Fidèle à sa posture méprisante vis-à-vis du peuple togolais, le régime de Faure Gnassingbé n’en finit plus de surprendre. Acclamé à l’international, il représente pour bien des Togolais une chape de plomb. La libération de Salem Bazoum est la preuve, s’il en fallait une supplémentaire, que la politique propagandiste de Faure Gnassingbé a de beaux jours devant elles. De quoi faire suer à grosses gouttes des citoyens de plus en plus à l’étroit.
Enfer et damnation
C’est l’événement que personne ou presque n’avait vu venir en ce début d’année 2024. Si les paris avaient été lancés sur les surprises de courant janvier, la libération de Salem Bazoum aurait eu la plus grosse cote. Salem Bazoum, retenu prisonnier aux côtés de son Président déchu de père Mohamed Bazoum depuis le putsch du 26 juillet 2023, a été libéré le 8 janvier dernier. À l’origine de cet élargissement, il y a Robert Dussey, le ministre togolais des Affaires étrangères qu’on ne présente plus. Grâce à sa médiation, il a ainsi obtenu une liberté provisoire du juge d’instruction du tribunal militaire de Niamey.
Fini donc la vie de prisonnier qu’il menait dans le Palais présidentiel aux côtés de ses parents confiés aux soins de leur ancienne garde présidentielle. Direction, Lomé ! Le soir même où la libération eut lieu, Salem Bazoum a été mis dans l’avion du ministre togolais des affaires étrangères.
Un air de décrispation peut un peu souffler dans les relations entre le pouvoir treillis kaki de Niamey et la Communauté économiques des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) qui, à défaut d’obtenir la libération de tous les membres de la famille Bazoum détenus et le retour à l’ordre constitutionnel, peut se féliciter a minima de ce dénouement. Voilà un bel indicateur pouvant déboucher au fil du temps à ce que l’instance sous-régionale avait voulu au lendemain du coup d’Etat du 26 juillet 2023.
Ce qui surprend agréablement ici, c’est la célérité avec laquelle les négociations ont été menées entre la diplomatie, en la personne de Robert Dussey et le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) cornaqué par le Général Abdourahamane Tiani. Pour achever d’éblouir l’opinion, la diplomatie togolaise la joue modeste, se fendant dans la foulée d’un communiqué où l’on apprend les raisons humanitaires de cet acte. Faure Gnassingbé, a été désigné en décembre en qualité de médiateur entre la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et les autorités de transition nigérienne. La Conférence des chefs d’Etat de l’organisation, réunie dimanche 10 décembre à Abuja, avait alors décidé de mettre en place un Comité des Chefs d’État composé des dirigeants du Togo et de la Sierra Leone, ainsi que des représentants des dirigeants du Nigeria et du Bénin, « pour engager le dialogue avec le CNSP et les autres parties prenantes nigériennes ».
Une médiation au détriment des Togolais
Avec ce coup de poker couronné par un succès, Faure Gnassingbé et Robert Dussey n’ont fait que rappeler à ceux qui en doutent encore que leur force de frappe en fait de médiation dans la zone ouest africaine et même au-delà est intacte, sinon incontournable. Qu’aussi longtemps qu’il y aura des crises sociopolitiques ici et là, l’on ne saurait se passer de leur approche qui visiblement porte ses fruits.
Une approche qui porte ses fruits ? Soit. Mais ces bons Samaritains autoproclamés qui vont au secours des transitions politiques qui ont du plomb dans l’aile, ces généreuses âmes qui ont fait de la cause de la veuve et de l’orphelin la leur propre à l’international, peinent à jouer la même carte au pays qu’ils prétendent diriger. On en vient à se demander si cette libération en soi louable de Salem Bazoum devrait passer avant celle tout aussi attendue par tout un peuple assoiffé de changement de Monseigneur Philippe Kpodzro, archevêque de Lomé pendant une quinzaine d’années, décédé ce 9 janvier 2024 en Suède.
C’est en Suède que cet homme d’église, devenu soutien de l’opposition à sa retraite en 2007 et très critique du pouvoir des Faure Gnassingbé, s’est exilé après l’élection présidentielle de 2020. Faure Gnassingbé et sa clique mortifère ne lui ont pas pardonné son soutien à l’opposition. Entre peur de se faire tuer et envie de revenir sur la terre de ses aïeux, l’homme n’a cessé de clamer mordicus son appui à la Dynamique qui porte son nom et qui a fait de Agbéyomé Kodjo le vainqueur de la présidentielle de février 2020.
Le prélat avait semblé oublier qu’il pouvait payer de sa vie cette audace. Il l’a en effet payée de sa vie, lui qui, deux mois avant de passer l’arme à gauche affirmait : « Mes ennemis ont obtenu ce qu’ils veulent, que Dieu leur pardonne ! Quant à moi, j’offre ma vie pour le salut de tout le Togo ». Y a-t-il acte plus humain, en ce début d’année, que de faire table des griefs faits à cet homme et de la ramener au pays en guise de réconciliation entre pouvoir et opposition ? Lomé 2 a loupé une occasion en or qui aurait pu redorer son image écornée auprès du peuple togolais.
Faure Gnassingbé et Robert Dussey qui se piquent d’humanisme ont été littéralement incapables de poser ce seul acte qui les aurait grandis dans l’estime des Togolais, de quelque bord politique qu’ils soient. La charité bien ordonnée ne commence pas par chez soi pour les Gnassingbé, elle commence à l’international. Elle commence par les Maliens, les Tchadiens, les Burkinabé, les Nigériens. Elle ne prend jamais en compte le Togolais, dût-on s’appeler Kpatcha Gnassingbé, en prison depuis quinze bonnes années. Elle ne prend pas davantage en compte la souffrance de ces centaines de prisonniers d’opinion, de ces Togolais injustement arrêtés et morts en détention sans jugement. Elle attend le prochain retour des exilés politiques pour régler leur compte. Laisser une figure religieuse, haute s’il en est, mourir en exil et s’échiner à faire libérer un homme dont la liberté n’est pas une priorité est un exploit que seul Faure Gnassingbé et son porteur d’eau peuvent réaliser.
Sodoli Koudoagbo
Source: Le Correcteur