Au Togo, les malversations financières impliquant le gouvernement ne surprennent plus personne. La corruption est tellement répandue au sommet de l’État que l’impunité y est presque institutionnalisée, au point d’en devenir une sorte de tradition honorée. Le nouveau rapport accablant de la Cour des comptes sur l’exécution du budget de 2022 par l’État togolais, bien que publié avec un retard de deux ans, confirme une fois encore la gestion calamiteuse et hasardeuse des finances publiques par le gouvernement togolais. Entre refus de collaborer, contributions ridicules des sociétés d’État et dépassements budgétaires hors de contrôle, ce document est une véritable radiographie de la mauvaise gouvernance au Togo.
Il a fallu l’organisation d’une conférence de presse par les partis de l’opposition et des organisations de la société civile, réunis sous la bannière du front “Touche Pas à Ma Constitution”, pour que les médias soient informés de la publication de ce rapport. « Personnellement, j’ignorais que la Cour des comptes avait publié son rapport sur l’exécution du budget de 2022 par l’État togolais. C’est ici que je l’apprends », a déclaré un confrère, correspondant d’un média international, lors de cette rencontre.
En effet, publié depuis septembre 2024 avec un retard de deux ans dû à un sabotage bureaucratique, ce rapport de la Cour des comptes n’a fait l’objet d’aucune divulgation médiatique. Ni les médias étatiques ni ceux du privé n’en avaient connaissance. Le contribuable togolais n’était informé de rien. On pourrait croire que le gouvernement ne souhaite absolument pas que les Togolais sachent comment il gère l’argent public.
Une opacité qui entrave le contrôle budgétaire
Si ce rapport a été publié avec retard, la Cour des comptes n’en est en rien responsable. D’ailleurs, elle est félicitée par le front “Touche Pas à Ma Constitution”, qui salue également le travail continu qu’elle réalise dans des conditions difficiles.
Le budget, fixé à 1 875 milliards 785 millions 876 mille Francs CFA, est censé être passé au crible dans les trois à quatre mois suivant la clôture de l’exercice. Cependant, ce laps de temps s’est transformé en un marathon de 48 mois, laissant les budgets de 2023 et 2024 sans les précieux retours d’expérience et recommandations nécessaires pour éviter les erreurs passées. Pourtant, le rapport de l’exercice 2021 a été disponible en décembre 2022, tout comme celui de 2020 a été disponible en octobre 2021, soit une seule année d’élaboration pour chaque exercice.
Il est évident que ce retard n’est pas imputable à la Cour des comptes elle-même, qui a démontré une résilience et un professionnalisme louables. Le problème réside dans le manque de coopération de certains ministères. En effet, alors que la Cour des comptes travaille sur la base des documents fournis par les ministères, les rapports annuels de performance (RAP) et les projets annuels de performances (PAP), l’institution indique que durant les deux ans de son travail, certains ministères et institutions n’ont pas fourni leurs documents. C’est notamment le cas du ministère du plan et de la Coopération.
« Comment pendant deux ans, aucune autorité n’a-t-elle été en mesure de faire mettre à disposition de la Cour des comptes, les précieux documents du ministère du plan et de la Coopération ? Que dit le Premier ministre pendant deux ans ? Que dit le Chef de l’Etat pendant deux ans ? C’est incompréhensible, c’est inacceptable et c’est intolérable, car la reddition de compte est un impératif et une exigence, quand on a la responsabilité de gérer des fonds publics », s’est indigné le front.
Des sociétés d’État devenues des gouffres financiers
Autre source d’indignation : la contribution insignifiante des sociétés d’État au budget national. En effet dans ce rapport de contrôle, la Cour des comptes a identifié 20 sociétés d’Etat ou ayant une participation de l’Etat. Il s’agit des sociétés suivantes : AFRICA-RE ; SICA-RE ; LONATO ; PORT AUTONOME DE LOME (PAL) ; TOGOCOM ; ORABANK ; BCEAO ; COMPEL ; BRVM SA ; DC-BR ; SOCIETE TOGOLAISE DE STOCKAGE DE LOME (STSL) ; TOGO – OIL COMPAGNY (T-OIL) ; SOCIETE DES POSTES ET DE TELECOMMUNICATION (SPT) ; AFRICA FINANCE CORPORATION (AFC) ; WACEM-SA ; SOCIETE NOUVELLE DES PHOSPHATES DU TOGO (SNPT) ; NOUVELLE SOCIETE COTONNIERE DU TOGO (NSCT) ; SCAN MIN SA ; GTA.
Seulement sur ces 20 entreprises recensées en 2022, leur contribution totale au budget national s’élève à un misérable 15,5 milliards de francs CFA. Des fleurons de l’économie nationale, comme le Port autonome de Lomé (1 milliard) ou TOGOCOM (6 milliards), affichent des résultats dérisoires. Plus alarmant encore, des sociétés comme la SNPT, qui exploite la principale richesse minière du pays, n’ont rien versé au trésor public. Des entités comme WACEM-SA, SALT, NSCT, SCAN MIN SA, et GTA ont également fait défaut. « Le gouvernement doit expliquer aux Togolais comment la société qui gère les phosphates, la plus importante ressource minière du pays, n’arrive-t-elle pas à mettre 1 seul franc au budget de l’Etat ? Cela a été le cas en 2020, 2021 et 2022. Dans quelle poche va l’argent du phosphate ? », se demandent Nathaniel Olympio et les siens.
