Adoptée à l’issue de la deuxième édition du Lomé Peace and Security Forum, tenue les 11 et 12 octobre 2025 dans la capitale togolaise, la Déclaration finale de Lomé exhorte les pays africains à repenser leur approche de la paix et de la sécurité. Les participants appellent à une autonomie stratégique du continent, à une gouvernance fondée sur la justice sociale, à une maîtrise des nouvelles technologies, et à une plus grande implication des jeunes dans la consolidation d’une paix durable. Lire la déclaration dans son intégralité.
DÉCLARATION DE LA DEUXIÈME ÉDITION DU LOMÉ PEACE AND SECURITY FORUM (LPSF)
Lomé, 11 et 12 octobre 2025
Nous, participants de la deuxième édition du Lomé Peace and Security Forum, tenue les 11 et 12 octobre 2025 à Lomé, en République togolaise, sur le thème : « L’Afrique face aux défis sécuritaires complexes : comment renforcer et rendre durables la paix et la stabilité dans un monde en mutation ? » ;
Considérant les profonds bouleversements en cours dans le monde et les tensions qui en découlent, affectant gravement la paix et la sécurité en Afrique ;
Profondément préoccupés par l’émergence de nouvelles formes de conflictualité et de menaces sécuritaires en Afrique, notamment l’extrémisme violent et le terrorisme, les cybermenaces ainsi que l’insécurité et les tensions induites par le changement climatique qui entravent la stabilité et le développement du continent ;
Guidés par les principes consacrés par la Charte des Nations unies, l’Acte constitutif de l’Union africaine et les autres instruments et mécanismes régionaux et sous-régionaux pertinents ;
Rappelant la Convention d’Alger de 1999 de l’OUA sur la prévention et la lutte contre le terrorisme et son Protocole de 2004 adopté à Addis-Abeba par la 3[e] session ordinaire de la conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement de l’UA ;
Tenant compte des décisions et orientations de l’Union africaine en matière de réforme du secteur de la sécurité, notamment le Protocole relatif à la création du Conseil de paix et de sécurité et la Déclaration solennelle sur la défense et la sécurité communes en Afrique (DSCA) ;
Conscients de l’importance stratégique de la sécurité maritime, du caractère déterminant de la Charte de Lomé sur la sécurité maritime et de la pertinence de la Zone de paix et de Coopération de l’Atlantique Sud (ZOPACAS) pour la sécurité et la défense des droits maritimes souverains et des intérêts légitimes de l’Afrique ;
Soulignant la nature multidimensionnelle de la paix et de la sécurité qui ne se limitent pas à l’absence de conflits armés, mais englobent la sécurité maritime, la sécurité climatique, le développement socio-économique, la justice sociale, la promotion des droits de l’homme et la bonne gouvernance ;
Relevant la nécessité pour les Etats africains d’œuvrer à une véritable autonomie en matière de défense et de sécurité en vue de réduire la dépendance vis-à-vis des technologies et équipements militaires étrangers et de pallier les faiblesses structurelles qui accroissent les vulnérabilités face aux chocs exogènes ;
Considérant que le fonctionnement actuel du Conseil de sécurité des Nations unies et les mandats sous lesquels opèrent les missions de maintien de la paix ne permettent pas de répondre de manière efficace et adaptée à la complexité des conflits et menaces sécuritaires en Afrique ;
Notant les récentes évolutions dans le secteur du numérique et le potentiel de l’Intelligence Artificielle (IA) à transformer profondément les économies africaines, à accroître l’efficacité opérationnelle des institutions et à ouvrir de nouvelles perspectives de croissance, tout en présentant des risques inédits pour la paix et la sécurité ;
Ayant à l’esprit les défis éthiques, sécuritaires et sociétaux liés au développement des nouvelles technologies et à l’IA, mais aussi leur potentiel en tant qu’outils de prévention et de consolidation de la paix ;
Observant avec préoccupation la persistance des conflits sur le continent, notamment dans la région des Grands Lacs, au Sahel et dans d’autres régions en dépit des multiples initiatives de paix régionales et internationales ;
Rappelant l’initiative « Faire taire les armes en Afrique » de l’Union africaine lancée par la Conférence des chefs d’État et de gouvernement en 2013 visant à mettre fin aux conflits armés sur le continent et à y instaurer une paix durable ;
