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Togo-Maryse Quashie : « Au fond, la France semble avoir vraiment besoin de l’Afrique »

Dans cette nouvelle édition de « Cité au quotidien » intitulée « Le sens de l’indépendance », les universitaires Maryse Quashie et Roger Folikoue ont planché sur l’indépendance de l’Afrique et de ses peuples vis-à-vis de la France. Bonne lecture.

Cité au quotidien

Le sens de l’indépendance

Actuellement, il reste au monde quelques « colonies » : la Collectivité d’Outre-Mer (joli mot pour ne pas dire colonie !) de Nouvelle-Calédonie en fait partie. Mais l’ONU faisant pression pour que ce statut change, la France doit entamer de nouvelles discussions avec ce territoire. En effet des accords nommés accords de Matignon-Oudinot prévoyaient la tenue d’un référendum d’autodétermination en 1998. A cette date le non à l’autodétermination l’avait emporté. Un nouvel accord (Accord de Nouméa) a donc été signé qui reporte le référendum à 2018. En novembre 2018, le non l’emporte encore mais seulement avec une mince avance plus courte que celle de 2020 (57% contre 43% pour l’indépendance). De nouvelles discussions vont donc avoir lieu.

En attendant, la Nouvelle-Calédonie a un statut d’autonomie partielle où la métropole gère le contrôle de l’immigration, la monnaie, le trésor, la défense, la fonction publique, le maintien de l’ordre, l’enseignement supérieur et la recherche. Cela devrait rappeler quelque chose aux Togolais à qui on avait concédé une “autonomie interne” en 1956 avant les élections de 1958.

Cependant ce que les Togolais devraient recommander aux habitants de Nouvelle-Calédonie c’est de bien réfléchir au sens qu’ils veulent donner à leur indépendance. Pour savoir quoi attendre de l’intégration, il leur suffira de regarder, la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, La Réunion, Mayotte… et il revient aux Néocalédoniens d’apprécier. Mais pour ce qui est de l’indépendance octroyée, ils n’auront qu’à regarder du côté de l’Afrique francophone. Pas besoin de beaucoup de commentaires.

Il leur faudra être attentifs, surtout que du 26 au 28 mai 2021 s’est déroulé à Lomé une grand-messe à propos du franc CFA et de l’Eco. Cette dernière monnaie assurera-t-elle notre développement dans le respect des préférences des citoyens ouest africains qui aimeraient choisir eux-mêmes leur présent et surtout leur avenir ?

 Les Néocalédoniens sont d’autant plus concernés par ce qui s’est passé à Lomé que leur monnaie, le Franc CFP, a été créée en même temps que le franc CFA en 1945. C’est le franc des Colonies Françaises du Pacifique (de l’Institut d’émission d’Outre-Mer, division de la Banque de France) qu’on appelle pudiquement aujourd’hui Change Franc Pacifique : il a un taux de parité fixe avec l’euro après l’avoir eu avec le franc français. En 2022 la Nouvelle-Calédonie prendra sa décision à propos de cette monnaie.

 Les Africains eux ont eu plus de soixante ans pour savoir quel type de monnaie avec quel statut confirmerait leur autodétermination. Où en sommes-nous aujourd’hui ? Sommes-nous indépendants au sein de l’UEMOA ?

Mais au vu de toute l’agitation qui a eu lieu, avant la rencontre de Lomé, à cause de la polémique avec ceux qui dénonçaient encore une manœuvre de la Françafrique, tout le bruit autour de cette rencontre annoncée avec grand fracas, il faut espérer que la montagne n’accouchera pas d’une souris, car un changement cosmétique de nom ne changera pas la situation de nos pays et donc n’apportera pas la prospérité recherchée. Après avoir analysé certaines communications du colloque on peut aussi bien se demander si les préalables sont véritablement posés pour une monnaie qui serait l’indice d’une politique économique transformatrice de notre quotidien. La réponse ne saurait être, pour le moment, affirmative.

