La flamme de la réconciliation abandonnée pour la course au pouvoir semble être éteinte depuis que les politiciens togolais en ont fait leur dernier souci. C’est depuis l’accord politique de Ouaga en 2006 que la classe politique et la société civile peinent à parachever le projet de réconciliation. Certaines victimes des violences politiques ont été dédommagées, mais les recommandations de la CVJR sont restées lettre morte. Ce projet de réconciliation avait démarré sous le boycott d’une grande partie de l’opposition togolaise qui, jusqu’à aujourd’hui, n’y voit aucun intérêt. Ironie du sort : la réconciliation n’ayant donc pas abouti comme prévu, l’alternance politique que cherchait l’opposition n’a pas non plus vu le jour.
Pourquoi les acteurs politiques du dialogue de Ouaga avaient-ils recommandé la mise en place de la CVJR, qui donna plus tard naissance au HCRRUN pour conduire la mission de réconciliation ? Certes, c’était pour baliser la voie à l’alternance politique pacifique au Togo. La réconciliation des Togolais demeure le socle de tout projet politique et économique. La réconciliation reste le plus gros projet politique et social que la classe politique togolaise n’a jamais réussi à achever. Il y a une corrélation entre la réconciliation et l’alternance politique pacifique, selon les explications de plusieurs grands acteurs politiques, religieux et civils du Togo.
Dr Kate avait dit dans une de ses interviews que “la réconciliation est la clé sacrée de l’alternance pacifique, le soubassement de tout ce qu’on peut réaliser pour le bien de la nation toute entière. Elle porte l’édifice et repose sur la constitution, qui est la fondation. Voilà pourquoi après la constitution de 1992, après la conférence nationale, le Togo a par la suite ignoré la réconciliation, mais a réalisé d’autres acquis qui peinent à tenir debout, au point que nous repartons à une nouvelle constitution en 2024.” Doit-on déduire, selon cette explication, que le porteur du nouveau projet de constitution, qui est le chef de l’État, et ceux qui cherchent l’alternance politique, c’est-à-dire les opposants, ainsi que le peuple qui cherche la prospérité, ont tous à gagner de la réconciliation ?
Joint au téléphone, Dr Kate nous a expliqué que “la réconciliation nationale est le chemin au meilleur deal politique gagnant-gagnant pour le bien-être du peuple.” Ce sujet est d’actualité ces derniers jours suite à la sortie du leader d’opinion Dr Albert Kate sur X (ou Twitter), qui dit : “Tous ceux qui ont choisi de ne pas aider le chef de l’État Faure Gnassingbé à réconcilier les Togolais du Nord au Sud, soit ils ont aujourd’hui tout perdu, soit ils moisissent politiquement. Qui, pour aider le Président de la République à parachever la réconciliation définitivement ?”
Pour bon nombre de Togolais, les politiciens ont d’autres intérêts qui les préoccupent depuis quelques décennies. Selon les opposants : “La priorité doit être sur le fauteuil présidentiel, l’alternance d’abord et après on va pardonner. Ceux qui gouvernent aujourd’hui et sont du parti au pouvoir sont nos ennemis. Le plus important aujourd’hui, c’est la lutte contre la nouvelle constitution. Le rôle d’un parti politique, c’est de lutter pour accéder au pouvoir ; le rôle de l’opposition est de dénoncer le pouvoir. Nous sommes dans la résistance,” et bien d’autres slogans qui taraudent encore la pensée des pauvres citoyens abandonnés à leur sort.
La raison étant la chose la mieux partagée, on se demande : si ces objectifs n’ont pas été atteints en 30 ans de lutte politique, pourquoi les acteurs ne changent-ils pas de fusil d’épaule en modifiant leurs méthodes ? C’est-à-dire, réussir d’abord à réconcilier les Togolais et faire des compromis politiques historiques avec des mesures susceptibles d’ouvrir la voie à l’alternance et à la relance d’un Togo nouveau, réconcilié et prospère. Cette approche semble trop longue et irréaliste pour certains, qui avancent l’argument des multiples dialogues passés, sauf que les protagonistes avaient toujours pris le soin de discuter dans un cadre secret, permettant d’alimenter la polémique à l’issue des discussions et empêchant ainsi les citoyens de connaître la vérité sur les clauses.
