Togo-Ferdinand Ayité et Joel Egah sous mandats de dépôt : Que reste-t-il du code de la presse ?

L’interpellation jeudi de Ferdinand Ayité directeur de publication du journal L’Alternative, puis vendredi de Joel Egah patron du quotidien Fraternité et de Isidore Kouwonou, rédacteur en Chef de l’Alternative, par le Service de Recherche et d’Investigation (BIR) dans le cadre d’une procédure judiciaire basée sur le code pénal en lieu et place du code de la presse, qui a ensuite été soldée par l’emprisonnement des deux premiers dans l’après-midi du vendredi surpassé, motive la rédaction de la présente tribune.

L’Etat togolais, présenté dans le concert des nations comme une République, a-t-il tendance à dénier à ces derniers, éminemment connus dans ce pays, leur identité de journalistes ? Si non, nos dirigeants ont-ils plutôt la volonté délibérée de mettre dans un coffre sous scellé, le nouveau code de la presse qui régente le mécanisme de gestion des médias et de leurs acteurs dans ce pays ?

Ces questions sont d’autant plus fondées qu’elles soulèvent un principe essentiel gouvernant le Vivre Ensemble des êtres humains que nous sommes, dans une société organisée. Ce principe impose à tout individu, prince ou valet, gouvernant ou gouverné, riche ou pauvre, de se plier aux lois et règlements conditionnant la vie d’un peuple. En janvier 2020 en effet, nos gouvernants avaient senti, encore une fois, le besoin de faire voter un nouveau code de la presse qui instaure en tout, de lourdes amendes contre les journalistes qui, dans l’exercice de leur fonction, se heurteraient à la loi.

Déjà à l’époque, ce code dont les dispositions donnent le net sentiment que les autorités togolaises ont un regard particulièrement méfiant vis-à-vis des journalistes, avait été dénoncé par des organisations de presse, ainsi que des défenseurs des droits de l’homme dont Amnesty International par exemple. Mais les autorités togolaises s’étaient défendues en soutenant que le code en question ne visait qu’à réguler la profession de journaliste dans notre pays sans plus car, affirme-t-on dans les rangs du pouvoir, dès lors qu’il n’inclut pas l’emprisonnement, c’est le moindre mal. La pilule naturellement était amère, mais elle est passée tout de même.

L’on s’attendait en conséquence à ce que ce code soit rigoureusement appliquée aux journalistes toutes les fois où il est avéré que ceux-ci sont rentrés en conflit avec ses dispositions. Que nenni ! A plusieurs reprises, les journalistes font l’objet de harcèlement, d’enlèvement et de détention par la force publique, notamment le SRCIC sur la base du code pénal. Le dernier cas en date fut celui de Carlos Kétohou, directeur de publication du défunt journal L’Indépendant express qui, à l’époque, avait été enlevé par la brigade antigang, puis transféré au SCRIC où il a passé au moins deux bonnes nuits en cellule avant de se voir confié à la HAAC qui l’achèvera en initiant une procédure judiciaire ayant sanctionné le retrait en bonne et due forme de son récépissé.

Cette fois-ci encore, les deux journalistes sont mis en cage sur la base d’une béquille juridique tenant du code de procédure pénale. Finalement à quoi cela-t-il servi de mobiliser des compétences, des mois durant, pour rédiger un code de la presse, qui a ensuite focalisé l’attention des ministres au gouvernant lors des conseils de ministres avant d’être ensuite envoyé à l’Assemblée Nationale pour étude en commission puis vote, et en fin promulgué par la première autorité du pays, si dans les faits, il ne sera jamais appliqué aux acteurs du monde des médias?

Cela dit, l’application quasi systématique du code de procédure pénale aux journalistes en lieu et place du code de la presse qui les régit, trahit évidemment un état d’esprit des gouvernants : faire mal au maximum, punir de la manière la plus sévère possible les journalistes récalcitrants, qui se donneraient l’audace de les offenser d’une manière ou d’une autre. Ainsi donc, dans l’entendement de nos dirigeants, la manière la plus rigoureuse de sévir contre ces derniers serait naturellement de les envoyer en prison en vue de les réduire au silence, de les voir souffrir entre quatre murs, loin de leur plume, de leurs familles, amis et connaissances.

Personne, bien sûr, ne leur en voudra d’avoir une telle perception des choses, même si elle dénote une forme de méchanceté, mais justement, cette conception soulève une autre question : la gouvernance d’un Etat regroupant des êtres humains, vise-t-elle à les tirer vers le haut, à les épanouir tout en les orientant vers les bons pôles en lien avec la vision des gouvernants, ou simplement, à les museler et à les réduire au silence sous le prétexte que ceux-ci auraient commis ce que ces dirigeants considèrent comme des offenses à leur encontre?

