Dans ce mémorandum rendu public vendredi, l’Alliance nationale pour le changement (ANC) donne les raisons qui motivent son refus de siéger à la nouvelle assemblée nationale. Lisez plutôt!
Mémorandum de l’ANC relatif à sa décision de ne pas siéger à l’Assemblée nationale
Avant tout propos, l’Alliance Nationale pour le Changement (ANC) tient à remercier les populations qui ont porté leurs voix sur ses candidats, et d’une façon générale sur ceux de l’opposition, lors du double scrutin législatif et régional du 29 mars 2024. L’ANC exprime sa gratitude à tous, pour la confiance, le courage et la volonté de changement qui les animent.
Depuis plusieurs mois, les Togolais assistent à une succession d’actes inédits sur les plans électoral, constitutionnel et institutionnel, en dépit de nombreuses contestations et levées de boucliers de l’opposition:
- recensement électoral frauduleux,
- découpage électoral ségrégationniste traduisant un apartheid électoral assumé, en violation de l’article 5 de la Constitution qui prescrit l’égalité des citoyens devant le suffrage,
- complicité et carence des institutions en charge des élections, notamment la CENI,
- prolongation inopportune et illégale du mandat des députés sortants, multiples reports des élections législatives finalement organisées hors délai constitutionnel,
- achats de consciences et fraudes massives,
- utilisation massive des moyens de l’Etat,
- publication de résultats entièrement préfabriqués,
- étude en toute clandestinité par la commission des lois de l’Assemblée nationale d’un nouveau texte de constitution délibérément caché aux populations et aux acteurs politiques;
- adoption en catimini du nouveau texte de constitution;
- promulgation suivie de multiples traficotages ultérieurs avant publication au Journal Officiel.
Ainsi, à la veille des dernières élections et en pleine campagne électorale, le parti au pouvoir brandit une nouvelle constitution, sortie de nulle part, en toute violation de la Constitution en vigueur, celle du 14 octobre 1992, en violation de toutes les lois de la République.
A la lecture de la nouvelle constitution, il apparait clairement que tout cet imbroglio, prétendument pour faire passer notre pays le Togo, d’un régime semi-présidentiel à un régime parlementaire, présenté comme plus conforme à nos réalités et plus moderne, n’a en réalité qu’un seul objectif: consacrer le maintien d’un homme à la tête du pays, de l’Etat et de toutes ses institutions, sans passer par l’onction directe du peuple souverain.
L’ANC n’a pas vocation à valider l’immoralité et l’indécence politiques ainsi que la culture de l’illégalité tranquille qui gouvernent notre pays depuis plus d’un demi-siècle. Il est venu, maintenant plus que jamais, le moment de dire non et de réévaluer sans la moindre complaisance, la position à tenir, les actions à mener, dans l’intérêt bien compris des populations togolaises engagées et mobilisées.
Dire non, lorsque des choses anormales se produisent du fait de ceux dont la mission première est de veiller à assurer la cohésion sociale, en donnant l’exemple du respect scrupuleux de la Loi, notamment la Constitution en tant que contrat social qui unit les populations.
Dans le souci permanent de préserver la paix et la cohésion sociale et afin de renforcer et de faire progresser et aboutir la lutte commune, l’ANC a toujours fait les concessions nécessaires y compris celles qui, à l’évidence, contrarient ses propres intérêts. L’évolution de la vie politique de notre pays ces dernières années, montre que des limites sont atteintes et largement dépassées.
Alors, l’ANC dit STOP!
Depuis le lancement du processus de démocratisation, en 1991 et après l’adoption massive de la Constitution de la Quatrième République lors du référendum du 27 septembre 1992, nous avons assisté à des révisions de confort par le groupe RPT puis UNIR, qui ont abouti à dénaturer la constitution promulguée en octobre 1992. Le parti au pouvoir a toujours trouvé dans le contrôle des institutions les moyens de modeler la constitution à ses seuls intérêts.
C’est ainsi que le 7 février 2005, par suite du décès du Général Eyadéma, et au mépris de la Constitution, les Togolais ont assisté, ahuris, à cette scéne ubuesque où des officiers des forces armées, dans la pénombre d’une salle, vinrent faire allégeance à son fils, Faure Gnassingbé, qu’ils reconnaissent désormais comme leur chef, comme si l’armée était le dépositaire du pouvoir
De négociations en concessions sous l’égide des organisations internationales, il fut décidé d’organiser une élection présidentielle, autorisant Monsieur Faure Gnassingbé à faire acte de candidature, alors qu’une disposition de la Constitution, notamment l’article 150, dit ceci tout renversement du régime constitutionnel est considéré comme un crime imprescriptible contre la Nation et sanctionné conformément aux lois de la République ».