Considérant les Résolutions 2250 (2015) et 2419 (2018) du Conseil de sécurité des Nations unies sur la jeunesse, la paix et la sécurité relative au rôle des jeunes dans la consolidation de la paix et la prévention des conflits ;
Rappelant la Charte africaine de la jeunesse qui reconnaît la jeunesse comme « un partenaire et un atout incontournable pour le développement durable, la paix et la prospérité de l’Afrique » ;
Conscients que les défis persistants auxquels sont confrontés les jeunes, notamment le chômage, le manque d’accès à une éducation et à une formation de qualité et l’exclusion des processus décisionnels favorisent leur instrumentalisation, y compris par les groupes extrémistes violents ;
Prenant en compte les conclusions des conférences ministérielles de l’Alliance Politique Africaine (APA), tenues respectivement le 03 mai 2023 et le 02 juin 2025, ainsi que la Déclaration finale de la première édition du Lomé Peace and Security Forum tenue du 20 au 22 octobre 2023 à Lomé ; Saluant la pertinence du thème et la qualité des travaux de l’édition 2025 du Lomé Peace and Security Forum qui ont permis de mieux appréhender la complexité des défis sécuritaires auxquels fait face l’Afrique dans un environnement international profondément fragilisé et en pleine mutation ;
Déclarons ce qui suit :
La consolidation de la paix en Afrique, dans un contexte marqué par des défis sécuritaires d’une grande complexité, exige une compréhension globale de ces défis et une action concertée fondée sur une approche intégrée. Cette action doit, notamment, inclure la mise en œuvre de mesures opérationnelles essentielles, la construction d’une autonomie stratégique du continent face aux rivalités géopolitiques internationales, la construction d’une paix durable garantissant la stabilité et une prospérité partagée sur l’ensemble du continent, notamment dans la région des Grands Lacs, la prise en compte des défis que soulève l’IA en matière de paix, de sécurité et de développement ainsi que le renforcement de l’implication des jeunes et la prise en compte de leurs perspectives dans la construction et la consolidation de la paix en Afrique. À cet effet,
I. AU TITRE DU RENFORCEMENT DE LA PAIX ET DE LA STABILITÉ
1. Appelons les Etats africains à prendre pleinement conscience de l’évolution de la nature des menaces sécuritaires et à leur apporter des réponses appropriées, prenant en compte leur complexité, leur caractère transversal ainsi que le contexte international actuel marqué par de fortes tensions.
2. Encourageons vivement les Etats à adopter une approche holistique de la sécurité en intégrant aux stratégies de gestion et de prévention classiques des conflits les dimensions liées à la gouvernance, au développement, à l’inclusion sociale, au genre et au changement climatique.
3. Exhortons les Etats africains à prendre des mesures concrètes permettant de promouvoir la confiance mutuelle, le partage de renseignements, la solidarité intra-africaine et la mutualisation des moyens de gestion et de prévention des conflits.
4. Invitons les Etats africains à revisiter et à mettre pleinement en œuvre l’Architecture africaine de paix et sécurité en prenant en compte les avancées technologiques, intégrant l’IA dans les mécanismes de défense existants.
5. Appelons les Etats africains à valoriser les mécanismes traditionnels de prévention, de gestion et de règlement des conflits, afin de tirer profit de leur potentiel pour la promotion de la paix et de la sécurité en Afrique.
6. Demandons à l’Organisation des Nations unies d’adapter les mandats et la conduite de ses missions de maintien de la paix en Afrique à l’évolution des menaces à la paix et à la sécurité internationales.
7. Invitons instamment les Etats africains à prendre sans délai des mesures internes de ratification en vue d’accélérer l’entrée en vigueur et l’opérationnalisation de la Charte de Lomé sur la sécurité maritime.
8. Exhortons les Etats africains ainsi que les institutions sous-régionales et régionales à œuvrer davantage à l’enracinement de la démocratie, de l’Etat de droit, de la bonne gouvernance, de la transparence et de la redevabilité de même qu’au respect des droits de l’homme.
9. Demandons aux Etats africains d’intensifier l’investissement dans la résilience sociale à travers le financement des projets d’économie sociale et solidaire, d’agroécologie, d’artisanat et d’économie numérique qui répondent aux besoins des communautés, renforcent leur résilience face aux chocs climatiques et offrent une alternative à la violence et à l’économie illicite.
