpétuent l’image des opposants togolais comme des grands garçons incapables de faire quelque chose sans le concours d’acteurs externes, comme des individus incapables de se réinventer et de s’engager dans une nécessaire mutation. 

Dans la première partie de cette réflexion sur la nécessaire mutation des oppositions togolaises, j’avais appelé les opposants togolais à sortir de leur silence, de leur timidité vis-à-vis du système françafricain en affichant ouvertement leur solidarité avec, et leur soutien au mouvement souverainiste africain. Deux groupes de lecteurs ont critiqué mon appel aux opposants togolais : d’une part les relais des opposants, les talibans comme on les appelait autrefois, qui trouvent qu’il n’y a rien à redire sur tout ce que font leurs maitres à penser, et qu’il ne faut surtout pas pousser ces derniers à adopter des positions qui vont fâcher la FranceAfrique dont ils espèrent (encore) quelque chose de bien. D’autre part, il y a les affidés du régime qui ont critiqué cet appel à l’engagement des opposants togolais dans le mouvement souverainiste africain, car cela risque de créer de la concurrence pour leur employeur, le régime militaire togolais, dans sa campagne de charme pour adoucir son image de prédateur des libertés ; en effet, le régime militaire togolais a embrassé la cause souverainiste africaine avec un si grand entrain que Kwame Nkrumah et Sékou Touré feraient office de débutants.

Dans la présente réflexion, je voudrais revenir sur l’objectif poursuivi par « l’opposition » politique des années 90, aujourd’hui éclatée en « les oppositions ». Comme nous le savons, les partis politiques qui se revendiquent de l’opposition n’ont pas été créés pour s’opposer, mais plutôt pour conquérir et exercer le pouvoir. S’opposer n’est donc pas un objectif poursuivi par un parti d’opposition ; le parti s’oppose à la classe dirigeante – dans notre cas à un régime militaire – parce que c’est une stratégie de conquête de l’opinion populaire et par conséquent du pouvoir politique. Cela étant, en choisissant l’opposition comme stratégie de conquête du pouvoir, les opposants du Togo s’opposent-ils « contre » une situation donnée afin de prendre le pouvoir, ou bien s’opposent-ils « pour » quelque chose afin d’arriver au pouvoir ? La nuance est importante.

Sans être trop caricatural, on peut dire que les opposants togolais s’opposent CONTRE le régime militaire instauré par le clan Gnassingbé, de même qu’ils s’opposent POUR l’alternance politique redoutée par le clan Gnassingbé. Toutefois, le diable est dans le détail : entre l’opposition « contre » et l’opposition « pour » qu’est-ce qui draine le plus les ressources et les énergies au sein des oppositions togolaises ? Est-ce l’opposition aux agissements et au mode de gouvernance du clan Gnassingbé (le « contre ») ? Ou est-ce que les énergies des opposants sont généralement investies autour d’une vision alternative du destin du Togo (le « pour ») ?

À l’analyse de notre parcours politique depuis l’instauration du multipartisme en 1991, en termes d’énergies investies, les opposants togolais se sont beaucoup plus opposés « contre » la gestion du pouvoir par le clan Gnassingbé et les militaires plutôt qu’opposés « pour » quelque chose d’autre, notamment autour pour une alternative visible à la gestion catastrophique du pays par l’actuelle classe dirigeante.    

À supposer que la collecte de fonds sur Gofundme arrivait à mobiliser les fonds nécessaires et que les acteurs de l’opposition se lançaient dans leur démarche, leurs interlocuteurs internationaux leur poseront la question suivante : nous savons « contre quoi » vous vous opposez (les méfaits et la mal gouvernance du clan au pouvoir sont connus de ces interlocuteurs) ; quel est le « pour », l’alternative que nous devons soutenir ? Par cette question, les interlocuteurs ne demandent pas qu’on leur récite des chefs d’accusation, mais bien qu’on leur présente les contours de l’alternative ou la nouvelle vision que représentent les oppositions togolaises dans leur ensemble.

Cela étant, outre leur rapprochement avec le mouvement souverainiste africain, une autre voie de sortie pour les opposants du Togo, c’est d’inverser la tendance dans l’approche d’opposition, c’est-à-dire de faire de la construction d’une alternative, visible en tout lieu et en tout temps, le socle de l’acte d’opposition au Togo. Cela revient à accorder moins d’importance aux protestations, condamnations et dénonciations du régime militaire togolais, qui non seulement n’inscrit pas ses actes dans des repères éthiques, mais aussi se croit désormais assez fort pour ignorer royalement lesdites dénonciations et protestations. Cette mutation ne sera pas tâche facile, mais elle est nécessaire pour construire l’unité et la force de l’opposition.

A. Ben Yaya

New York, 29 janvier 2024

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