Le 29 avril 2024, le parti au pouvoir, afin de conforter le coup de force constitutionnel du 25 mars, a dépassé toutes les limites de l’acceptable en matière de fraude, de violences électorales et d’achat des consciences, pour aboutir à la proclamation de résultats préfabriqués, issus de décisions prises avant même le déroulement des élections.
L’ANC estime qu’il est inopportun, inapproprié et mal fondé qu’elle siège dans une Assemblée constituée dans de telles conditions. De fait, sans aucun regret et avec tous les remerciements pour tous les appels demandant au parti de prendre la place qui est la sienne et quelle place- dans la nouvelle assemblée, I’ANC n’y siègera pas.
En effet, dès les lendemains du double scrutin, l’ANC a exprimé son rejet total du processus électoral ainsi que des résultats, qui ne reflétaient aucunement la réalité des votes.
Nous avons la ferme conviction que les candidats proclamés élus, ont été tout simplement et arbitrairement désignés, en marge d’un décompte effectif et sincère des voix. Dans ces conditions, nous pensons que la règle de la représentation nationale n’a pas été respectée. On est élu, lorsqu’on peut se prévaloir des voix d’une fraction de la population, qui vous a donné mandat de représentation. La désignation ne peut pas conférer ce mandat-là
S’agissant de la nouvelle constitution, il y a lleu de relever d’emblée, que son adoption ne respecte aucune règle, notamment celles fondamentales contenues dans la constitution de 1992.
De plus, la nouvelle constitution est conçue et rédigée au mépris des règles qui organisent aujourd’hui le contrat social dans le respect du principe intangible de la souveraineté du peuple.
Dans cette nouvelle constitution, le Président du Consell est choisi par son parti, et l’Assemblée nationale prend acte de ce choix. C’est ainsi que le Président de l’Assemblée nationale prend acte de la désignation du Président du Conseil choisi par son parti, et la Représentation nationale en est informée.
Les autres membres de l’Assemblée nationale ne participent pas à ce choix.
De surcroît, aucune institution politique de la République n’intervient pour sa nomination.
La vacance de la Présidence du Conseil entraîne ipso facto la caducité de l’Assemblée nationale. Au nom de quoi et pourquoi ? Le Président du Conseil peut dissoudre l’Assemblée nationale et donc renvoyer également les députés élus sur les listes du parti qui l’a désigné. Lui, qui n’a été l’objet d’aucune élection, dispose ainsi du pouvoir de renvoyer ceux qui ont été élus.
L’on ne trouve nulle part dans la constitution une déclaration de politique générale qui constituerait un contrat politique entre le Législatif et l’Exécutif, base du contrôle de l’action gouvernementale par l’Assemblée nationale, et éventuellement d’une motion de censure. Cependant, le Président du Conseil peut engager la responsabilité de son gouvernement sur un programme qu’il n’a pas annoncé d’avance. Le refus de la confiance entraîne automatiquement la dissolution de l’Assemblée nationale.
Malgré ses efforts, l’ANC n’a pas pu ranger, dans une catégorie connue, le régime “fabriqué” par la nouvelle constitution. Elle estime qu’elle ne saurait apporter sa contribution, même insignifiante, à la gestion de ce régime.
L’ANC invite instamment toutes les Togolaises et tous les Togolais, mais surtout la classe politique de l’opposition, à lire attentivement, l’intégralité de ce document tenant lieu de constitution. Cette seule lecture permettra de comprendre les préoccupations de l’ANC.
Ces quelques exemples parmi tant d’autres, fondent les réserves expresses de l’ANC face à ce que le parti Unir impose à notre pays et à son peuple.
Voilà pourquoi, en toute responsabilité, l’ANC ne manifestera aucune présence dans la gestion de ce désordre politique et institutionnel.
Ceux qui ont conçu, élaboré, soutenu et imposé cet ensemble de dispositions sans aucune cohésion, qui violent la règle fondamentale de la souveraineté du peuple, endossent une très lourde responsabilité devant la Nation togolaise, et devant l’histoire.
Fait à Lomé, le 31 mai 2024,
Pour le Bureau National,
Le Président,
Jean-Pierre Fabre