10. Invitons les Etats et les communautés économiques régionales à privilégier le dialogue dans la gestion des crises et une synergie transfrontalière, notamment les Etats de l’Afrique de l’Ouest et de l’AES à aller vers la création d’un cadre de concertation entre la CEDEAO et l’AES.
11. Demandons au Togo d’œuvrer à la mise en place d’un cadre de dialogue entre la CEDEAO et l’AES.
12. Appelons l’Union africaine, les Communautés économiques régionales et les Etats à mettre en place un programme spécifique endogène d’éradication de la pauvreté et de renforcement de l’inclusion et de la stabilité.
II. AU TITRE DE L’AUTONOMIE STRATEGIQUE DANS LE PAYSAGE GEOPOLITIQUE AFRICAIN EN MUTATION
13. Invitons les pays africains à renforcer leur indépendance dans la mobilisation des ressources et le financement de la défense et de la sécurité, en privilégiant les sources endogènes.
14. Exhortons les Etats africains à envisager, à la lumière des évolutions mondiales, une relecture des accords de défense afin d’assumer pleinement leur souveraineté.
15. Encourageons vivement le développement de capacités autonomes de défense, soutenues par la création d’une industrie africaine de l’armement, le recours à des technologies endogènes, la mise en place de formations militaires plus adaptées et l’émergence d’un véritable marché africain de l’armement.
16. Exhortons les Etats africains à assurer un financement autonome et durable des institutions régionales et continentales et des initiatives de paix et de sécurité sur le continent.
17. Invitons l’Union africaine à renforcer son rôle de coordination stratégique des initiatives de défense et de paix menées sur le continent, y compris celles entreprises par les Nations unies et les partenaires extérieurs.
18. Exhortons l’Union africaine à redéfinir les cadres de la coopération entre le continent et les autres régions du monde, à adapter le choix des partenaires aux évolutions géostratégiques et aux intérêts fondamentaux de l’Afrique.
19. Encourageons l’Union africaine et ses Etats membres à accélérer le rapprochement avec les puissances émergentes, y compris les BRICS, en vue de promouvoir un monde multipolaire fondé sur la justice, l’équité et la paix.
20. Demandons aux Etats africains de défendre davantage les positions communes du continent au sein des instances et foras internationaux.
III. AU TITRE DE LA PAIX ET DE LA STABILITÉ DANS LA REGION DES GRANDS LACS
21. Appelons les Etats africains à prendre pleinement conscience que la paix et la stabilité dans la région des Grands Lacs est une condition nécessaire à la construction et à la consolidation d’une paix durable en Afrique.
22. Encourageons les Etats de la région des Grands Lacs à prendre des mesures courageuses de nature à créer les conditions d’une paix durable et d’une prospérité partagée dans le cadre d’une coopération économique régionale renforcée.
23. Invitons les Etats de la région des Grands Lacs à privilégier la voie du dialogue et de la concertation dans la résolution de leurs différends et à promouvoir une gouvernance inclusive, la protection des droits de l’homme et le vivre-ensemble.
24. Exhortons les Etats africains à renforcer leur soutien aux initiatives de l’Union africaine pour le règlement des conflits dans la région des Grands Lacs.
25. Félicitons le Togo pour ses efforts soutenus en vue du rétablissement de la paix à l’Est de la République démocratique du Congo, conformément au mandat de la Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine.
26. Exhortons vivement les agences des Nations unies, les Etats et partenaires à intensifier leur soutien humanitarian aux réfugiés et aux personnes déplacées ainsi qu’à prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger les femmes et les enfants qui sont les plus exposés dans les situations de crise.
IV. AU TITRE DES DEFIS DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE EN LIEN AVEC LA
PAIX ET LA SECURITÉ EN AFRIQUE
27. Appelons les Etats africains à prendre conscience des capacités transformatrices de l’IA, à adopter des mesures idoines pour en exploiter les opportunités et à se préparer à gérer ses effets ambivalents.
28. Exhortons les Etats africains et la Commission de l’Union africaine à inclure dans leurs agendas politiques la question de la révolution numérique et à mobiliser les ressources en vue de soutenir la recherche et l’innovation dans le secteur de l’IA.
29. Exhortons l’Union africaine et les États membres à prendre des actions urgentes en matière d’IA et de technologies connexes, en créant notamment un fonds pour le développement et la maîtrise de l’IA et en promouvoir une formation massive et multisectorielle de la jeunesse pour faire de l’IA un instrument au service de l’autonomie stratégique et de la transformation positive de l’Afrique.
