Une photo a circulé ce week-end sur les réseaux sociaux : Jean-Pierre Fabre, président de l’Alliance nationale pour le changement (ANC), y apparaît en compagnie de Zaga Bambo, tiktokeur togolais devenu l’un des visages emblématiques des récentes mobilisations populaires contre le régime en place.
En quelques heures, l’image a fait polémique. Certains activistes et blogueurs, engagés aux côtés de Zaga Bambo, ont exprimé leur étonnement, voire leur désaccord, face à cette rencontre tenue, selon eux, sans concertation préalable. À cela s’ajoute une critique récurrente, souvent adressée à l’opposition dite traditionnelle, perçue, à tort ou à raison, par certains comme peu audible ou peu efficace face aux attentes d’une jeunesse de plus en plus exigeante.
Mais cette levée de boucliers pose une question de fond : dans une lutte pour l’alternance, jusqu’où peut-on laisser la méfiance miner les convergences nécessaires ? Car en réalité, il n’est ni scandaleux ni contre-productif que deux figures de la contestation, issues de générations et d’horizons différents, se rencontrent. Ce qui serait préoccupant, c’est qu’ils ne se parlent pas.
La dynamique actuelle est inédite. Pour la première fois depuis longtemps, des citoyens ordinaires, non affiliés à un parti, prennent l’initiative de mobilisations pacifiques. Face à eux, une classe politique expérimentée mais affaiblie. La logique voudrait que les deux mondes se parlent, non pas pour se fondre, mais pour se compléter.
Ce que réclame aujourd’hui le contexte togolais, ce n’est pas l’unanimité, mais la coordination lucide. Une opposition divisée entre politiques et activistes, chacun suspectant l’autre de récupération ou de compromission, ne pourra jamais incarner une alternative crédible. Il est donc urgent de sortir du réflexe de suspicion permanente.
Si le combat actuel, porté notamment par les jeunes tiktokeurs, vise à faire bouger les lignes, il appelle aussi des réflexions sérieuses sur l’après-Faure. Ce moment historique exige que toutes les intelligences et toutes les forces disponibles puissent dialoguer, non pas dans la fusion, mais dans une coordination lucide. La lutte pour l’alternance ne pourra être gagnée que si elle sait s’appuyer à la fois sur l’énergie de la rue et l’expérience politique.
Le véritable problème du Togo, ce n’est ni Jean-Pierre Fabre, ni Zaga Bambo, ni même cette opposition à laquelle on reproche tout et son contraire. Ce ne sont pas non plus ces jeunes tiktokeurs, sans grande culture politique, mais dont l’énergie brute et l’audace ont su réveiller les consciences. Le vrai problème, c’est un système de gouvernance qui, depuis des décennies, confisque les libertés, étouffe les contre-pouvoirs et muselle les voix dissidentes.
Il est temps d’arrêter de détourner le regard. L’enjeu aujourd’hui, ce n’est pas de désigner un coupable dans les rangs de ceux qui contestent, mais de concentrer les efforts sur le cœur du problème : l’ordre politique en place. Le Togo a besoin d’un sursaut collectif, d’un front commun lucide, où chaque voix, chaque force, chaque courage compte. Il a besoin de fronts communs, pas de fractures supplémentaires.
Ambroise DAGNON