Une réconciliation réussie ferait-elle une différence ? Beaucoup ont encore en mémoire l’accord d’Arusha, un dialogue politique historique qui a occasionné l’essor économique du Rwanda, l’éradication des rivalités et inégalités ethniques, un partage plus équitable des richesses, et un contexte politique apaisé. C’est ce que cherchent aussi les Togolais, bien que chaque pays ait sa particularité et son histoire. Le cas du Bénin voisin, selon le professeur Zeus Ajavon, “a montré qu’une bonne négociation politique sous l’égide de Mgr De Souza dans les années 90 serait à l’origine de l’alternance et d’une démocratie continuellement vivante aujourd’hui.”
Doit-on déduire qu’une réconciliation réussie renforce l’adhésion du peuple à l’instauration de la démocratie, quel que soit le modèle de gouvernance ? La réponse est oui. Les historiens, les acteurs de la société civile, les leaders des confessions religieuses et certains politiques ont œuvré à une profonde réconciliation des Togolais. Malheureusement, certains ont quitté cette terre, tout comme Mgr Barrigah et Me Yawovi Agboyibor, sans avoir achevé cette mission, qui ne doit se limiter aux actes posés par le HCRRUN. D’autres ont l’air d’avoir capitulé, laissant le peuple meurtri livré à son sort.
En 2020, le professeur Aboki fut le dernier historien à lever le voile sur une partie de notre histoire, source de divisions ethniques et de problèmes politiques qui gangrènent le Togo ; hélas, son cri d’alarme n’était qu’un coup d’épée dans l’eau pour les politiciens plus préoccupés par d’autres choses. Le père pasteur Affognon Marie Chanel, quant à lui, avait récemment invité les acteurs à reprendre les conclusions du livre blanc de la CVJR. Personne ne lui a prêté oreille, car les politiciens étaient plus préoccupés par les trois élections en vue pour accéder au pouvoir et gouverner avec leurs partis politiques : l’occasion dorée d’avoir les retombées de leurs investissements. Beaucoup sont revenus avec des larmes et ont repris le chemin de l’église pour se faire consoler.
Dr Albert Kate avait déclaré : “La réconciliation nationale est très difficile à réaliser et très complexe, car beaucoup de facteurs doivent être mis en place. Même Monseigneur Barrigah devait avoir l’aval du Vatican avant de s’immiscer dans un tel projet politique national. Quelques jours avant sa mort, l’ancien Premier Ministre et avocat Me Yawovi Agboyibor m’avait exprimé son désarroi profond en disant : ‘Si nous n’arrivons pas à réconcilier tous les Togolais, je crains que nous allons vous laisser un héritage que vous ne pourriez pas gérer demain.’
On peut comprendre aujourd’hui qu’après la mort inopportune de Mgr Barrigah et Me Agboyibor, deux efficaces ténors des négociations politiques que le Togo ait connus ces deux dernières décennies, notre compatriote pose la question : “Qui pour porter le flambeau de la réconciliation…?” Y a-t-il encore d’autres religieux, d’autres politiciens et d’autres médiateurs, tant nationaux qu’internationaux, pour finaliser la réconciliation nationale au Togo ? L’intérêt politique partisan, la soif du pouvoir, la course au fauteuil présidentiel, la vente des illusions, les tohu-bohu et fanfaronnades politiques sur les réseaux sociaux, la lutte de positionnement, pour ne citer que ceux-là, vont-ils frayer un chemin au réalisme politique et au parachèvement de la réconciliation nationale pour l’intérêt général ?
Nous y reviendrons.
Celui qui est incapable de se reconciler avec son frere de meme pere comment il pourra reconciler le peuple togolais. Le Frere de Faure est entrain de mourir en prison.
De quelle réconciliation parlons nous encore ?! Y a t’il un problème entre ethnies ou groupes sociaux au Togo? Le parti Unir, qui est au pouvoir, a des cadres et militants dans toutes les contrées… Posons les vraies questions…