L’attitude de nos gouvernants manifestant un faible évident pour la prison montre clairement que c’est la deuxième option qui est de mise, c’est-à-dire, toute « faute »commise à l’encontre d’un dirigeant doit servir de prétexte pour muscler contre les citoyens, en l’occurrence les journalistes. Mais là encore se pose un autre problème : les citoyens auraient-ils besoin de dirigeants si par eux-mêmes, ils pourraient se suffire et évoluer convenablement ? Bien sûr que non. Ainsi donc le rôle d’un dirigeant dans une société organisée est précisément de conduire les siens d’un pôle A vers un pôle B avec pour ambition de les améliorer, de les rendre plus performants, plus grands d’esprit.

En clair, toute gouvernance qui ne garantit pas une évolution progressive de la société, une élévation d’esprit des citoyens en vue de les rendre meilleurs, cause nécessairement un problème de vision. Cela dit, l’envie pour le gouvernant de faire mal, doit être perçue comme une défaillance d’autant plus qu’en tant que parent, son rôle n’est aucunement de faire du mal, mais d’éduquer, d’inspirer, d’orienter, de mener. Ce qui exige de lui, d’irréfutables qualités de leader, un minimum de pédagogie et même d’empathie vis-à-vis des citoyens dont il a pratiquement le destin entre les mains.

Alors en revenant sur ce qui se passe dans le dossier de Ferdinand Ayité et de Joel Egah où, le plaignant a cru utile de leur faire appliquer le code de procédure pénale, il se révèle là aussi une incapacité du gouvernant à se conformer aux rigoureuses dispositions de celui-ci. A en croire l’avocat qui défend ce dossier, le commandant en charge d’initier la procédure en recueillant les dépositions des confrères, n’avait pas en mains ou du moins, n’avait pas présenté à ces derniers, les charges qui les incriminent.

Comment donc ces derniers pourraient-ils organiser leur défense, sans savoir a priori, les griefs qui sont portés contre eux ? L’intention à ce niveau, est visiblement de les prendre court, de les maintenir dans l’impasse et de leur arracher le maximum possible d’informations à tout va, en vue de formuler par la suite, les charges qui pèseront contre eux. Apparemment c’est ce qui a été fait.

Ensuite, cette manière sans doute non orthodoxe de procéder pour étouffer les mis en cause révèle également l’incapacité du plaignant, du haut de son piédestal, à se soumettre aux exigences de la loi l’obligeant formellement à formuler une plainte en bonne et due forme. Pour lui, un coup de fil suffit pour mettre en transe la police judiciaire qui, à son tour, va enclencher la procédure sans gangs. Au bout du compte, sommes-nous bien dans une République régie par d’irréfutables fondamentaux ou dans une jungle où tout se fait selon les humeurs et les dispositions mentales des individus surtout en position de force?

En l’espèce, la procédure initiée contre les deux directeurs de publication a quelque chose de choquant qu’elle émane du garde des sceaux lui-même, de surcroit réputé être un meneur religieux qui, pour être en cohérence avec ce qui fonde la foi religieuse, devrait en principe retenir que Jésus n’aurait pas eu la chance de marquer l’humanité par ses qualités spirituelles s’il n’avait été insulté, humilié et même crucifié avec la cruauté la plus extrême.

Cela dit, les citoyens que nous sommes, aspirent profondément à vivre dans un écosystème républicain où les lois établies de commun accord, ont la chance d’être appliquées, sans état d’âme et sans complaisance ni condescendance. Vous l’aurez donc compris, l’idée tout au long de cette tribune, n’est aucunement de disculper les journalistes s’ils ont commis d’éventuelles erreurs, elle n’est non plus de les mettre au-dessus de la loi, mais justement de rappeler que l’élaboration et le vote des lois dans notre pays ne doivent pas être un exercice vain que l’on balaie du revers de la main lorsque son égo est blessé par quelque situation que ce soit.

L’ordre, la discipline dans une République ne peuvent s’obtenir autrement que par l’usage efficient des lois ; et cet usage en effet, est donné en exemple par le dirigeant lui-même, en vue d’en provoquer le déclic qui va mouler le reste du peuple dans cette même dynamique. Au cas où nos gouvernants actuels l’auraient oublié par hasard, il m’a paru opportun de le leur rappeler, en ma qualité de citoyen.

Luc ABAKI

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