En attendant le bilan des débats sur notre indépendance grâce à la monnaie, nous devrions nous demander qui dépend de qui en vérité. En effet, en même temps qu’on discute à Lomé, Emmanuel MACRON se confond en opération de charme auprès des anglophones, le Ghana, l’Afrique du Sud, mais spécialement le Rwanda. Ce pays, autrefois francophone, est devenu anglophone en moins d’une génération ; pourtant une de ses ressortissantes a été choisie comme Secrétaire Générale de la Francophonie. Pour se réconcilier avec ce pays, on a accepté que la France reconnaisse sa responsabilité dans le génocide de 1994 et on ne critique pas la gouvernance quelque peu musclée et antidémocratique de ses autorités politiques.

Le pouvoir rwandais a cependant marqué un point ces jours-ci : c’est un ministre qui est allé accueillir Emmanuel MACRON à son arrivée en terre rwandaise, comme Paul KAGAME avait été reçu par un ministre en France !

Au fond, il faut se rendre à l’évidence, la France semble avoir vraiment besoin de l’Afrique ! Et si nous lui donnions son indépendance ?

Imaginez que nos dirigeants ne se préoccupent plus de son avis dans leurs décisions ? Non cette forme d’indépendance serait trop facile à réaliser. En effet, cela serait superficiel car à cause de ce que leur rapporte individuellement leur allégeance à la France, ils iraient en douce demander conseil à Paris.

Mais changeons d’échelle. Par exemple, alors que la part de l’Afrique dans le commerce mondial est passée de 4 à 2,7% entre 1970 et 2019 (le monde n’a guère besoin de nous !), imaginons que la France ne vende plus rien aux pays de l’UEMOA, c’est un tiers de ces exportations qui ne trouveraient plus preneur. En même temps, moins de 13% des importations françaises en provenance de l’Afrique subsaharienne viennent de la zone UEMOA. Et dans ces 13% la Côte d’Ivoire à elle seule représente 77,2% des importations françaises en provenance de l’UEMOA, le Togo, 9,2% (surtout des produits pétroliers raffinés), on peut bien, dans ce cas, situer les dépendances.

Et ne parlons pas de ce que retire la France comme bénéfice géopolitique du nombre de locuteurs français où on inclut tous les Africains des pays qui ont “le français en partage”. Qui dépend de qui ? Le sens (orientation) de la dépendance ne se dévoile-t-il pas autrement ?

Les Néocalédoniens dont une des principales ressources est le nickel devraient examiner à la loupe les exemples des pays africains indépendants. Ils devraient en particulier s’intéresser au code minier en République Démocratique du Congo, qui possède à la fois un sous-sol d’une richesse formidable et en même temps une des populations les plus pauvres de notre planète.

Oui le mot indépendance gagnerait bien à être analysé.

Ainsi, si nous quittons ainsi le plan mondial ou international, pour venir au plan interne des pays, que veut dire ce mot, dans un pays comme le nôtre dans le sigle CENI, Commission Electorale Nationale “Indépendante” ? Et les candidats dits “indépendants” aux diverses élections, sont-ils indépendants de leurs bailleurs de fonds ou juste à cause de leur dénomination ? Et qu’en est-il de l’”indépendance des magistrats” : comment les justiciables peuvent-ils la caractériser ? Et toutes ces enquêtes “indépendantes” qui ont été diligentées après tel ou tel incident où les citoyens n’ont pas trouvé satisfaction, de qui étaient-elles indépendantes ?

Mais pour en revenir à ce qui s’est passé à Lomé à propos de la monnaie, on nous a dit que l’objectif est de proposer une feuille de route aux dirigeants ouest africains en ce qui concerne l’Eco. Cet objectif serait-il atteint après le colloque ? Et cette feuille de route a-t-elle une chance d’aboutir si on considère le manque de volonté politique et surtout la totale absence d’un projet politique mobilisateur ?

Quoi qu’il puisse en être, notre plus grand espoir est que pour chaque décision importante qui influe sur l’avenir de nos pays, il y ait toujours des experts prêts à donner un avis éclairé, un avis qui ne dépendent pas des amitiés nouées ici ou là, ou des honoraires proposés par tel ou tel. Car l’existence d’un tel corps de personnes, qui placent la vérité scientifique au-dessus de tout, atteste de la présence parmi les citoyens d’intellectuels conscients de leur place et de leur rôle dans leur communauté d’appartenance.

Lomé, le 28 mai 2021

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