POUR LA LIBERTE DE PRESSE : BALAYER DEVANT SA PORTE

 Par  Maryse QUASHIE  et  Roger Ekoué FOLIKOUE

Le 3 mai est la Journée mondiale de la liberté de la presse, instituée pour rappeler aux gouvernements la nécessité de respecter leur engagement en faveur de la liberté de la presse. C’est une journée de soutien aux médias qui sont les cibles de la restriction ou de l’abolition de la liberté de la presse et c’est une occasion pour faire mémoire des journalistes qui ont perdu la vie dans l’exercice de leur profession. En définitive, le 3 mai constitue pour les professionnels des médias une journée de réflexion sur les questions relatives à la liberté de la presse et à l’éthique professionnelle.

La liberté de la presse est, de fait, un sujet sur lequel tous les Africains devraient se pencher sérieusement en ce moment. En effet, depuis plusieurs semaines la suspension, puis l’interdiction de RFI et France 24 au Mali, soulève l’indignation des uns et des autres, au nom de la liberté de presse. Ainsi l’ONU s’est dite « profondément consternée » par cette décision du Gouvernement de transition du Mali, tandis que l’Union Européenne l’a jugée « inacceptable ». Mais ce qui est curieux, c’est que la France et l’Union Européenne, qui ont interdit les médias russes dans leur espace, à cause de la guerre en Ukraine, ont trouvé normale leur décision envers les médias russes. Ce qui est inacceptable au Mali, est justifié en Europe par les mêmes qui se posent en hérauts des Droits de l’Homme.  

Les défenseurs des Droits de l’Homme en Afrique devraient s’étonner que la situation de la liberté de la presse sur le continent africain ne provoque pas autant d’irritation de la part de ces institutions alors que selon Reporters Sans Frontières (RSF) : « Malgré une vague de libéralisation dans les années 1990, on assiste encore trop souvent à des pratiques arbitraires de censure, notamment sur internet avec des coupures ponctuelles du réseau dans certains pays, des arrestations de journalistes et des atteintes violentes. Celles-ci se déroulent très souvent dans la plus grande impunité. » Et RSF précise même à propos de l’Afrique que c’est le continent qui reste « le plus violent pour les journalistes, d’autant que la pandémie de Covid-19 a exacerbé le recours à la force pour empêcher les journalistes de travailler. » 

Ce qui est le plus étonnant c’est que d’éminents Africains qui ont donné de la voix pour soutenir RFI et France 24, n’en fassent pas de même lorsqu’il s’agit d’organes de presse ou de journalistes africains. Particulièrement, nous les Togolais aimerions que quelqu’un se penche sur notre sort. En effet, notre pays occupe, en 2022, la 100ème place avec un score de

57,17 dans le classement de RSF portant sur 180 pays. (Le score de chaque pays dépend de cinq indicateurs contextuels de la liberté de la presse : contexte politique, cadre légal, contexte économique, contexte socioculturel et sécurité). Il faut noter qu’en 2021 le Togo était classé 74ème avec un score de 70,41. Cette différence dans le classement vient confirmer la détérioration de la situation des libertés que les citoyens togolais vivent douloureusement sans que les Africains ne protestent avec autant de véhémence que dans le cas de RFI et France 24. Très certainement, il est temps d’inviter les Africains à balayer devant leur porte avant de se mobiliser pour des médias français et étrangers. 

De fait, le journalisme a besoin d’être largement développé et soutenu en Afrique car selon Christophe DELOIRE, secrétaire général de RSF, « Le journalisme est le meilleur vaccin contre la désinformation », mais, ajoute-t-il, « malheureusement, sa production et sa distribution sont trop souvent bloquées par des facteurs politiques, économiques et technologiques, et parfois même culturels (), le journalisme est le principal garant pour que le débat public repose sur une diversité de faits établis. »

Oui, la diversité des points de vue est importante pour que s’instaure le débat public. Il faut que le citoyen soit lui-même en mesure de choisir sa vision en confrontant plusieurs présentations des faits

A ce propos nous ne donnerons qu’un seul exemple. Interrogé par Christophe BOISBOUVIER, justement sur RFI, le 29 avril 2022, Pierre JACQUEMOT,enseignant à Sciences Po Paris, ancien ambassadeur à Accra, Nairobi et Kinshasadéclare à propos des coups d’état en Afrique : 

C’est vrai qu’on constate que ces coups d’état, fomentés par de jeunes officiers, rencontrent une certaine audience auprès de la population, et notamment auprès des jeunes. Cela signifie probablement que ces coups d’état sont assis sur un essoufflement de la démocratie représentative dans ces trois États. La démocratie représentative a été incarnée par exemple par le président de la Guinée Alpha CONDE, qui avait outrepassé les règles constitutionnelles en s’accordant un troisième mandat. Elle a été incarnée aussi par l’impuissance des chefs d’État en place, normalement élus -au Mali, au Burkina Faso -, à faire face à la crise sécuritaire qui sévit dans leur pays.

Et JACQUEMOT précise qu’il faut faire des distinctions entre les pays d’Afrique à partir des critères de démocratie, d’efficacité des institutions et du respect des droits fondamentaux des personnes. Et il ajoute que « La moitié des élections sont viciées avant le scrutin, au niveau de l’enregistrement des électeurs. Pendant le scrutin : bourrage d’urnes. Et après le scrutin, lors du calcul des résultats, et ceci malgré les observations. L’autre constat qu’on peut faire, c’est que les possibilités d’alternance sont réservées à quelques pays ».

La confrontation du point de vue de cet universitaire avec la condamnation systématique des coups d’état notamment par la CEDEAO ces deux dernières années, n’est-elle pas de nature à mieux aider le citoyen à se faire une opinion ? 

Pour aller dans ce sens, la journée de la liberté de la presse devrait inciter le citoyen à réfléchir non pas seulement sur le droit à l’information diversifiée mais sur le devoir de s’informer. 

Le citoyen moyen est porté à donner crédibilité à tout ce qui se dit à la radio, tout ce que l’on voit à la télévision. S’il n’exerce pas son esprit critique alors comment s’informe-t-il ? Comment démêle-t-il l’écheveau des informations contradictoires qui circulent sur les médias ? (…) Il est donc urgent de lutter contre la désinformation (…).

Avant même que de créer des institutions en charge de cette lutte, avant même que de légiférer à ce sujet, il est indispensable que le citoyen lui-même sache qu’il a le devoir de s’informer et de se mettre en quête de l’information la plus crédible. Cependant, la foi en la nécessité de s’informer, d’aller à la source des informations et des bonnes informations ne vient pas au citoyen de manière automatique. Cela découle de la formation qu’il a reçue. En effet si l’esprit critique n’est pas favorisé dans les institutions éducatives, alors il n’y a aucune chance de voir le désir de s’informer s’implanter chez l’individu. Ainsi ne remplit nullement cette fonction un système scolaire où la plus grande partie du temps ne serait dévolue qu’à la transmission d’informations de type intellectuel à des apprenants considérés comme des vases à remplir. (La Voix de la Cité, Numéro 4, janvier-février 2021)

  Si la liberté de presse est « la pierre angulaire de la démocratie » (Milos FORMAN) alors «Nous devons défendre la liberté de la presse et la liberté d’expression – car, en fin de compte, les mensonges et la désinformation ne font pas le poids face à la vérité. » (Barack OBAMA).

La journée mondiale de la liberté de la presse ne pourrait-elle pas donner l’occasion de réfléchir sur le moyen de donner aux citoyens le désir de s’informer par eux-mêmes ?             

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Lomé, le 6 mai 2022

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