30. Invitons instamment les Etats africains à prendre des mesures fortes et concertées pour protéger leurs données et à mutualiser leurs ressources pour développer des capacités autonomes en matière de l’IA.
31. Invitons vivement les États à accroître leurs investissements dans les infrastructures numériques, à prendre des mesures fortes et concertées pour protéger leurs données, et à mutualiser leurs ressources pour développer des capacités autonomes dans le domaine de l’IA.
32. Invitons à la création d’un cadre continental de gouvernance de l’IA pour la paix en élaborant un protocole de l’Union africaine sur l’usage éthique et sécuritaire de l’IA basé sur les principes d’inclusivité, de transparence, de redevabilité et de souveraineté.
33. Exhortons les Etats à tirer le meilleur parti du potentiel inexploité des technologies numériques pour en faire un levier d’autonomisation, de création d’emplois et de promotion de la culture de la paix.
34. Exhortons également les Etats à mettre en œuvre des dispositifs de surveillance et de filtrage des contenus en ligne qui servent de vecteurs à la radicalisation et au recrutement des jeunes dans des groupes extrémistes violents.
35. Appelons à soutenir les artistes et les producteurs de contenus qui promeuvent des récits alternatifs à la violence et qui, par leur engagement, contribuent à la valorisation de la diversité culturelle et à la déconstruction des discours de haine dans le cyberespace.
V. AU TITRE DE LA CONTRIBUTION DES JEUNES À UNE PAIX DURABLE EN AFRIQUE
36. Appelons à l’opérationnalisation des cadres existants tels que la Charte africaine de la jeunesse et à l’accélération de la mise en œuvre du Programme Jeunesse, Paix et Sécurité de l’Union africaine.
37. Demandons aux Etats et aux organisations internationales de promouvoir des mécanismes visant à accroître la participation des jeunes aux processus de prévention, de règlement des conflits et de consolidation de la paix.
38. Exhortons les Etats à élaborer et à mettre en œuvre des politiques renforçant la résilience des jeunes face à l’extrémisme violent.
39. Invitons les Etats à mettre en place, au niveau local, des « Comités Paix et Sécurité» intégrant les jeunes, les femmes, les leaders traditionnels et les forces de sécurité pour une gestion collaborative des défis liés à la paix et à la sécurité.
40. Exhortons les jeunes africains à s’engager davantage pour la paix et la sécurité sur le continent à travers des initiatives nationales et transnationales de coopération et de solidarité.
41. Appuyons l’appel des jeunes à la création d’un « Fonds pour la jeunesse africaine» et invitions l’Union africaine à prendre les mesures nécessaires pour rendre effectif ce fonds dans les meilleurs délais.
42. Soutenons l’appel des jeunes à l’endroit des Etats africains et de l’Union africaine pour une mobilisation plus forte et agissante autour de la question cruciale de la réparation des crimes historiques commis contre les peuples d’Afrique qui reste la voie indispensable pour la consolidation des relations pacifiques et durables entre l’Afrique et ses partenaires, surtout ceux qui étaient impliqués dans l’esclavage, la déportation et la colonisation.
43. Félicitons le Togo pour son initiative auprès des instances décisionnelles de l’Union africaine qui a abouti à l’adoption par la Conférence des Chefs d’État et de gouvernement, le 16 février 2025, à Addis Abeba en Éthiopie, de la Décision historique sur la « Qualification de l’esclavage, de la déportation et de la colonisation de crimes contre l’humanité et de génocide contre les peuples d’Afrique ».
44. Appuyons l’appel des jeunes à la correction de la carte du monde afin qu’elle reflète au mieux les dimensions réelles de l’Afrique et contribue à l’effort actuel pour redonner au continent une place juste et une représentativité équitable dans la gouvernance mondiale.
VI. AU TITRE DES DISPOSITIONS FINALES
45. Remercions le Président du Conseil, S.E.M. Faure Essozimna GNASSINGBE, et le gouvernement togolais pour leur leadership et leur engagement constant en faveur de la paix et de la sécurité en Afrique ainsi que pour la tenue effective des travaux de la deuxième édition du Lomé Peace and Security Forum.
46. Demandons au Togo de travailler à la pleine mise en œuvre des recommandations de la présente Déclaration.
Fait à Lomé, le 12 octobre 2025