Il faut noter qu’en 2020, la Cour des comptes avait identifié 46 sociétés. Il serait bien que le gouvernement explique comment 26 sociétés se sont volatilisées en 2022.
Des dépassements budgétaires inimaginables
L’irresponsabilité du gouvernement s’est également manifesté dans les dépenses de personnel. Le rapport de la Cour des Comptes dévoile des dépassements budgétaires absurdes, allant jusqu’à 107 831 % pour certains services. La Direction générale des Travaux publics a dépassé son budget initial de 2 822 %, tandis que le Secrétariat général du ministère de la Santé a explosé à 12 553 %. Ces chiffres relèvent non pas d’erreurs, mais d’une gestion totalement anarchique. Malgré des recommandations répétées de la Cour des comptes en 2020 et 2021, rien n’a été fait pour corriger ces excès. La seule conclusion possible est que le gouvernement ne prend pas au sérieux ses obligations envers le peuple.
Pour justifier cette situation, le ministère des Finances donne la réponse suivante : « La surconsommation des dépenses de personnel observée au niveau de tous les programmes de soutien et de programmes opérationnels des ministères résultent de la non-effectivité du rattachement de tous les agents de l’Etat à des programmes spécifiques et à l’imputation de leurs salaires sur ces programmes. Ainsi, les agents sont en surnombre sur certains programmes ou dotations et en sous-effectifs sur d’autres. Cette situation va se corriger dans les années à venir, lorsque chaque ministère sectoriel fera ses prévisions du crédit de personnel par programme ou par dotation et affectera le personnel qu’il faut réellement pour l’exécution des actions de chaque programme ou dotation ».
Le commentaire de la Cour des comptes sur la réponse du ministère est le suivant : « Cette situation rend difficile l’évaluation des coûts des programmes en termes de dépenses de personnel. Il en résulte que les coûts des programmes et projets ne sont pas assez réalistes car l’évaluation des dépenses de personnel n’a pas été assez conséquente ». « Même si les dispositions sont prises pour assurer la reddition des comptes par les structures bénéficiaires, la plupart des transferts ne sont pas associés à l’atteinte des résultats, […], aucune évaluation n’est faite sur les besoins réels des structures ainsi que leurs capacités de consommation avant l’octroi desdites subventions et transferts ».
En d’autres termes, on donne beaucoup d’argent à des structures, sans savoir si elles ont besoin de cet argent, et sans savoir ce qu’elles vont en faire. Ensuite on ne vérifie même pas comment l’argent des Togolais a été utilisé.
Des infrastructures bâclées et coûteuses
Enfin, le rapport dénonce l’état déplorable de nombreuses infrastructures prétendument réalisées en 2022. Des travaux mal exécutés, des matériaux de mauvaise qualité, et une absence de contrôle rigoureux ont conduit à un gaspillage des ressources publiques. Certaines pistes rurales, pourtant inaugurées récemment, sont déjà impraticables.
La Cour des comptes « relève que certaines pistes énumérées dans le RAP sont réalisées soit en 2021 soit en 2023 et non en 2022 comme indiqué. Ces faits sont de nature à biaiser les informations contenues dans le RAP et induire en erreur le lecteur. Il s’agit des travaux des pistes et ponts suivants : – RN1 – village d’Anima et pont réalisés en 2021 et réceptionnée en 2022 ; Piste Broukou – Agbassa et pont réalisés en 2021 ; Piste CIMTOGO -Kpinzidè et pont réalisés en 2021; Piste Avéta – Lébé – Abobo réalisée en mars 2023 (etc…) En outre, la Cour relève que la plupart des pistes effectivement réalisées en 2022 ou en 2023 sont en état de dégradation avancée et pratiquement impraticables eu égard à la nature des matériaux utilisés (sable, argile au lieu de la latérite) et à l’absence des caniveaux sans oublier le niveau de la hauteur de la chaussée qui n’est pas surélevé par rapport aux accotements. Il s’agit par exemple des tronçons de pistes rurales suivantes : – – – – Tsékpo-Dédékpo-Djigbé-Tabligbo ; Avéta-Lébé-Abobo ; Badougbé-Wogba-Vogan ; Kovié-Ewli-Bolougan-Davié etc. »
« Ces constats montrent clairement comment l’argent du contribuable est gaspillé alors que les Togolais n’arrivent pas à manger deux fois par jour», dénonce le front.
VOICI LE RAPPORT D’OBSERVATIONS DEFINITIVES SUR LE CONTRÔLE DE L’EXECUTION DE LA LOI DE FINANCES, EXERCICE 2022